C’est par le changement opéré dans la nature de l’idée de technique que s’opère le changement dans l’essence de la domination. La technique dans son acception grècque ne s’oppose pas à l’idée de nature. Aristote nous dit que la technique imite la nature pour la dépasser. Elle produit comme produit la nature, selon les quatre causes qui permettent de rendre raison et de connaître toute chose, puisque connaitre une chose c’est connaitre la cause par laquelle cette chose-ci est ce qu’elle est. Ces quatre causes sont la cause formelle, la cause efficiente, la cause matérielle et la cause finale. Tout ce qui est, s’explique par l’étude de ces quatre causes, que cela soit par nature ou par l’activité humaine technique. C’est en ce sens que la technique est imitation de la nature. En quel sens maintenant en est-elle un dépassement ?
Tout en imitant la nature, la technique dépasse celle-ci dans la mesure où elle produit ce que la nature était incapable d’oeuvrer par elle-même. Elle mène à l’éclaircie ce qui était retenu dans les puissances de la terre. La technique n’est rien moins que l’actualisation de ce qui était en puissance dans la nature. Elle achève la nature, l’amène à être ce qu’elle avait à être.
Si la technique grècque est une domination de la nature dans la mesure où produire il faut connaitre les causes qui font être, afin de produire comme seule la nature produit. Mais de cette connaissance de la production naturelle, de cette origine prométhéenne de la technique, comme d’un secret voler, ne se déduit aucune domination, aucun assujétissement. Puisque la production artificielle n’est qu’un moyen d’achever la nature. La domination n’est en vue que la libération. Connaître pour faire apparaître et non pour capter, assujettir et faire disparaître.

C’est le sens du combat, "père de toute chose" tel qu’il est explicité par Héraclite, qui se fait jour dans le rapport grec de la phusis et de la techné. La technique ne s’oppose à la nature qu’autant qu’elle celle-ci amène à l’éclaircie. Avec Descartes le rapport nature technique va prendre un tout autre sens. Si c’est en fait avant lui, c’est en droit avec lui que la technique devient arraisonnement de la nature. Puisque avec Descartes, la nature ou phusis n’est plus telle qu’elle est pour les grecs "un mode d’ouverture de l’étant, à partir duquel celui-ci est tel qu’en soi-même il est, c’est à dire se présente comme il se présente, et, dans ce mode de présence, est." Gérard Granel, Le sens du temps et de la percpetion chez E. Husserl. Car en effet, avec Descartes, l’étant n’a plus de fondement ontologique mais seulement noétique et noématique. C’et le sujet en tant que substance pensante (Descartes conserve par la substance les détermination ontologiques grecques et surtout scolastique, en tant que substance est la traduction latine du grec ouisa, qui se traduit aussi par essence) qui rend raison de tout ce qui est. Le cogito devient le fondement de la connaissance des choses. Une différence de nature ou pour mieux dire une distinction réelle entre substance pensante et substance étendue. De cette distinction naît l’arraissonnement, de la nature au sujzet pensant au moyen de la technique.
C’est donc avec Descartes que s’opère le véritable assujettissement technique de la nature. La technique n’est plus en vue de la nature, de son achèvement et épanouissement, elle va dans le sens du sujet lui-même selon les processus que Heidegger analyse précisément dans ses cours et conférences. C’est donc avec la révolution cartésienne que la technique devient arraissonnment et assujettisement de la nature pour et par le sujet pensant.

S’il y a lieu de parler de domination de la nature par l’homme à l’époque médiévale, celle-ci ne sera pas déjà ce qu’elle est avec et aprés Descartes, dans la mesure où pour les latins dont l’ambition consiste à réunir les écritures judéo-chrétienne et la pensée grècque, il n’y a pas de distinction réelle entre les substances. En effet, dans son Discours contre ceux qui rejètent les images, en 730, trente ans avant le Concile de Nicée II, Jean Damascène écrit : "La matière est l’oeuvre de Dieu et elle est bonne ; mais toi qui, si tu dis qu’elle est mauvaise, soit tu nies qu’elle provienne de Dieu, soit tu rends Dieu responsable des maux." Dans tous les cas rejetter la matière, c’est nier la puissance de Dieu. Il y a sans doute une égale dignité ontologique entre l’esprit et la matière. C’est ce qu’affirmait aussi Héraclite aux visiteurs surpris de le trouver dans sa cuisine. Les choses divines sont aussi ici bas.