La tragédie:

Quel lien unit le théâtre à la vie, qui serait aussi le lien de la vie au théâtre ? Comment l’un se nourrit-il de l’autre et réciproquement ?
Quels enjeux majeurs révèle et relève aujourd’hui pour nous le théâtre ?
C’est autour de l’idée de tragédie que nous articulerons la vie –autant intime que sociale et culturelle- au théâtre. Si la tragédie grecque classique, celle d’Eschyle par exemple, s’articulait sur l’idée de circularité, de corruption et de vengeance par le retour à une origine perdue ; la tragédie moderne développe l’idée d’un fantasme de l’origine à laquelle il est impossible de retourner.
La tragédie grecque classique constitue l’archétype des pensées et croyances d’inspirations platoniciennes et judéo-chrétiennes. Si l’homme est à l’image et à la ressemblance de Dieu, par le péché originel il a perdu la ressemblance tout en gardant l’image. Retrouver la ressemblance perdue, telle sera le but de l’existence humaine. Et ce retour à l’origine fut un temps, en droit toujours possible : Polynice tue Créon ; Oreste tue sa mère afin de venger la mort de son père accomplissant ainsi la volonté des dieux et le retour à l’ordre du.
Avec la tragédie moderne l’origine est à jamais biffée, la ressemblance est à jamais perdue. Telle est la condition de l’homme moderne qui, dans un processus de désenchantement du monde, a perdu tout lien au divin. Jeté au monde, il erre sur la ligne droite et infinie du temps. Tel Œdipe qui ayant accompli l’inceste et le parricide, se crève les yeux avant de s’exiler hors de la cité, apatride errant vers un destin toujours avenir, mais d’un avenir « atopique » plus qu’utopique, un futur qui n’ayant nulle origine, ne reviendra jamais. Telle est la situation de l’homme aujourd’hui. C’est un fait dont il ne nous revient pas de juger, et pour le quel nous n’avons pas à faire preuve de nostalgie mais de mémoire. Et cet acte de mémoire –par son essence- le théâtre l’accomplira.
Si cette dimension de l’origine manquante travaille en son cœur le théâtre de Daniel Mesguich, c’est qu’en son intimité de juif berbère exilé d’Algérie, elle vient aussi à manquer.