La photographie ment dans la mesure où elle ne nous donne qu’une image instannée de la réalité mouvante. Or l’erreur intellectuelle consiste à donner de l’existence à l’instant, à croire que l’instant existe. L’instant ou le présent est un être de raison qui n’a aucune réalité objective, il s’agit d’une fiction.
Pourtant la photo nous donne à voir quelque chose qui vient de se dérouler sous nos yeux. Certes mais à la différence prés que ce quelque chose n’a jamais existé en tant que tel. L’instantané de la photographie est dans le réel porteur de son passé et de son futur, il est son passé et son futur, portés à titre de virtualité, à tel point que l’instant réel n’est pas. L’instant réel c’est le virtuel.
La photographie est mensonge dans la mesure où elle épure le réel de sa virtualité, de son tout juste passé et de son tout juste avenir. C’était déjà le reproche que Bergson faisait au cinéma, qui pensait rendre la réalité par le mouvement d’images photographiques instantanées. Reproduire le réel sans le virtuel. Le cinéma est à ce titre quelque chose de tout à fait artificielle. Et cette critique est elle-même inspirée du paradoxe de Zénon, montrant que le mouvement ne pouvait être traduit par la distance parcourue par un mobile dans le temps, d’instant en instant. La flèche qui va sur la cible esquive sans cesse l’instant, elle n’est jamais que nulle part. Car si on considère le mouvement de la flèche comme mouvement de point en point spatio-temporels, la flèche avant d’arriver à la cible doit d’abord parcourir la moitié de son chemin, mais avant d’en parcourir la moitiée, elle doit d’abord parcourir la moitiée de la moitiée du chemin, et ainsi de suite de points en points. Et dans la mmsure où l’espace et le temps sont infiniments divisibles, jamais la flèche parcourant son chemin de point en point n’atteindra sa cible.
De tout cela, il suit que la photographie est une fiction réelle, elle arrache au devenir réel quelque chose qui ne lui appartient pas. Le plus réel l’est en fait le moins. La peinture qui peint quelque chose qui n’a jamais existé, même lorsqu’elle s’exécute à partir d’un modèle qu’elle s’attache à reproduire, est d’autant plus réelle. Plus elle est un être de fiction, plus elle devient conforme à l’être réel. Le cas exemplaire serait celui pris par Merleau-Ponty dans L’oeil et l’esprit. Les chevaux de Géricault dans le Derby d’Epsom, donnent cette impression étrange de courrir éternellement sur la toile. L’immobilité des chevaux de Géricault donnent l’impression du mouvement car précisément, ils adoptent une posture qu’aucun cheval n’a jamais pris dans la réalité. L’instant selon lequels les chevaux sont décrits n’est pas un instant arraché du réel, c’est un instant virtuel, dans lequel chaque membre des chevaux plongent dans un instant différent, la posture des chevaux est une posture virtuelle, où se mèlent passé, futur et présent. Plus la représentation s’éloigne de l’instant réel photographique plus elle s’approche de la réalité. Plus elle est porteuse de virtualité, plus elle s’approche de la réalité. Car le réel n’est jamais que le virtuel.
Illustrations :
Je ne suis pas du tout d'accord. Je ne me fais pas l'avocat de la photographie, mais jamais elle ne reproduit le réel. Elle n'a rien d'une photocopieuse ! Au contraire, elle se sert tout autant de la perception du réel, ingrédient de l'imaginaire, pour concevoir, construire, saisir les hasards, etc.
Une photo de photo ramènerait la photo au statut de photocopieuse, ce que n'est pas par soi la photo. D'autre part il faut se méfier de l'idée de perception de réel. Le réel outrapasse la perception que l'on en a. Car nous pouvons dire de la perception, ce que Kant dit de la connaissance, nous ne connaissons des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes. La perception est ramenée à des formes utiles à l'homme, qui ne recoupent pas nécessairement, la complexité du réel. La photographie reste la servante du désir du regard. Elle voit comme l'oeil voit, son propre fantasme dans la réalité mouvante.
Que tu ne sois pas d'accord, je l'accorde, mais les raisons que tu invoques, ne sont pas bonnes.
Pas du tout : la photo a ses techniques, de prise de vue, prise de lumière, prise de couleurs, développement, recadrage, etc. Elle ne laissera jamais à voir ce que l'oeil voit ! Une peinture, une sculture, un morceau de musique ne sont pas plus proches du réel dont tu parles qu'une photographie. Vraiment, je ne saisis pas ton propos. Lorsqu'un sculteur travaille à son oeuvre, il a devant les yeux les croquis de son oeuvre à venir, ou bien un modèle. Il sculte en fonction de sa perception du réel. Après, ce que ses doigts font dans la matière, c'est son intimité qui s'y insinue. De la même façon travaillent certains photographes.
Je comprends ce que tu veux dire ou du moins je vois où le propos diffère. Pour me faire comprendre je te demenderais de laisser tomber le côté affectif voire amoureux que tu peux porter à la photographie. Tu vas me répondre que c'est impossible pour quelques raisons sans doute valables, mais il faut voir le principe, porter un regard clinique sur la chose avant le regard amoureux. Il me semble d'ailleurs qu'à un autre coin de billets, on a déjà développé la même discorde à propos de la photographie.
Hé hé. Je ne suis pas clinicien moi, monsieur. Sincèrement, la photographie je m'en fout un peu. C'est juste que ton regard sur la photographie me semble un peu biaisé. Il y a des gens dont j'ai oublié le nom qui travaillent sur le flou avec une précision surréaliste.
Et que penses-tu des collages photographiques de Magritte ?
Je ne connais pas ces montages photographiques dont tu parles. Pour le reste j'ai rajouté ces photos. La tentative vaine du futuriste Balla de reproduire le mouvement par décomposition superposée d'instants photographiques. Le derby d'Epsom en photo, où les chevaux semblent éternellement figés, arrétés dans l'espace à l'instant de leur saisie. Et le derby d'epsom de Géricault où les chevaux courent éternellement dans le cadre. Pour mesurer la différence par les faits. L'irréel produit le réel, le réel produit l'irréel.
Qunad tu dis que le réel produit l'irèel, tu veux dire la capture du réel ? La dimension technique est importante. Les nouvelles techniques que sont le cinéma et la photographie, deux illusions très bluffantes, ont pas mal chamboulé les théoriciens de l'art. Mais penses-tu réellement que le réel se capture si aisément ?
Oui, la capture du réel, ne saisie pas l'essentiel, puisqu'elle laisse échapper la virtualité, pour ne saisir qu'une enveloppe vide, l'instant qui n'est pas en réalité, puisque l'instant déborde le présent, toujours en attente, toujours en retenu. En même temps, excès et défaut de soi, toujours en retard tout en étant toujours en avance. Paradoxe du réel que traduit par ailleurs trés bien la physique quantique et le principe d'incertitude de Heisenberg. Précisément le réel ne se capture pas, c'est comme vouloir attraper un nuage...
La seule façon de traduirte le réel c'est de produire de l'irréel.
Eric poitevin, photographe :
"Je crois qu'il y a du flou partout. même Si j' essaie d'y mettre un peu de netteté. Je crois que c' est peut-être cela mon travail: la netteté dans le flou. A priori je ne veux pas de flou dans les images et pourtant le flou que l'on peut trouver dans les photographies du dix-neuvième siècle me trouble. Le flou de mise au point ne m'intéresse pas car chacun a sa propre vue, donc son propre sens de la netteté. Par contre le flou des "Petits ramoneurs" de Charles Nègre est un problème de temps, de temporalité, un rapport au temps. Le flou dans la photographie vient de quelque chose de statique. Cette immobilité contient le flou.
Le temps n'existe qu'à travers l'expérience des choses... Je serais tenté de penser qu'il n'existe pas en fait.. Plus que le temps, c'est l'expérience qui existe. Je crois que l'on est en modification perpétuelle; nous sommes des récepteurs. Il m'arrive quelquefois de me comparer aux chauve-souris. Je sais peu de choses sur les chauve-souris, je sais qu'elles trouvent leur route en émettant des sons qui leur reviennent. Elles modifient, elles sont émetteur et récepteur; et elles trouvent leur chemin là-dedans... La chauve-souris est un animal aveugle... un peu comme moi."
Sinon, vas jeter un coup d'oeil à Michael Ackerman, et Antoine d'Agata. Dis-moi ce que tu en penses, mec.
Il me semble que c'est ce que j'essayais de dire. Quand il cherche le flou dans la photo, c'est bien sur quelque chose qui a rapport au temps dans le réel, à la temporalité, c'est à dire de la virtualité. Quelque chose qui fait être, tout en n'étant pas.
Quant à la chauve sourie, c'est effectivement comme ça qu'elle agit. A ceci prés qu'elle est déterminée dans ses actes aveugles. Elle s'oriente dans des rapports d'émission-réception dans un but toujours déterminé.
J'irais voir ces messieurs. Aprés un peu de repos pour aujourd'hui.
J'ai mis ce texte parce qu'il me semblait aussi qu'il voulait dire la même chose que toi, à peu de choses prêt, mais d'une autre façon.
On ne saisit pas des hasards, c'est le hasard qui nous saisit.
La valeur d'une œuvre d'art, qu'il s'agisse d'une peinture, d'une sculpture ou d'une photographie (etc.), réside t-elle dans sa capacité à produire ou à atteindre le "vrai" ? quelle est la finalité d'une œuvre d'art ?
Sa valeur serait pour moi (non philosophe que je suis...) dans ce regard singulier qu'un artiste nous offre à voir dans son propre langage, dans sa propre expression, dans sa capacité à transcender la vérité, aller au delà, de nous faire part de l'insaisissable, de nous montrer ce que l'on n'aurait pu voir.
to be continued...
L'oeuvre d'art peut avoir une mutitude de finalité. Elle en a eut d'ailleurs beaucoup : cultuelle, cuturelle, esthétique, commerciale. Mais parmis toute ces finalités qu'est ce qui constitue l'invariant de l'art, ce par quoi l'art est art ? C'est son inutilté. Malgrés toutes les finalités que l'on prète à l'art, ce qui distingue l'objet d'art de toute autre production artificielle, c'est son inutlité. Ce dont on ne peut user. Premier point. Et la dessus il y aura beaucoup de choses à dire.
Second point. Ce n'est jamais la subjectivité de l'artiste qui donne sa valeur à l'art. L'art outrepasse le nom propre, la subjectivité privée et réactive. L'art cultuel n'est pas signié. L'oeuvre dépasse son créateur. L'art a pour origine le génie, et le génie n'a pas de nom propre. Kant le défnit comme cette "disposition innée par laquelle la nature donne ses règles à l'art." Ce qui signifie que le corps de l'artiste exprime quelque chose qui le dépasse complètement, de lui surgit l'inouïe, l'invu, l'imprévu. Une force qui le dépasse, dont il n'est que le passeur. c'est le délire platonicien. De même Duchamp dans une conférence éditée sous le nom de Pocessus créatif, définit l'art par un certain coefficient d'art, qu'il déternime comme "différence arithmétique entre ce qui était projeté et n'est pas réalisé, et ce qui esst réalisé mais n'était pas projeté." C'est le hasard, qui est au principe de l'art, un hasard productif. Un hasard cosmique, dionysiaque, qui s'affirme dans l'oeuvre d'art.
enfin, c'est cool que tu veuilles participer.
to be continued...
je suis d'accord avec toi pour ce qui est de l'inutilité d'une œuvre d'art, pour le génie créateur, le fait que l'œuvre dépasse l'artiste lui même, que "ce qui était projeté et n'est pas réalisé, et ce qui est réalisé mais n'était pas projeté" pour reprendre les propos de Duchamp que tu cites. Mais je ne vois pas en quoi, la photo (au même titre que toute forme d'art -la danse, par exemple-) n'aurait pas ces mêmes caractères ou valeurs (je ne sais pas quel mot employé...sorry pour mon vocabulaire approximatif)...
pour ce qui est de la danse, il s'agit bien d'art (non d'une œuvre d'art...) la différence étant qu'elle ne laisse aucune trace matérielle... l'art existe par sa substance (ce qui ne peut être vu, c'est bien cela ?) et non par sa matérialisation (l'objet créé). Qu'en penses-tu?
l'art aurait la capacité de dévoiler l'invisible. on a vu comment cet invisible constituait l'être même, sous l'espèce de la substance : il est de l'essence de l'oeuvre d'art d'apparaitre, de se montrer et de montrer. de plus, dans la mesure où parmis les choses du monde, l'oeuvre d'art est la seule qui n esoit ouverte à aucun usage (même si elle peut avoir une finalité), elle ne s'use pas. Elle offre donc ce caractère de permanence, qui revient à la substance. L'oeuvre d'art se donne donc comme détermination de l'être par la substance. et ce qui apparait dans l'oeuvre c'est l'être lui-même. Ok ça on l'a vu. maintenant penser la danse comme art, c'est à dire art de l'événement, c'est penser l'art sans oeuvre, sans rien qui demeure dans le temps. celà oblige à réfléchir.
quand tu parles d'un art sans matière, on peut penser à Hegel pour qui précisément, il y a une hiérarchie des arts, qui va de l'architecture à la poésie, c'est à dire à une diminution progessive de la matière pour la seule expressivité de la forme. mais pour Hegel, l'art meurt et se dépasse, dans la réligion, puis dans la philosophie, comme expression adéquate de l'esprit absolu immatériel. c'est pourquoi, pour Hegel, l'art est chose du passé. peut être la danse est-elle à ce titre une forme ultime d'art, immétérielle car sans oeuvre, absoluement désoeuvrée ?
ça pourrait être marrant, de penser l'art à partir du désoeuvrement à tous les sens du terme.
A toi Eugène.
la danse, ça laisse des traces, ça n'a rien d'immatériel, ça n'est pas sans oeuvre. c'est quoi cette idée d'oeuvre ? Il faut une page, une toîle, une pellicule ? Un support donc ?
Et je ne parle pas que de la vidéo qui capture une partie du spectacle (et oui, vous faites comme si vous ne parliez pas de spectacle en causant d'art, mais vous y êtes en plein dedans il me semble), mais d'autres traces. Je vous laisse le soin de les déterminer. Et puis la mémoire humaine, son expérience suffisent à faire d'un évènement. Pour moi, ce qui fait art, c'est ce qui émancipe l'artiste, ce qui le fait sortir de lui. Mais c'est mon côté nombriliste qui doit me faire dire ça.
justement, il ne s'agit pas de traces. La manifestation par l'absence, la présence de l'absence, c'est la trace. Dans l'oeuvre au contraire, il s'agit de présence. il n'est ni signe ni trace, l'art est présence c'est à dire permanence.
j'aime bien l'idée de traces pour définir l'art. Traces immatérielles, non matérialisées serait-il plus juste de dire, traces infinies -idée de permanence-.
Le propos a en fait dérivé de l'œuvre d'art à l'art lui même. La première existe forcément à travers un support matériel tandis que le second pourrait être envisagé sans matière, sans matérialisation, sans objet fini -la danse meurt dans le même instant où elle naît, mais elle laisse une trace, une matière vivante en perpétuelle recomposition, une trace sensible. l'art se décline sous toutes formes mais dans nos propos, nous oublions peut être l'essentiel : nos sens ou notre sensibilité, ce par quoi l'art nous atteint, ce par quoi il nous est possible de parler d'art.........
Je persiste à pointer la difficulté de penser l'art hors de l'oeuvre qui, exprimant le caractère de permanence, ouvre la double perspective ontologique et politique. Si tu veux penser l'art à partir de la trace, alors de quoi l'art est-il la trace ? Je dirais la double trace de l'autosuffisance : trace de la signature et trace de l'autoaffection réactive.
L'art se tient -en stance- splendide dans sa retenue, pour que l'oeuvre ouvre au visible ce qui n'est de prime abord et le plus souvent jamais perçu, quelque chose se refuse aux considérations, aux bavardages, à la prise du regard, comme le refus donne la beauté au visage (Char). L'art dans l'oeuvre impose le silence pour le bruissement des choses, lorsque la trace, elle, appelle au bavardage. Je dis donc que définir l'art par la trace c'est nul et j'affirme par contre l'idée de désoeuvrement dans l'art.