La tragédie consiste d’une part à dénoncer par sa mise en lumière tout ce qui relève du désordre, de la corruption et du chaos, pour d’autre part ensorceller les éléments corrompus dans la réparation excercée par la justice. Quelque chose se passe qui doit être réparé. L’ordre doit émerger du désordre. Dans Antigone, Oreste tue sa mère Clytemnestre pour venger la mort de son père Agamemnon qui avait été tué par Clytemnestre, la mère d’Oreste. La tragédie consiste ici non pas à détruire purement et simplement mais à détruire pour venger. C’est le Bien que vise la tragédie dans le mal. La tragédie veut que le mal s’accomplisse en bien, que le désordre s’exhausse en ordre, car il s’agit bien d’une élévation d’un état à un autre, d’un monde à l’autre. Et dans cette économie du passage, c’est partout, pour l’antiquité grècque, que s’accomplit la tragédie.
Les grecs antiques tenaient pour distincts le monde sublunaire -c’est à dire le notre- et le monde supralunaire, le monde des astres. Cette distinction est aussi soulignée par celle opérée entre le cinquième élément, l’éther ou l’élément cosmique, et l’air. Notre monde est sans commune mesure avec le monde des astres. L’un est régi par le hasard et la corruption, le devenir et la mort, l’autre est ordonné, achevé et parfait, et donne dans ses mouvements, l’image mobile de l’éternité immobile. Il est donc pour nous, qui sommes sujets à la corruption, un exemple et un modèle. Image du divin, il doit être au principe de nos activités, praxiques et poiétiques.
Dès lors toute activité humaine devra consister pour les grecs, à imiter le divin par l’image que les astres nous en donnent, afin d’achever la nature en un monde où puissent séjourner les dieux. Tout création s’articule sur ce thème et ce principe.
Mais parmi toutes les productions humaines, il en est une qui les dépasse toute en ce domaine, c’est l’activité politique. C’est pourquoi en effet selon Platon dans Les Lois, "le nomothête est le véritable tragédien". Le nomothête, c’est à dire le législateur, est celui qui posant les lois, fonde et donne forme en même temps à la cité et à la polis conformément à l’ordre cosmique. La cité dont la forme est donnée par ses lois, a pour vocation d’arracher l’ensemble des activités humaines aux nécessités aveugles de la nature régie par le hasard et la corruption, le devenir et la mort, afin d’accomplir l’essence de l’humanité en son sein.
L’idée de la politique est indissociable d’une certaine idée de la nature delaquelle les idées de culture et de monde ne sont que dérivées.