Le simulacre, l’essence du théâtre :

Lorsque les mythologies s’effondrent c’est dans la poésie que trouve refuge le divin. C’est dans la poésie –qui dit aussi le théâtre- que l’homme trouvera son salut, se sauvera de l’errance infinie sur la ligne d’un temps qui n’a ni origine ni fin. Le temps de la modernité.
Que nous offre le théâtre en remède à la condition tragique de l’homme moderne ? Le simulacre. Le simulacre c’est l’image qui n’est à l’image de rien, la différence, l’autre absolu, l’étranger, celui qui n’est pas d’ici, qui ne partage pas les valeurs du temps. Il est sans identité, sans origine, sans patrie et sans terre. Et si le simulacre se donne comme la puissance du faux c’est parce qu’il diffère, qu’il n’est pas l’égal. Il nous libère de la faute originelle et de l’origine perdue.
Le simulacre constitue l’essence même du théâtre, son fond, son invariant, qui se donne d’abord en s’opposant à l’idée de « sincérité » ou d’authenticité :
« Comment, par exemple jouer avec « sincérité » qu’on est mort, comment, « sincèrement », être le cadavre de Polonius dans la chambre de Gertrude ? »
C’est que, sans substance, les personnages sont des simulacres, leurs mots le sont aussi, que l’on pourrait habiter ou hanter d’autres chairs :
« Si une représentation théâtrale n’avait pas de fin définie, elle serait définitive. Si elle n’en finissait pas elle règlerait leur compte, une fois pour toutes, aux personnages, ces buées. Alors véritablement ceux-ci prendraient corps, ils prendraient le corps de ces acteurs-là ; alors seulement l’on pourrait, les désignant, s’autoriser à parler de caractères, les définir, les analyser comme des substances… »
Or précisément ils ne sont pas substance, ne possèdent ni qualité ni caractère. Ils sont tout parce qu’ils ne sont rien. Ils sont tous parce qu’ils ne sont personne. Un visage qui se prête à tous les noms du monde. Et à ce titre le théâtre permet la proximité du lointain. Le plus éloigné devient le plus proche. Le plus étranger devient le plus intime. Au théâtre l’éternel se donne sous les traits de l’éphémère :
« Le théâtre ne reste pas sur scène, c’est pour cela qu’il se transmet. Il cesse pour mieux durer. Il se retire… pour qu’on se souvienne ? »