Quel danger masque l’effacement de la différence ontique entre l’homme et l’animal ? Il va sans dire que la question de la différence ontologique est depuis longtemps dans l’oubli redoublé. Mais ce n’est pas le problème ici. Toujours dans un mépris total d’une réelle connaissance philosophique de la question. La science moderne se targue d’être en mesure d’effacer ce qu’elle range sous l’espèce d’une idéologie philosophique, toute différence entre l’homme et l’animal. Rappelons d’abord qu’il existe deux sortes de différences : les différences de nature telle qu’entre l’inerte et l’animé qui sont sans commune mesure, et les différences de degré telle qu’entre l’homme et l’animal. S’il y a pour Aristote des différences de nature entre l’inerte -soit la pierre- et l’animé -soit le vivant, il n’existe pas de différence de nature entre l’homme et l’animal. L’un et l’autre ne sont séparés que par une différence de degrés. La classification aristotélicienne s’articule en genre, espèce et différence spécifique. De telle sorte, dans le genre animal l’homme forme une espèce par la différence spécifique qu’est la raison. De tous les naimaux -au genre desquels l’homme appartient- l’homme est le seul qui soit doué de raison. Le critère de la différence spécifique par laquel une espèce se constitue dans le genre peut s’avérer problématique. En effet selon la définition que l’on va attribuer à la notion de raison, il peut se faire qu’une espèce du genre animal s’en trouve dotée et tombe du côté de l’espèce humaine. La définition de la raison telle qu’Aristote l’entendait n’est plus recevable aujourd’hui, elle est la partie supérieure de l’âme dont seul les hommes sont doués. Elle est plus que la raison discurcive raisonnante, elle nous permet d’appréhender de façon intuitive, c’est à dire immédiate, les premiers principes. Animaux et végétaux possédant en commun avec l’homme les parties inférieures de l’âme : partie végétative et partie sensorimotrice. Si toutes les différences spécifiques sont recevables, une seulement est pertinante. Rappelons-nous de Diogène qui jetait un poulet déplumé en s’écriant "voici l’homme" lorsqu’on avait défini celui-ci comme un animal sans plume, ce qui est vrai mais non spécifique.
La question est donc : Existe-t-il une différence spécifique capable de spécifier l’homme dans le genre animal ?
Pour Descartes la procédure aristotélicienne de définition par classification n’est pas bonne, car si l’on définit homme par animal et raison, il faut ensuite être en mesure de définir ce qu’est un animal et ce qu’est la raison, et ainsi de suite à l’infini. Or dans la recherche de la vérité, il faut savoir s’arréter. Il faut donc partir d’un premier terme indémontrable ou indéfinissable à partir duquel tout pourra être démontré et défini. Ce premier terme sera le cogito, le "je pense", la conscience réflexive dans laquelle s’établit l’identité de la pensée et de l’être et que rien ne peut contredire. Car "quoi qu’on veille me tromper tout le temps il ne peut se faire que je ne sois pas dès lors que je le pense". Mais loin de prétendre définir l’homme, le cogito est le fondement de la science et la vérité. Et Descartes aura d’ailleurs les plus grandes difficultés à penser l’homme concret, l’homme dans le monde qui n’est pas que pure pensée, qui est aussi corps et passion. C’est pourquoi il n’est pas tout à fait exact de dire qu’en philosophie la différence ontique entre l’homme et l’animal serait de nature.
Si elle n’est pas de nature cette différence, elle est de degré. Or la biologie moderne selon la classification phylogénétique tend à effacer toute différence spécifique dans un continum. L’homme total, dans le processus scientifique de désanchantement du monde, est ramené du coté des objets de la nature, sans zone d’ombre, sans spécificité même indéfinie ou indéterminée.
Or dans la mesure où l’arraisonnement de la nature constitue la dimension cachée ou l’horizon idéologique de la science, l’homme réduit tout entier à un objet de science court le plus grand danger. Ce que la science veut c’est "se rendre comme maître et possesseur de la nature", donc de l’homme dès lors que celui-ci est réduit à la nature sans autre spécificité. L’homme du XXI siècle court le risque de n’être plus qu’un simple objet de laboratoire, ce qu’il est effectivement aujourd’hui. Mais répétons le, cela n’est qu’idéologique, aucun des objets de la science -ni le nombre, ni l’atome, ni l’ADN, etc.- n’existent. Ils sont des abstractions idéologiques à l’horizon desquels la nature et l’homme avec elle, sont arraisonnés.

Remarque : on appelera différence ontique la différence entre deux étants.