L’être en tant qu’être :

Au livre A de la Métaphysique, Aristote affirme qu’il existe une science de "l’être en tant qu’être". L’être provenant du terme grec to on, cette science sera dite ontologie.
Or cette science n’est jamais décrite par Aristote. Elle ne peut d’ailleurs pas l’être dans la mesure où jamais n’est posée la possibilité d’une "être en tant qu’être".
Pascal dans De l’esprit de géométrie, mettait l’être du côté de ces termes si clairs et évidents (avec le temps, l’espace, le nombre et le mouvement) qu’on risquait de les obscurcir en voulant les définir. C’est que la question de l’être est toujours présupposée dans tout questionnement aussi bien que dans toute réponse, sous les formes de "Qu’est ce que l’être", et "L’être c’est". S’interroger sur l’être présuppose donc toujours une précompréhension de l’être, de telle sorte que l’être étant impliqué dans tout questionnement, il ne peut lui-même être questionné.
Pourtant Aristote affirmait l’existence d’une science de l’être en tant qu’être. Et cette affirmation n’a pu -car elle ne le devait pas- passer sous silence. Cette question hante toute la philosophie médiévale.

Equivocité de l’être :

Si Aristote pose en fait la question d’une science une de l’être un, science de l’être en tant qu’être, en droit il ne peut la résoudre dans la mesure où il n’y a pas de signification univoque de l’être. L’être se dit en plusieurs sens de tout ce dont il se dit. Autrement dit l’être est équivoque. En effet la signification de l’être repose sur le sens de la copule "est" dans un jugement attributif : "A est B", ou bien "Socrate est un homme". Or l’être de A ou de Socrate se dit en autant de sens qu’il y a de prédicats attribuables au moyen de la copule "est" au sujet desquels ils sont dit (A ou Socrate) : Socrate est un homme, mais aussi bien Socrate est grand de trois coudées... Mais ces sens ne sont pas en nombre infini. Aristote les restreint au nombre de dix. Ces dix sens ou significations différentes par lesquelles l’être se dit d’un sujet, sont les catégories, Traité des catégories. Les catégories sont les concepts qui se disent de tout objet d’une expérience possible. L’ensemble des catégories doivent pouvoir épuiser tout le sens d’un sujet possible, décrire dans sa complétude la signification d’un être. Se sont en d’autres termes les traits généraux à partir des quels se dessine une figure particulière. Tout objet d’une expérience possible a nécessairement une essence, une quantité, une qualité, une relation, est quelque chose de possible ou d’impossible, de nécessaire ou de contingent, a ou n’a pas d’existence... L’être d’un sujet se dit donc en autant de sens qu’il y a de catégories.
Par conséquent, l’être ayant une signification équivoque (l’être se dit en plusieurs sens de tout ce dont il se dit, et ces sens sont aussi nombreux qu’il y a de catégories), il ne peut y avoir de science une de l’être un. L’ontologie devient donc une science problématique. Peut-on établir une science de l’être en tant qu’être, tel qu’Aristote semblait malgrés tout le revendiquer ?

L’unité aristotélicienne de l’être, l’ontologie comme ousiologie :

On voit donc que pour Aristote selon le Traité des catégories, il est impossible de postuler pour unité de l’être. L’être ayant autant de significations qu’il y a de catégories. Pourtant ses significations ne sont pas sans commune mesure. Elles ont un rapport intérieur et noologique. Les significations multiples de l’être se laissent toutes ramenées à la première des dix catégories, l’ousia, que les latins traduirons comme "substantia" ou comme "essentia". Ousia signifie donc indifféremment essence ou substance. C’est parce que Socrate est selon son essence -première des dix catégories- un homme, que peut lui être attribué en vérité toute la série de ses déterminations. Ce qui se dit en vérité d’une être c’est à dire de façon non accidentelle, se dit par rapport à ce que cet être est par essence : le genre ou l’espèce. Socrate est par essence un homme, il appartient à l’espèce humaine, telle est sa définition essentielle, ce par quoi Socrate est ce qu’il est. Et cette détermination essentielle d’humanité se laisse saisir dans la détermination particulière et individuelle car l’être individuel concret est à la croisée du particulier et du général. En effet, ce chaval-ci m’en dit plus sur l’essence spéciale du cheval que la "chevalité" prise abstraitement.
Pour tant si la détemination ontique de l’être individuel concret -Tode ti- se laisse ramenée à sa détermination essentielle, il existe autant de déterminations de l’être qu’il y a d’essences spéciales ou génériques. Que l’être de Socratre se lise et se détermine au travers de sa détermination essentielle : "être un homme", que l’être de "minou le chat" se lise et se détermine au travers de sa détermination essentielle : "être un chat", ou bien encore que l’être de cette chaise-ci sur laquelle je suis assis, se lise et se détermine au travers de l’essence même de la chaise, de ce qu’est une chaise, il n’en demeure pas moins qu’il existe une pluralité d’essences irréconciliables les unes aux autres. L’équivocité de l’être se répercute donc sur la pluralité des essences. Comment alors penser les rapports ontique de l’être-homme, de l’être-chaise, de l’être-cheval, de l’être-dieu ou de l’être-tique ?
La question reste ouverte -comme ultime possibilité d’une ontologie- de savoir si l’être peut être pensé univoquement, si l’être se dit en un seul et même sens de tout ce dont il se dit, du chien, de la tique, de l’homme...

L’impossibilité théologique de l’univocité de l’être :

Si l’équivocité de l’être met en péril la possibilité même d’une ontologie, et par-là celle d’une métaphysique, l’univocité de l’être met pour sa part en péril l’univers conceptuel de la théologie. Si la science de l’être en tant qu’être exige la possibilité d’une signification univoque de l’être, une telle signification si elle est possible n’est pas tenable du point de vue de la théologie. Car il n’est en effet pas possible pour une pensée de Dieu, de dire que l’être de Dieu puisse se dire dans le même sens et avec la même diginité que l’être des créatures.
Pour qu’il y ait une ontologie il faudrait que l’être puisse se dire en un seul et même sens de Dieu, du chien, de la tique ou de l’homme -une signification une de l’être comme objet de l’ontologie. Mais pour la théologie -qu’elle soit grecque ou qu’elle soit celle des trois livres- il est inadmissible que l’être puisse se dire en un seul et même sens de Dieu, du chien, de l’homme ou de la tique.
Si en fait la problématique de l’équivocité de l’être se pose, il semble qu’elle doive se répercuter en droit entre l’impossibilité de penser l’être soit comme univoque soit comme équivoque. La question devient d’autant plus problématique pour la philosophie médiévale qui tente de faire tenir ensemble les écritures saintes -quelqu’en soit le livre- et la philosophie aristotélicienne.

A suivre