La singularité ne peut être pensée que sur fond(s) de quelque chose d’autre, l’universel compris à partir de l’univocité ontologique. Avec la singularité nous avons toujours affaire à un point extrême de concrétion, un point d’incandescence, de changement d’état ; un plan qui se singularise, une tournure ou un style, une manière d’être au double sens du génitif. Une manière d’être en tant que manière de l’être. Mais d’un être univoque, qui se dit en un seul et même sens de tout ce dont il se dit. Comme du blanc s’arrache du plan autant de nuances, de tournures ou de styles du blanc ; de concrétions singulières, inimitables et insubstituables. Toute singularité n’est qu’une manière d’être singulière de l’être univoque, c’est-à-dire autant de la substance que de l’éternel retour (devenir, multiple, hasard). Il s’agira donc de distinguer deux plans : la substance et les modes. Mais seulement avec l’éternel retour, le plan sera dit d’immanence.
Le singulier n’est alors rien d’autre qu’une affirmation pure qui s’affirmant, affirme toute chose. Parce qu’il est d’abord affirmation de tout le multiple, du devenir et du hasard, il s’affirme comme un, être et nécessité. Il s’affirme comme singularité en affirmant "l’éternel retour", le hasard, le multiple, et le devenir. A ce titre, l’éternel retour s’intonne à la substance spinoziste, et la volonté de puissance trouve un écho dans les modes finis comme essences singulières ou manière d’être, manière de l’être.
A ce titre Nietzsche n’est critique pas de l’ontologie, mais seulement de la métaphysique. Dans la mesure où toute métaphysique suppose comme en son fond une morale, une norme, l’idée de Bien supérieure à l’être et principe de l’être, ce par quoi l’être est être, le fondement.
Une ontologie pure au contraire s’oppose aux présupposées moraux de la métaphysique. Elle affirme l’être dans son univocité comme plan, de Duns Scot à Nietzsche en passant par Spinoza. Il est sans doute possible d’établir une continuité de Spinoza à Nietzsche. Chez ce dernier en effet, l’éternel retour peut tenir le plan de la substance univoque et la volonté de puissance se donner comme mode. Cependant, alors que les modes chez Spinoza s’affirment d’autre chose, c’est à dire de la substance, la volonté de puissance s’affirme d’elle-même, et s’affirmant d’elle-même, affirme toute chose. Car la volonté chez Nietzsche trouve sa forme accomplie dans l’héautonomie. C’est ici le point à partir duquel Nietzsche passe outre Spinoza.
Il est possible de distinguer trois formes de volonté selon l’objet qui la détermine. Si elle est déterminée de l’extérieur par l’objet qu’elle veut, la volonté sera dite hétéronome. Telle est la forme platonicienne de la volonté qui veut le Bien suprême, l’idée de Bien, supérieur à l’être, qui détermine et rend raison de tout ce qui est. La volonté sera dite autonome lorsqu’elle se donne à elle-même la règle de son propre exercice ainsi que l’objet de son vouloir. Telle est la volonté kantienne de la Critique de la raison pratique. Nous appèlerons héautonome la volonté de style nietzschéen. Dans la mesure où la volonté de puissance consiste, par l’affirmation de soi, dans l’affirmation de toute chose, bref de l’universel, l’être comme devenir, comme éternel retour. C’est pourquoi il semble encore une fois difficile de parler d’une critique de l’ontologie chez Nietzsche dès lors que l’on détermine l’être comme l’être du devenir.
La singulartité s’affirme dans l’être parce qu’elle affirme d’abord le devenir, le hasard et le multiple. Pour bien comprendre il faut se référer à l’exemple du coup de dès dans Nietzsche et la philosophie de Deleuze.
Si pour Spinoza les modes se disent de la substance, il y a une indifférence de la substance et des modes par quoi la substance ne se dit pas des modes. Avec Nietzsche en revanche, la volonté qui s’affirme dans sa puissance, affirme l’éternel retour, c’est-à-dire le devenir, le multiple et le hasard. Il y a donc sans doute continuité et rupture entre Spinoza et Nietzsche. Continuité sur l’idée de plan et d’expression. Rupture sur la radicalité de l’immanence du plan. Mais la rupture ou plutôt l’écart se résorbe sans doute dans la ligne de fuite d’une éthique acosmique relevant du jeu et de la tragédie, de la légèreté et de l’amor fati.
4 commentaires
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Une exège très fine (comme dab!) de Deleuze!
Perso, je ne comprends pas comment l'eternel retour tient lieu de plan.
tu dis ""l'éternel retour", le hasard, le multiple, et le devenir". Il me semblait au contraire que l'eternel retour est le retour éternel du même, éternité d'un devenir identique des forces en presence.
Enfin bon...il ya quelque chose qui m'échappe dans cette doctrine de l'eternel retour. Ce qui me pose problème c'est que l'affirmation nietzschéenne de soi est affirmation d'un soi égoiste et qui ne vise nullement l'interet de l'"humanité" ou de l'universalisable. (c'est pourquoi je t'ai dit que je doute d'une éthique en tant que telle).
La surhumanité nietzschéenne, si on la définit comme un état d'harmonie des forces, peut posséder une certaine universalité: "Je vous enseigne le surhumain".
Mais, pas seulement, car Nietzsche promeut un type d'humanité, de "manière d'etre", de type d'existence, une hiérarchie vitale...
C'est cette idée de hiérarchie qui me dérange.
Selon moi, Nietzsche n'est pas Spinoza.
Spinoza dresse une géométrie des affects. Chez lui, le bien devient l'universellement utile. "J'appelle bon ce que l'on peut demonter avec ccertitude ce qui est utile pour nous". Impensable chez Nietzsche...
Je crois que tout se joue sur la compréhension de l'éternel retour. Je crois que c'est sur la compréhension de cette notion que s'articulent deux interprétations contradictoires de Nietzsche. Qu'est qui revient dans l'éternel retour ? ce n'est pas le retour du même, mais le retour lui-même. Il y a une inversion des valeurs chez Nietzsche de ce point de vue. L'être, l'un, le nécessaire, bref l'eidos pour Platon rend raison du multiple, du devenir et du hasard. Pour Nietzsche au contraire, l'être, l'un, le necessaire s'affirment de l'affirmation du devenir, du multiple et du hasard, sous l'espèce de l'éternel retour. J'insiste peut-être lourdement sur ce point, mais à mon avis c'est primordial.
Par suite, c'est dans et par l'affirmation (le dire oui) du fatum duquel nous provenons, que l'on est aussi responsable de tout ce qui en est issu. De ce point de vue il est possible, je pense, de parler dune éthique nietzschéenne. Mais il s'agit d'une éthique sans monde, au sens où Heidegger analyse la notion de monde comme sollicitude et préoccupation. C'est sur ce point aussi qu'il peut y avoir une corrélation avec une éthique spinoziste qui serait issue du troisième genre de connaissance.
Humph, you've changed my mind! Your arguments are convincing indeed. Despite I'm not a person who is easy to be convinced.
génial, ils sont de plus en plus réalistes ces spams.