Le vote par lui-même ne fait pas d’un système politique une démocratie pour un raison essentielle tout d’abord. Le vote définit la démocratie comme représentative. Le peuple ne gouverne pas directement mais choisit parmi tous les représentants déclarés et potentiels les plus à même de représenter les aspirations sociales individuelles qui le constituent atomiquement. Or cette démocratie représentative demeure une démocratie imparfaite au regard de l’idéal démocratique qui se conçoit à partir de la démocratie participative où le peuple seul gouverne en corps et immédiatement c’est à dire sans représentants. Une démocratie n’est réellement démocratique que lorsque elle est de façon permanente et à tout niveau, participative. Cependant cet idéal démocratique est difficile voire impossible à réaliser. Le peuple comme totalité holique doit par lui-même exprimer les aspirations individuelles qui le constituent comme totalité panique (somme arithmétique des individus et des volontés individuelles). Le tout doit donc exprimer la partie et la partie exprimer le tout ; la volonté générale doit exprimer la volonté de chacun et la volonté de chacun exprimer la volonté de tous. Non seulement une telle exigence est irréalisable mais elle est aussi contradictoire. La vocation d’une démocratie étant de pouvoir laisser s’exprimer la divergence. Mais toute divergence menace de péril l’unité du peuple donc de la démocratie même. D’où la contradiction, l’idéal démocratique devenant alors un despotisme populaire. Si l’idéal démocratique est un idéal inaccessible et contradictoire en soi, la démocratie représentative est la seule alternative à la réalisation de ce qu’Aristote qualifiait de moins mauvais de tous les systèmes politiques. Or ce système de la représentation ne peut devenir réellement démocratique qu’à partir du moment où la composante "délibérative" entre en ligne de compte. Une démocratie participative n’est réellement démocratique que parce qu’elle est en son fond, délibérative. Ce n’est que par sa composante délibérative qu’une démocratie devient réellement démocratique. La délibération est un combat pacifié où s’affrontent les divers points de vues portés sur l’avenir de la société. Ce combat n’est jamais remporté par le plus fort. Il se joue en sa faveur l’émergence d’une troisième voix. Le combat véritable est celui qui laisse naître ce qui sans lui n’aurait jamais été. Le combat étant comme l’indique Héraclite père de toute chose. Or ce combat qu’incarne la délibération nous a été par deux fois confisqué en 2002 et 2017. C’est là et par accident que vote et démocratie ne sont plus deux notions corrélées. Depuis au moins les élections présidentielles de 2002 le front national ou rassemblement national, comme on voudra l’appeler aujourd’hui, est devenu l’arme atomique de la dissuasion politique, la menace absolue pour le maintien de l’ordre établi, l’assurance que jamais rien ne change. Entre le dégout des abstentionnistes et la peur de ceux qui votent, il n’y a plus de place pour une quelconque alternative politique. Plus de place pour le débat, plus de place pour le risque politique. Cette peur est-elle légitime au regard des scandaleux spectacles des entre-deux tours menés respectivement par le père et la fille en 2002 et 2017 qui manifestement nous ont donnés à voir l’absolu terreur du pouvoir ? Ce n’est pas la question, même si elle mérite d’être posée. Quoi qu’il en soit, nous pouvons être certains que plus les scores du front national seront élevés moins la possibilité d’une alternative politique sera envisageable. D’où l’intérêt pour les parties de gouvernement qui se sont succédaient dans l’histoire de la cinquième République, de l’existence et de la force relative d’un front national. Ainsi dans l’euphorie de leur pérennité artificielle, ils en oublient ceux qu’ils sont censés représenter puisqu’en réalité ils ne représentent personne si ce n’est qu’eux-mêmes et les puissances financières et industrielles qui les gouvernent. Cet oubli voire ce mépris, Sarkozy l’a parfaitement exprimé en affirmant en 2008 : "Désormais quand il y a une grève, plus personne ne s’en aperçoit". De fait et dès lors que la délibération nous est confisquée -au niveau du choix par le vote de nos représentants- celle-ci se joue nécessairement et avec violence sur cette ultime scène politique qu’est la rue. Ce système s’essouffle et ceux qui ne sont plus représentés, les oubliés de la République, font de la rue un parlement et de la violence, une expression politique.