Dans son allocution, Sarkozy veut assumer le lien qui unit la nation française à l’église catholique. Ce lien est d’abord historique, il s’amorce avec le baptême de Clovis qui devient ainsi le premier souverain catholique et non pas simplement chrétien. Avec lui s’amorce, selon Sarkozy, la christianisation de l’Europe. Ce point, comme par ailleurs le concept de civilisation dont a fait usage Sarkozy le 31 décembre dernier, mériterait développement afin de justifier sa pertinence.
Ce lien entre la nation française et l’église catholique, se manifeste ensuite dans l’héritage culturel, l’architecture, la littérature...
En d’autres termes, la chrétienneté est pour nous une origine, que Sarkozy évoque en employant le terme à juste titre. Mais la notion d’origine possède cette caractéristique de ne jamais être univoque. C’est à dire que le sens de l’origine ne se transmet pas tout entier et en toute transparence, de l’origine à ce dont elle est l’origine. Et si elle évoque l’idée d’une antécédence et d’un commencement, ce commencement n’est que de fait, jamais de droit. Ce qui veut dire que l’origine n’est pas fondement. Si le terme fondement vient du latin fundare, fonder, sa traduction grecque serait celle de principe, archè : ce qui commence et ce qui gouverne. Le fondement est en même temps origine et principe. Il ramène au droit ce qui par l’origine n’est que de fait.
Et il est sémantiquement et idéologiquement faux, à mon sens de rapprocher comme le fait dangereusement Sarkozy, l’idée d’origine de celle de racine. "Les racines de la France sont chrétiennes" nous dit Sarkozy. L’origine n’est pas racine dans la mesure où l’on garde toujours une marge de liberté eu égard aux origines. L’origine -par son équivocité foncière- est soumise à interprétation, évaluation et transformation, elle est donc ce par quoi il y a culture comme transmission/héritage et transformation du sens de cet héritage pour une époque nouvelle. L’idée de racine pour sa part, bloque toutes ces possibilités et nous renvoie non plus à l’idée d’origine mais de fondement ou de principe, et nie par sa rigidité et son univocité toute possibilité de culture comme transformation et interprétation du sens de l’héritage.
C’est ici à mon sens la première erreur de Sarkozy.

Par la suite Sarkozy évoque l’idée de laïcité -liberté de culte, de croyance ou de non croyance- comme un autre "fait" de notre pays. C’est bien, remarquons le, que la chrétienneté n’est qu’un fait de notre nation et non un fondement de droit. La laïcité est la condition de la paix civile dans la mesure où elle concilie toutes les divergences de culte et de croyances qui se sont multipliés et développés en France. Mais la laïcité poursuit Sarkozy, ne doit pas être l’occultation "des racines chrétiennes de la France."
Il s’agit alors de valoriser les racines chrétiennes tout en défendant la laïcité. Dans la confusion de l’origine et des racines, cette valorisation semble vouée à l’échec. J’espère l’avoir assez démontré. Quoi qu’il en soit, sous quelle forme s’opère cette valorisation ?
C’est sous la forme de l’espérance que les racines chrétiennes peuvent être valorisées. L’espérance qui est seule capable -après l’échec des idéologie modernes que Sarkozy énumère en prenant soin de les distinguer, démocratie, valorisation de l’individu, progrès technique, morale laïque, nazisme et communisme- de donner un sens dans la transcendance à l’existence humaine, au-delà des préoccupations quotidiennes et matérielles.
La notion d’espérance dont Sarkozy nous donne une belle et juste définition en référence à Bernanos ("L’avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l’venir, on le fait. L’optimisme est une fausse espérance à l’usage des lâches. L’espérance est une vertu, une détermination héroïque de l’âme. La plus haute forme d’espérance, c’est le désespoir surmonté.") oblitère en même temps une des dimensions de la notion de religion. Le terme de religion possède en effet deux origines étymologiques : religere, recueillir, réfléchir qui renvoie à une dimension purement spirituelle du religieux d’une part, et religare d’autre part, qui signifie attacher, lier et qui renvoie à une dimension purement politique du religieux. En jouant sur cette double origine on passe d’une dimension verticale de l’homme à la divinité, à une dimension horizontale et politique par laquel le sens du religieux s’inscrit par la loi divine dans la communauté des hommes. Or la notion d’espérance, nous renvoie à la seule dimension verticale du religere religieux. Et la corrélation entre l’espérance et l’institution politique du religieux n’est pas, comme l’affirme Sarkozy, nécessaire. Sur cette schizophrénie de la religion se joue toute la difficulté du religieux. Ne pas apercevoir cette distinction, c’est ne rien apercevoir du tout, et c’est courir le risque d’une religion d’état.