Le temps n’est pas, il n’est pas un étant ni sur le mode des étants. Pas la peine d’en discuter, c’est comme ça. C’est à dire ? D’une part 1) le temps est ce par quoi il y a du non être. En tant que "ne pas être encore" selon la dimension du futur, et en tant que "n’être déjà plus" dans sa dimension du passé, le temps est ce qui fait passer le néant à l’être présent et l’être présent au néant. D’autre part 2) le temps est ce dans quoi tout apparaît sans jamais apparaitre lui-même. Sans anticiper sur l’ontologie heideggérienne, bien que le thème en soit déjà une propédeutique, le temps est structure de l’être en tant qu’il est forme de l’apparaitre.
Si l’être se détermine par rapport à l’ousia (essence ou substance) l’ousia se caractérise par la présence, ce qui demeure sous les changements. D’Aristote à Descartes, l’être présent à soi définit l’ousia donc l’être. Ainsi l’être est temporellement déterminé.
Kant qui refonde la métaphysique dans les limites de la raison humaine, donne au temps un rôle essentiel dans la constitution de l’expérience réelle par les trois synthèses et dans la constitution de l’expérience possible par la détermination temporelle des catégories dans le schématisme. Par quoi toute connaissance suppose dans sa structure une double détermination temporelle.
Le temps est ce dans quoi tout apparait, se fait et se défait, demeure et se connaît. Par quoi la question du temps qui peut sembler surexploitée, n’est jamais surdéterminée.
La question que nous voudrions poser, savoir si le temps est dans les choses ou dans la conscience.

Les deux positions se tiennent et se soutiennent mais ne reviennent pas au même.
Mettre le temps dans les choses, suppose une lecture du temps qui va du passé au présent et du présent au futur, selon le sens vulgaire du temps, les choses sont parce qu’elles n’étaient pas encore et parce qu’elles ne seront plus. Les choses vont du passé au présent et du présent au futur. La science classique met le temps dans les choses selon le principe d’entropie qui déploie le sens de l’irréversibilité dans le sens courant du temps : passé, présent, futur.
Mettre la conscience à l’origine du temps suppose, d’une part qu’il n’y ait pas de temps dans les choses, d’autre part que le temps soit lu à partir de l’avenir vers le présent et du présent vers le passé. Le temps nous dit Claudel est le moyen offert à tout ce qui sera d’être afin de n’être plus. Moyen offert, don de l’extérieur fait aux choses, afin qu’elles aient du temps, c’est à dire du néant, du non-être : ne pas être encore et n’être plus. Mais ce non-être n’est pas inscrit dans les choses, c’est la conscience qui néantise. L’être est trop plein pour qu’il y ait du temps, c’est à dire du non-être. Telle était l’intution géniale de Saint Augustin qui, sans doute sous l’impulsion théologisante de la négation du néant, remanait celui-ci dans la finitude de la conscience humaine. Que de choses il faut ignorer pensait Valery, pour pouvoir agir. Ainsi pour Saint Augustin comme d’ailleurs et bizarrement plus tard pour Sartres, l’être est un être plein et positif qui ne dissimule rien, de part en part transparent, sans virtualité ni possibilité. Toujours en acte, toujours plein et réalisé. Ce qui est pour nous l’est aussi en soi. L’exemple du quartiers de lune pris par Sartres l’atteste en effet. Pour Sartres, le quatiers de lune que je vois dans le ciel, n’est pas la partie d’un être plus complet mais dissimulé. La lune entière se tient dans l’éclaircie de son quartier. Elle est toute entière ce quartier et rien au-delà. De même pour saint Augustin c’est pour moi que les choses ne sont plus ou ne sont pas encore. Car elles sont toujours pleinement présentes au monde. Imaginons que je me tiennes au bord d’un fleuve sur le quel passe à cet instant, un bout de bois. Avant qu’il ne soit pour moi, il était encore pour un autre. Et lorsque pour moi il ne sera plus, il est déjà pour un autre. C’est que l’être demeure présent et c’est pour moi et par moi qu’il y a du temps donc du néant c’est à dire du non-être.

Comment alors le temps se constitue-t-il ?
Le temps lu dans les choses, va du passé au présent et du présent au futur. Il est lu au fil du principe d’entropie qui postule l’irréversibilité des phases de l’être. L’être devient selon un processus irréversible. Le temps est lu selon le schème de la causalité efficiente. C’est l’état antérieur de l’univers qui détermine son état présent, lui-même déterminant à son tour son état futur -enchaînement causal qui va de la cause productrice à l’effet produit d’instant en instant sous l’ordre de la loi physique. Le temps est une variable de l’être qui permet d’en rendre le processus et d’en prédire l’avenir. C’est pourquoi -d’une logique identique à celle de Galilée- Laplace pourra dire qu’il n’a plus besoin de Dieu pour expliquer l’univers puisqu’il en connait le langage qui est celui de la mathématique formalisant le temps comme variable de l’être.
Mais si l’on considère la conscience comme étant l’origine du temps, le temps est maintenant constitué selon le schème de la causalité finale dont le principe est le souci. La ligne du temps se renverse par rapport à la conception vulgaire du temps héritée de la science. Le temps lu à partir de la conscience va du futur au présent et du présent au futur. Pour qu’il y ait du temps, nous dit saint Augustin qu Livre XI des Confessions, il faut -outre la présence du présent (dans le monde)- la triple présence du passé du présent et du futur (dans la conscience). Seule la conscience tient ces trois dimensions ensembles sous la forme de l’intentionnalité, où la conscience soucieuse se dirige vers le futur afin de déterminer le présent pour le faire passer. L’exemple de la récitation est particulièrement éclairant à ce titre. Lorsque l’on récite un poème, la conscience s’oriente vers le poème tout entier qui demeure par lui-même tout entier présent hors de la conscience qui le temporalise. La conscience est donc d’abord tourné evers le futur de ce qui doit être dit, qu’elle présentifie afin de faire croitre le passé par diminution du futur au fur et à mesure de la récitation. La conscience est attentive, elle attend et enfin se rappelle.
On retrouvera le même processus dans la triple synthèse du temps chez Kant dans l’Esthétique transcendantale. C’est la synthèse pure de la recognition dans le concept qui détermine les deux autres synthèses du présent et du passé.