La notion d’espèce est corrélative de la notion de normalité qui fonde la rivalité et la compétition. C’est toujours au sein d’une espèce qu’il y a rivalité et autour d’une norme qu’il y a conflit. La norme discrimine les prétendants et les hiérarchise dans un rapport de conformité à la forme idéale ou idée de la chose. Dictature du On, du genre ou de l’espèce selon laquelle le "devoir être" détermine "l’être". Le droit précède le fait et l’arraisonne.
La compétition peut alors être pensée soit par le haut soit par le bas. Qu’importe de l’excellence ou de la médiocrité, il y va d’un même processus de négation de la puissance ou de la possibilité singulière dans l’être singulier. Ce n’est pas par hasard que les notions d’espèce et de genre et les classifications qui en découlent sont issues de la grèce antique, pour laquelle -affirme Héraclite- "le combat est père de toute chose". Car nous dit Deleuze dans Différence et répétition, "il n’y a jamais de lutte que sous un sens commun, et autour de valeurs établies, pour s’attribuer ou se faire attribuer des valeurs en cours (honneurs, richesse, pouvoir). "

Mais avec Heidegger aussi surement sur ce point qu’avec Spinoza, s’ouvre la possibilité de penser l’être au-delà de l’essence mesurée sur l’espèce ou le genre. Possibilité de l’ouverture qui se possibilise précisément à partir de l’ouverture à la possibilité. Car, contre l’aristotélisme, Heidegger affirme dans Etre et temps qu’ "au-delà de l’effectivité se dresse la possibilité". En effet pour Aristote, l’acte précède la puissance à tout égard : chronologiquement, logiquement, ontologiquement. L’effectivité précède en fait et en droit la possibilité. La puisance ne s’actulaise que par rapport à l’essence toujours-déjà par avance donnée. Je ne deviens en fait que ce que j’étais déjà en droit par le genre ou l’espèce.
En affirmant l’excès de la possibilité sur l’effectivité, l’essence se lit alors à l’aune de la singularité. L’essence ainsi lue sur la singularité comme puissance, efface toute norme et normalisation. L’être singulier échappe à toute règle unificatrice, à la volonté d’unification sous un terme générique. Efface donc aussi toute rivalité.

En ce sens il devient aussi absurde et obsolète de parler d’espèce humaine que de détermination génétique, dès lors que celle-ci est pensée comme détermination générique et arraisonnement de la singularité, de ce que je suis en propre, de cette partie intensive ou essence singulière, dont parle spinoza, dont l’actualisation se manifeste dans l’affect de joie. La joie contrairement au bonheur qui est un Bien universel et absolu pensé à partir de la notion d’espèce, n’est rien d’autre qu’une manière d’être soi-même. Ce n’est pas faire le Bien qui rend joyeux, c’est d’être soi-même, de réaliser sa puissance. L’excellence ne se lit plus à l’aune d’une norme, elle est toujours la manifestation singulière de ce que je peux en propre.
Et dès lors le combat s’intériorise. La guerre devient personnelle et propre. Et ainsi, de la politique nous passons comme d’une suite logique, à la psychanalyse.