Attitude prométhéenne et attitude orphique caractérisent les rapports de l’homme aux secrets de la nature. Voir à ce sujet Le voile d’Isis de Pierre Hadot.
"La nature aime à se cacher", affirmait Héraclite, il s’agira donc de la dévoiler pour en saisir les secrets. L’attitude prométhéenne tend à percer les secrets de la nature par la technique, la force et la ruse technique, afin d’arracher à la nature ce que la nature ne nous a pas d’elle-même donné. La technique du feu est à cet égard exemplaire. Prométhée vole le feu à Zeus pour l’offrir aux hommes. L’invention technique est un moyen de dévoiler la nature et d’en comprendre les secrets. Mais c’est aussi la source de l’arraisonnement, de la mise au profit de l’homme des forces de la nature.
L’attitude orphique demeure dans la contemplation de la nature, et par la contemplation et la production d’oeuvre d’art, elle vise à dévoiler les secrets de la nature. Elle respecte la nature dont les forces passent et s’expriment dans les forces poétiques du langage, lorsque l’attitude précédente la soumet à un violent questionnement.
Dans tous les cas la nature -comme tout phénomène- se dissimule dans ce qu’elle montre. Heidegger dans Etre et Temps définit trois manières pour le phénomène de se dissimuler dans ce qu’il donne, de se montrer comme ce qu’il n’est pas :
1) Le phénomène qui s’oppose à la chose réelle. C’est par ce qu’il peut se montrer à partir de lui-même que le phénomène peut se montrer comme ce qu’il n’est pas. Le beau par exemple, qui se montre sans se montrer lui-même la belle chose, la fille ou la coupe. Ou encore le bien qui sans se montrer lui-même se montre dans la bonne action.
2) Le phénomène pris comme symptôme. Voir la maladie comme symptôme consiste pour le médecin à voir la même chose que tout le monde, mais conclure différemment de tout le monde par la sagesse qui lui est due. Ici encore le pjhénomène se montre comme ce qu’il n’est pas. La maladie se montre sans appraitre par signe ou symptôme. Et le symptôme -ou le signe- apparait sans rien montrer, il fonctionne comme indice à interpréter. La maladie est un phénomène qui utilise un autre phénomène que lui-même pour apparaître.
3) Le phénomène comme pure production d’illusion dans le but de tromper, de dissimuler. C’est le cas des phénomènes pris dans leur opposition à la chose en soi chez Kant, qui se donne pour ce qu’ils ne sont pas, de pures illusions. Le phénomène ici se montre à la mesure de ce qu’il dissimule. C’est aussi le cas de la peinture telle qu’en parle Pascal dans ses Pensées : " Quelle vanité que la peinture qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux. " Avec Heidegger nous pouvons dégager trois manières pour le phénomène de se manifester : Comme apparence indistincte de la chose même, comme symptôme qui renvoie à ce qu’il ne montre pas, et comme pure illusion où ce qui se montre dissimule qu’il ne montre rien de ce qu’il est, la chose en soi.
Apparence, renvoi et dissimulation sont aussi trois modes de voilement de la nature, recquérant chacun trois attitudes particulières : attitude prométhéenne, attitude orphique et l’attitude scientifique moderne dont la méthode fut instituée par Descartes.
C’est donc l’attitude cartésienne de la science moderne qui va nous intéresser ici dans son rapport au dévoilement de la nature et dans la manière dont elle anticipe la distinction fondamentale de Kant entre le phénomène et la chose en soi.
La méthode cartésienne est celle d’une mathesis universalis qui consiste à former des séries à partir de natures simples où chacun des éléments se connaîssent les uns à partir des autres. Il s’agit donc pour Descartes d’établir de l’ordre dans la connaissance : "Les longues chaînes de raisonnement dont se servent les géomètres m’avaient donnés l’occasion de m’imaginer que tout ce qui tombe sous la connaissance humaine s’ensuivait de la même manière." Discours de la méthode.
Dans la règle 6 des Regulae, Descartes nous dit que la connaissance des choses selon l’ordre suppose "d’envisager les choses non point par la nature mais de les examiner sous l’aspect de leur utilité possible poour notre propos. Ce qui revient à les comparer entre elles pour les connaitre les unes à partir des autres" et donc àrenoncer à les connaitre par soi et en soi. La méthode cartésienne consiste à faire abstraction de la vraie nature des choses pour les considérer sous l’aspect qui intéresse notre connaissance. L’Epistémologie s’oppose radicalement alors à toute ontologie. Il ne s’agira plus avec Descartes de dévoiler les secrets de la nature d’opérer un dépassement de l’étant vers l’être de l’étant, de dévoiler l’inapparaissant dans l’apparaissant, mais d’en rester à un niveau purement ontique et utilitaire.
Voilà la méthode cartésienne qui portera son empire bien au-delà du XIX siècle Nietzschéen, consistant déjà avant Kant à renoncer à la chose en soi, pour s’attacher à une description utilitaire des phénomènes afin des les soumettre à l’ordre rationnel des hommes. En celà Descartes restera conforme aux dogmes religieux : soumettre la nature tout en laissant voilé son être même ou sa genèse.