L’action du travail est double. Le travail agit sur un produit extérieur qu’il modifie, et il agit en retour sur celui qui travaille. Le travail possède cette vertu de transformer l’agent en patient.
Le travail est donc compris selon une double production, il agit sur le travailleur de telle sorte que celui-ci se produise dans ce qu’il produit. En tant que production, le travail nécessite un certain savoir faire. La notion travail ramenée à celle de production s’articule dès lors autour de la notion de technique. Le mot "technique" provenant du grec techné, signifiant "savoir faire". C’est le "savoir faire" qui donne forme à celui qui le possède. De simple attribut que j’ai, que je possède, le savoir faire qualifie l’être de celui qui le possède. Je suis celui qui possède tel ou tel savoir faire. C’est par sa fonction qu’un être s’individualise. La question du travail s’articule donc en son origine à la question de l’individuation, question de l’être singulier concret. C’est par le travail que le "je" s’énonce et devient forme. Telle est l’interprétation Platonicienne de la technique.
Lorsque le travail ne recquiert plus aucune technique, aucun savoir faire spécifique, le travail trouve sa première forme d’aliénation. Si le travail ne recquiert aucun savoir faire alors le travailleur est substituable dans sa fonction. N’importe qui pouvant faire le travail à la place de n’importe qui, le travail perd dès lors sa vocation d’individuation. La révolution industrielle et l’organisation moderne du travail ont transformé l’homme au travail en simple porteur d’outil. De l’homme usant de son outil, on est passé à l’aire de la machine qui use son usagé.
La crise du travail rejaillit sur la crise de l’individuation. Si le travail perd sa destination originelle, il faut penser et élaborer de nouvelles formes d’individuation, dessiner des nouvelles lignes de devenir. C’est sur le plan de l’individuation que doit être ramené le problème du travail, faute de quoi la question concernant le travail n’a plus aucun sens.