Lamarck est l’héritier de la tradition essentialiste aristotélicienne. Aristote qui établit la première taxinomie du vivant, classe les êtres par genre et espèce selon leur différence spécifique ou essence. Ainsi l’homme constitue dans le genre animal, l’espèce humaine selon la différence spécifique qu’est la rationalité. L’homme est parmi les animaux le seul qui soit doué de raison. Raison en grec se dit Logos, qui signifie aussi langage.
En régime essentialiste, si l’on veut tenir compte de l’évolution des espèces, il faut donc penser un changement d’essence. Si une espèce évolue, c’est que son essence évolue aussi, sa différence spécifique se transforme. Pour, de degré en degré, donner naissance à une espèce nouvelle. Concilier l’essentialisme hérité d’Aristote avec le principe d’évolution constaté dans la nature par l’apparition et la disparition d’espèces à des temps différents, s’avère une tâche ardue. Si l’identité selon l’essence est première dans l’espèce, comme l’espèce se modifie-t-elle ? Soit par le transformisme, soit par l’adaptation. Mais dans les deux cas, l’essentialisme bloque toute théorie cohérente d’évolution.
Les difficultés cessent si l’on change le principe de basse. L’espèce n’est plus définie par l’essence, elle est un nom et une forme arbitraire sous laquelle l’on range une certaine homogénéité de différences. Ce n’est plus l’identité mais la différence qui est au principe de l’évolution et de la classification. La question n’est plus de savoir comment une espèce se transforme, mais comment au contraire malgré toutes les différences individuelles au sein d’une même espèce, une certaine identité continue de se maintenir à travers les générations. Il n’est plus question de penser la transformation des espèces, puisque l’évolution en régime nominaliste, est au principe de la spéciation. L’espèce n’est plus première, c’est le singulier comme essence qui est premier.

L’évolution se joue sur deux plans, à la croisée de la nécessité et du hasard, de la reproduction sexuée et des circonstances extérieures.
Les circonstances extérieures sélectionnent les caractères les mieux adaptés. Mais cette sélection n’est ni voulue, ni rationnelle, ni finalisée. Elle est arbitraire, chaotique et accidentelle. La reproduction sexuée, au contraire introduit l’idée de nécessité sous la forme de conatus. Mais dans ce conatus ce n’est pas l’espèce qui se reproduit. La reproduction sexuelle affirme au contraire les différences individuelles. Et par une lutte dans l’espèce, l’être individuel concret tend à lui seul à être la mesure de l’essence spécifique. Il tend à affirmer ses propres comme des différences spécifiques.
L’individu qui se reproduit n’affirme pas l’espèce qui le dépasse par transcendance et le définit transcendentalement. Au contraire il affirme ses différences au mépris de l’espèce. Et si ces différences permettent de survivre au milieu et à l’extériorité, elles demeurent, et deviennent par suite la règle à l’aune de laquelle l’espèce se spécifie.
Au mépris total des théories rousseauistes, la nature est bien comme le pensait Hobbes le règne de la violence et de la lutte perpétuelle.