Le droit naturel :
Le droit naturel concerne ce que chacun peut faire selon un droit qui lui est inhérent et de nature. Il s’oppose donc au droit positif, c’est à dire au droit établi par la législation d’une cité. Dans cette opposition s’articule la question de savoir si un individu possède des droits qui lui sont inhérents par nature, ou si toute l’activité d’un individu se réduit aux droits qui lui sont conférés par la législation de la communauté dans la quelle il évolue.
Pour la pensée classique grecque, le droit naturel est identique au droit positif, dans la mesure où l’individu n’existe pas sans communauté, et que la communauté est constituée par l’ensemble des lois qui la régissent. Le nomothète donne figure à la cité, la cité donne figure à ceux qui l’habitent.
La pensée moderne reconnaît l’existence d’un être individuel pré-collectif. Descartes par exemple découvre le Je comme élément ultime et irréductible au doute porté sur toute chose. Dès lors si l’individu précède le collectif, alors des droits inhérents à sa personne peuvent et doivent lui être reconnus. Ces droits précèdant les droits positifs, sont constitutifs du droit naturel moderne, que Hobbes fut le premier à reconnaitre. Antigone constitue sans doute la première figure du droit naturel moderne. En s’opposant au décret du Tyran Créon, elle affirme la positivité de son droit naturel en opposition au droit positif du législateur tyrannique de la cité. Mais l’antériorité du droit naturel sur le droit positif tend à être oubliée. Et cet oubli en engendre un autre, le droit à la révolte comme forme d’expression.
Le droit naturel classique :
Dans son acception classique, le droit naturel s’épuise dans le droit positif dans la mesure où le processus d’individuation est indissociable d’une communauté. Hors de la cité il n’y a pas d’être individuel concret. La cité donne visage à ceux qui la composent.
Si l’injonction inscrite au fronton du temps de Delphe "connais-toi toi-même" -injonction apolinienne s’il en est- consititue pour Socrate une injonction à philosopher, c’est parce que la connaissance de soi est médiatisée par le rapport à l’autre. Le rapport à l’autre conditionne le rapport à soi, le collectif précède et conditionne l’individuel. C’est dans l’oeil de l’autre en effet que je me decouvre comme ce que je suis dans mes manques et mes insuffisances. L’homme est par nature incomplet, inachevé. En l’homme naturel la matérialité excède la détermination formelle, ce par quoi une chose est intelligiblement déterminée. C’est par la communauté que s’opère son achèvement. L’homme grec n’est pas de nature mais de culture. Le mot culture signifiant spécifiquement ici, techné, savoir faire, dont la cité établit la règle et la régulation.
Si c’est par l’autre que l’individuel prend forme, l’autre absolu est Socrate, celui qui sâchant qu’il ne sait pas ce qu’il croit savoir, sait ce qui est à savoir, il est le philosophe roi. Socrate le no(m)os, celui en qui s’accomplit l’alliance du noos et du nomos, de l’esprit et de la loi. Socrate sous la plume de Platon régule, instruit, établit la place qu’il revient à chacun pour l’équilibre de la cité. Et c’est la place qu’il revient à chacun qui lui donne sa forme individuelle concrète.
Le droit naturel moderne :
La modernité s’incrit dans la découverte de la subjectivité comme fondement ultime de toute connaissance. Le moi précède toute autre détermination. Pour autant le moi n’est pas une détermination univoque. Sans doute moins original que Hobbes, Descartes s’inscrit encore dans une certaine traditionnalité en identifiant le moi à la pensée par l’équivalence du je pense donc je suis. Le moi se réduit tout entier à la substance pensante. Pour Hobbes au contraire ce qui est premier c’est le corps, c’est la matière. Tout est corps, le langage même est corps. Le corps est réductible à des éléments simples dont le mouvement partagé constitue l’individualité. Ce mouvement, Hobbes le nomme mouvement vital : mouvement du sangs, de la respiration... Le mouvement animal est le mouvement volontaire, dont la fin consiste dans la continuation du mouvement vital. Il n’y a pas chez Hobbes comme chez Descartes de distinciton réelle entre substance pensante et substance étendue. Il n’ y a que des corps et du mouvement. Selon une telle détermination de l’être individuel le droit naturel est défini par "la liberté qu’à chacun d’user comme il le veut de son pouvoir propre, pour la préservation de sa propre nature", Chap.XIV, "Des deux premières lois naturelles et des contrats", Léviathan. Ce qui signifie qu’en d’autres termes, chacun possède par nature un droit absolu sur toute chose lui permettant de persévérer dans l’être. Cette tendance à se conserver est un effort généralement nommé Conatus. Cet effort ou conatus en tant qu’il nous fait tendre naturellement et librement vers ce qui est jugé bon et nous éloigne de ce qui est mauvais pour notre propre vie, est appelé Désir.
Etiologie du désir :
Le Désir en tant qu’il est libre et naturel s’affranchit de l’élément du jugement. Ce n’est pas par jugment ou délibaration que, selon le conatus, un individu veut ce qui est bon et fuit ce qui est mauvais pour lui. Le jugement s’effectue toujours à l’aune de normes transcendantes et génériques. Tout jugement suppose pour s’opérer le Bien et le Mal. Mais par cet effort ou tendance à persévérer dans l’être qu’est le conatus, nous sommes placés dans nos actes au-delà du Bien et du Mal.
Le grand problème des philosophies morales consiste dans la justification du Mal. Ce problème est d’autant plus important qu’il est souvent posé en corrélation avec une pensée de la création. Comment penser l’existence du mal lorsque le monde est créé par Dieu ? Le problème du mal est résolu par la négation de son existence. Puisque seul le Bien comme principe de l’être est, le mal n’est pas. En posant le Bien comme principe de l’être comme ce qui fait être, on retire l’être au mal. Objectivement le mal n’a pas d’existence, il n’a pas l’être. Toutefois, on ne peut nier l’existence subjective du mal. Celui qui par exemple voudrait tuer tout le monde, celui-là ferait le mal et par lui le mal serait. Le problème subjectif du mal se résoudrait si finalement le mal consonnait avec le malheur et le bien avec le bonheur. Sade atteste l’impossiblité d’une telle consonnance : Justine ou les malheurs de la vertu, et Juliette ou les propérités du vice, illustrent ce que les faits bien souvent attestent, que le vertueux n’est pas nécessairement heureux, et que le vicieux n’est pas nécessairement malheureux. Platon résout le problème dans Hyppias majeur par l’assertion : "Nul ne fait le mal volontairement". Si Platon interroge celui qui veut tuer tout le monde sur ce qu’il désire réellement dans cet acte, celui-ci répondra qu’il désire le bien, "je veux tuer tout le monde parce que ça me fait du bien". C’est donc le bien qui est désiré et non le mal. Celui qui veut tuer tout le monde ne veut pas réllement le mal, il veut le bien. Le mal est donc la conséquence d’une erreur du jugement : Faire le mal alors que c’est le bien qui est désiré. C’est pourquoi nul n’est méchant volontairement. C’est pourquoi aussi, subjectivement le mal n’est pas. Celui qui fait le mal, veut le bien. Son erreur provient de ce qu’il ne sait pas ce qu’est le Bien véritable, l’idée de Bien. Et de ce non savoir provient l’erreur de son jugement.
Avec le droit naturel moderne, le désir qui l’exprime est toujours un désir singulier, affranchit des normes transcendantes de Bien et de Mal, affranchit du jugement. Il est un désir libre et naturel comme expression d’un degré de puissance toujours singulier. Je fais ce que je désire, et ce que je désire je le fais en tant que celà est bon pour moi. Aux normes transcendantes et génériques de Bien et de Mal se substituent les normes immanentes et toujours singulières de bon et de mauvais.
A ce titre on peut remarquer que l’idée de droit naturel moderne, s’oppose à l’idée moderne d’humanité régie par un ensemble de droits positifs nommés droits de l’homme. Ces derniers en tant qu’ils sont un ensemble de normes transcendantes et génériques, nous ramène à l’idée classique d’individu et de droit naturel.
Hobbes et Spinoza, le différend. Individualité physique, indivualité mathématique :
Le désir moderne qui se développe autour des idées modernes d’individu et de droit naturel, devient l’essence de l’être individuel concret. Chez les grecs le désirables, est toujours le Bien commun. Ce bien étant quelque chose de théorique aussi bien que pratique, compris à la fois comme idée générique des biens particuliers qui y participent, et comme bien particulier visant le bien de la communauté. Avec Hobbes le désir devient l’expression d’une tendance singulière qui est aussi la première détermination de l’être en tant que tout le réel est réductible à des éléments simples et du mouvement. Dans un tel contexte le désir caractérise le mouvement animal comme tendance à la conservation du mouvement vital. Ce mouvement animal donne consistance au droit naturel moderne : chacun à un droit absolu sur tout ce qui permet la conservation de son mouvement vital.
Pour Hobbes le conatus et le Désir qu’il implique, expriment les tendances individuelles qui dans l’état de nature -état dans lequel aucune légalité ne régule les rapports interindividuels- viennent à se contredire de telle sorte que celui-ci s’effectue comme un état de guerre de tous contre tous. Dès lors la république devient pour Hobbes une institution nécessaire qui consiste dans le déssaisissement total de tous ses droits naturels, au profit du souverain qui régule les échanges et les rapports entre individus au sein de la communauté citoyenne. Mais l’aliénation totale ici, à la différence du contrat de Rousseau, ne s’effectue pas au profit de la communauté toute entière mais au profit du souverain. Le passage de l’état de nature régi par le droit naturel à l’état de droit régi par le droit positif, pose donc quelques difficultés. Ces difficultés sont sans doutes levées avec la difinition spinoziste de l’individu.
Sans doute la difficulté de Hobbes provient-elle de sa définition de l’individu tout entière réductible à des rapports physiques de mouvements et de repos. De telle sorte, le conatus comme tendance à persévérer dans l’être, s’exprime à partir d’une définition pauvre de l’être. Un être se caractérise à partir du mouvement partagé par les particules élémentaires qui le constituent.
Le conatus spinoziste s’établit pour sa part, à partir d’une définition plus complexe de l’être, une définition physico-mathématique. Un corps est constitué d’éléments simples qui effectuent un certain rapport de vitesse et de lenteur caractéristique. Lorsque se rapport n’est plus effectué le corps meurt, et les particules entre dans un nouveau rapport caractéristique. Une araignée qui mange une mouche détruit les rapports caractéristiques de la mouche et intégre ses éléments sous son propre rapport. Dans l’élément du drot naturel moderne un tel processus ne comprote ni injustice ni amoralité, il s’agit d’un processus d’assimilation légitimé par le droit naturel moderne. Or à la différence de Hobbes, les rapports caractéristiques d’un individu sont des rapports éternels pour Spinoza. Que le rapport soit ou non effectué, il possède une vérité éternelle car il est plus qu’un simple rapport physique de vitesse et de lenteur, il se pense à partir du calcul différentiel. Les éléments simples qui effectuent les rapports sont des éléments plus petit que toute grandeur assignable, de telle sorte ils sont des éléments évanouissants ou quantités négligeables. Or le rapport de deux évanouissants s’exprime indépendemment des termes qui l’effectue. La quantité d’être d’un évanouissant tend vers une limite nulle. Et selon le calcul infinitésimal, le rapport de deux quantités tendant vers zéro (0/0) ne tend pas vers zéro mais vers une limite fixe qui préexiste en droit à son effectuation. Ainsi lorsque un rapport n’est plus effectué, il n’en reste pas moins qu’il continue à être éternellement, non à titre d’existant mais comme essence éternelle singulière. Les désirs qui expriment l’être singulier existant, trouvent une vérité dans l’être immanent univoque qu’ils expriment.
La difficulté hobbesienne du retour de la transcendance sous la figure du souverain comme aliénation des droits naturels modernes, se résout dans une république de la connaissance adéquate du second et troisième genre. Les désirs en tant qu’ils sont l’expression de l’être univoque sous la raison du singulier, s’agencent naturellement dans un tel être.
Je voudrais revenir rapidement sur la partie Etiologie du désir : que penser des instincts morbides, instinct de mort qui poussent l'homme vers sa propre destruction, non sans désir parfois, non sans souffrance souvent ?
D'abord la question est-elle "que penser des instincts morbides ?" ou "comment penser ces instincts morbides ?" La première question induit un jugment moral, la seconde un jugement théorique.
En suite je voudrais savoir si lorsque tu parles de l'homme et de sa propre destruction, il s'agit de l'Homme en tant qu'espèce humaine s'attaquant aux autres représentant de l'espèce, où s'il s'agit de l'homme singulier responsable par instinct ou désir de sa propre mort ?
Enfin, il faut bien marquer la différence entre "instinct" et "désir".
Spinoza, Ethique, Livre III, Proposition IV : "Nulle chose ne peut être déterminée à mourir sinon par une cause extérieure" autrement dit la mort vient toujours du dehors. Un corps quelconque est composé d'une infinité de parties évanouissantes, qui se composent pour former l'essence du corps qui est un certain rapport de composition. Tant que le rapport est effectué, le corps existe. Et si rien ne vient agencer les parties évanouissante sous un autre rapport, le corps continu d'exister. Le chien mange le chat, il décompose les rapports caractéristiques du chat pour s'assimiler les partries qui l'effectuent, sous son propre rapport caractéristique. Les parties du chat effectuent les rapports caractéristique du chien, et le rapport du chat n'ests pas effectué, le chat et mort. Dans tous les cas la mort vient toujours du dehors, un rapport caratéristique tend toujours à se conserver. Et si nous désirons la mort, c'est à dire ce qui est en mesure de la provoquer, comme Adam désire manger le fruit défendu malgré l'avertissement divin, c'est que nous sommes porté par les passions. Selon la raison nous ne désirons rien qui puisse nous porter préjudice puisque "chaque chose, selon sa puissance d'être s'efforce de persévérer dans son être", Prop VI, Livre III. Avoir des idées adéquates, c'est avoir les idées des choses bonnes pour nous, bonne pour notre essence singulière, des choses qui sont en mesure d'augmenter notre puissance d'être et d'agir. Avoir des idées inadéquates c'est avoir des idées passions, c'est être soumis aux contingences des mauvaises rencontre.
On peut donc désirer la mort, mais jamais se trouver dans un instinct de mort, c'est à dire une tendance inconsciente à la mort.
On peut au contraire se trouver dans un instinct de mort, sans aucune mesure avec un désir de mort, dès lors que les états morbides se manifestent. Tout n'est pas saisissable dans l'homme, mais ça n'est pas de la magie. Peut-être le corps a-t-il un code d'honneur (je ne crois pas, ça se saurait). Là où tu mets du désir, tu mets de la volonté, non ? Comment nommes-tu ce qui se fait sans volonté ?
Je vais réfléchir un peu à ça avant de répondre.
En passant, je peux dire peut-être que le désir est une faculté intermédiaire entre la passivité (instinct) et l'activité (volonté). Le désir n'est donc ni actif ni passif, c'est à dire ni instinct pur ni volonté pure. Il est l'entre-deux.
Pour Spinoza le désir est l'essence de chacun en tant qu'il est déterminé à faire quelque chose par sa constitution telle qu'elle est donnée, cette constitution telle qu'elle est donnée -peut-être à la faveur d'un coup de dès- est ce que "je" suis c'est à dire, tel ou tel mode de cette substance unique qui est dieu ou la nature.
Par suite je dirais (en forçant les textes de Spinoza) que l'instinct (je crois pas qu'il y ait d'instinct chez Spinoza) est ce qui se rapporte au corps seul, la volonté (ça c'est sûr) est ce qui se rapporte à l'esprit seul. Or comme l'esprit n'est jamais qu'une certaine idée du corps et de ses affections (donc instinct, mais instinct singulier et non spécial ou générique), le désir est ce qui se rapporte à la fois à l'esprit et au corps. Donc le désir est, disons le : intelligence, entre-deux.
Donc le désir est l'entre-deux. Par suite, il est le propre, en tant que l'entre-deux est le propre de l'homme. L'homme étant entre nature et dieu, c'est à dire qu'il est monde ou culture. Et d'une certaine manière, Oedipe, le séparé des dieux, l'errant et l'entre-deux. Nous sommes -tous- Oedipe. Non pas l'incestueux ni le parricide, mais celui de la révélation de Tirésias, celui de la déchéance, voire de la déréliction. Des maudits.
Le désir est essence de l'homme. Et hop au lit.
De Cyrille: "Comment nommes-tu ce qui se fait sans volonté ?"
Selon Schopenhauer, la Nolonté...
Ce coquin de schopenhauer !!! Il croit nous y prendre avec ses métaphysiques de la mort et de l'amour. Sacré coquin celui-là !!
D'après Freud 90% de nos actions sont faites de façon inconscientes, donc sans volonté. Nos désirs, qui ne sont pas assouvis, se transforment en désirs refoulés et nous manipulent. Ce qui se fait donc sans volonté ne peut être nommé qu'Inconscient.
Personnellement, je n'aime pas trop cette théorie mais jusque là très peu de personnes savent l'expliquer.
Je ne suis pas certain que freud ai dit ça. Qu'il appuie le fait de l'inconscient dans nos actes, d'accord, mais qu'il en fasse le moteur unique, je ne pense pas.
Merci en tous les cas à Lara d'être passé par là, et à cyrille d'y avoir répondu.
"métaphysiques de la mort et de l'amour"? ...si il y a bien deux choses aux antipodes de la métaphysique c'est bien celles-ci, et Schopenhauer le savait, lui qui ne se préocuppe que de Morale.
Et la métaphysique n'est affaire que de morale.
expliquez-moi je vous prie : si la métaphysique et l'amour sont si éloignés de la morale, de la notion de bien et de mal donc, lorsque le monsieur (Schop.) s'en fait une morale, c'est bien qu'il est coquin, non ?!