D’abord nous faisons l’expérience du plaisir. Le plaisir renvoie à l’immédiateté de nos pulsions. Celui qui poursuit le plaisir veut la jouissance sans la médiation de la peine, de l’effort ou du travail. Le plaisir nous renvoie à notre nature animale et singulière, à nos pulsions originelles, à celles du petit enfant qui fait tout ce qui lui passe par la tête dès lors qu’il en tire du plaisir. C’est ainsi que dans la théorie freudienne de la construction du moi, la pulsion au plaisir est freinée par le surmoi qui représente l’interdit au travers de la figure parentale. Cette forme d’interdit nous l’intégrons inconsciemment comme forme de la normalité à laquelle nous voulons accéder en réprimant nos pulsions. Nous nous trouvons alors dans l’incapacité au plaisir. Dès lors soit je suis Weinstein ou DSK, la pulsion outrepasse l’interdiction, soit je suis la personne la plus frigide du monde incapable de prendre le moindre plaisir, coupable avant même d’y avoir goutté. Mais dans les deux cas -prisonnier de mes pulsions ou prisonniers de mes interdictions morales- je suis loin du bonheur. C’est alors que le bonheur advient comme un idéal de l’imagination qui vient nous libérer de l’angoisse dans la quelle nous nous trouvons, pris dans le conflit entre l’interdit et la pulsion. Le bonheur est alors un phantasme dont la forme varie selon les cultures mais qui consiste toujours à renoncer aux plaisirs certains quand à leur existence mais imparfaits quand à leur essence pour chercher un bonheur incertain ou hypothétique mais parfait quand à son essence. Cette recherche est celle de la philosophie et de la religion qui consiste en gros à renoncer aux biens matériels, périssables etc. pour chercher un bien véritable dans la sagesse ou en Dieu. Dans tous les cas il s’agit de renoncer à ses désirs pour devenir "sage". Faut-il alors renoncer au bonheur en tant qu’idéal toujours hypothétique ? Le bonheur ne consiste pas à faire ce que je veux c’est à dire céder à mes pulsions, ni à faire ce que je dois dans l’ordre moral, mais à faire ce que je peux. Être heureux c’est agir de telle sorte que ce que je fais maintenant, je pourrais supporter de le faire éternellement. Être heureux c’est pouvoir supporter "l’éternel retour" de la situation que je vis.

1) Les plaisirs simples : regarder un film au lit, boire des coups avec des amis après le travail etc. Mais ces plaisirs simples sont autant d’expériences qui révèlent une intensité nulle du point de vue de ce que l’on pourrait attendre d’une vie heureuse. 2) Le plaisir comme satisfaction des pulsions instinctives (l’excès, l’ivresse etc.) mais qui seront toujours un échec quand au résultat car les pulsions me commandent et risquent d’entrer en conflit avec l’interdiction morale. D’autre part céder à ses pulsions c’est entrer dans un désir sans fin qui jamais ne saurait me satisfaire. Le denier verre ne sera jamais le dernier car on n’en finit jamais de désirer. Sitôt un désir est assouvi, qu’un autre s’éveille. 3) Aussi mieux vaut renoncer à ses désirs. Telle est la position du religieux ou de l’ascète. Mais l’absence de désir est synonyme de mort, de refus de la vie. Au mieux c’est après la mort que le bonheur sera "vécu" ; ce qui est un peu décevant en somme. 4) Alors que dois-je désirer pour être heureux ? Non pas désirer sans fin de nouvelles choses pour combler un manque originel, ni chercher à atteindre une perfection morale, religieuse ou ascétique qui ferait cesser le désir ; pour être heureux il s’agirait de ne pas cesser de désirer ce que l’on possède déjà. Nous ne sommes heureux qu’à la faveur d’un désir qui se réitère sans cesse dans l’objet même dans son désir. Bref l’amour véritable est source de bonheur, "amour réalisé d’un désir demeuré désir" René Char. Ce qui augmente ma puissance d’action, ce que je pourrais faire éternellement sans me détruire, faire ce pourquoi je suis fait, voilà ce qui rend heureux. De telle sorte qu’il n’y a pas de recette au bonheur, il est toujours une affaire singulière d’expérimentation. Expérimentations par lesquelles je tente de m’accorder au rythme universel des choses, afin d’entrer dans la danse du monde. Nous considérerons alors le bonheur comme une possibilité ; être dans la possibilité d’organiser et d’effectuer les bonnes rencontres, les rencontres capables de nous affecter de joie. Le bonheur serait cet état de vitalité ouvert à la possibilité de la joie.