Faisons l’idiot pour commencer et proclamons au paradoxe : Comment donc le rien pourrait-il se manifester ? S’il n’y a rien en effet, qu’est ce qui de rien est en mesure de se manifester ?
Le sens commun, et Descartes en chef de file, dira : rien. De rien rien n’advient. Ex nihilo nilhil fit.

A la limite peut-on concéder ceci : que le rien soit condition de toute apparition. Du silence s’élance la musicalité comme de la blancheur de la toile s’élance l’aspect du trait. Mais que le rien lui-même ne cesse de se manifester, non pas question. Si quelque chose se manifeste à partir du rien, ce quelque chose n’est pas rien. C’est bien quelque chose que j’entends ou que je vois, ou que je touche, que je sens, etc... Même Descartes aprés toute réduction ou néantisation, consent à donner existence à ce morceau de cire, dès lors que ses qualités sensibles, sont ramenées à une inspection de l’esprit, ramenant par son activité, la diversité des sensations à l’unité de l’objet.

Mais ne pourrait-on objecter au crédit de la manifestation du rien, l’astuce de son redoublement ? La négation de négation est en effet une affirmation. Concrètement alors, nous pourrions penser à quelque chose comme un carré blanc sur fond blanc ; du rien, le rien se manifeste. Mais l’astuce rhétorique ici consiste à confondre le blanc et le rien. Rien n’est pas blanc et blanc n’est pas rien. De même que la négation n’est pas rien, elle est quelque chose. Le rien en est réduit à un simple concept rhétorique qui n’a pas d’existence réelle. De surcroît, la généalogie du terme l’atteste. Le mot "rien" provient du latin res, qui signifie "chose". Et le mot "chose" qui se dit res provient du latin causa qui signifie "cause". Le mot rien ne signifie pas rien puisqu’il signifie chose.

Là où nous en sommes alors, c’est que le rien n’est rien. Simple activité de l’esprit, espèce de faux problèmes possés par Bergson. Le néant n’est pas, il est même plus que l’être. Pour avoir l’idée du rien, il faut poser quelque chose, pour ensuite le nier. Le rien est simple négation de ce qui est, une vue de l’esprit. Et par suite nous croyons à l’exsitence de ce que l’esprit produit. Mais au fond le rien n’est pas.
Le sens commun semble l’emporter sur l’assertion : "le rien ne cesse de se manifester", afin de la réduire à une simple formule rhétorique. Le poème de Parménide, ne disait-il pas : "de l’être nous disons qu’il est, et qu’il est Un. Le néant n’est pas." Et pourtant ce n’est pas de la bouche ni d’un poète ni d’un rhétoritien qu’est sortie la formule : "le néant néantise". Ce n’est pas l’esprit qui nie mais le néant qui néantise, et néantisant, le rien lui-même ne cesse alors de se manifester, Heidegger, Qu’est ce que la métaphysique ?
C’est là au fond me semble-t-il le coeur du problème. Il s’agit alors de ne plus faire l’idiot, de ne plus s’en remettre aux certitudes du sens commun. Ne plus faire l’idiot, c’est sortir de l’élément du jugement pour s’en remettre à l’élément de l’intonnation. Etre intonné, c’est être Dasein, manière d’être au monde originelle, être là. Nous ne sommes au monde qu’intonné. L’intonnation est comme en mode musical, une manière d’être accordé au monde, et nous sommes toujours au monde dans une certaine intonnation, qu’elle soit celle de l’ennui, de la joie, de la peur, de l’amour ou de l’angoisse. Etre là, c’est être le la. Ce qui est premier dans le Dasein, c’est un disposition affective au monde. Et parmi toutes ces intonnations, ces manières affectives d’être au monde, il y en a une qui est fondamentale, c’est l’angoisse. Ce qui est fondamental dans l’angoisse c’est que l’angoisse s’angoisse devient rien. C’est le rien lui-même qui ne cesse de se manifester dans l’angoisse. Avoir peur c’est toujours avoir peur de quelque chose, c’est à dire d’un étant particulier. Etre amoureux c’est être amoureux de tel étant particulier... L’angoisse s’angoisse devant rien. C’est le rien pur qui angoisse. Et c’est pourquoi aprés l’angoisse, nous pouvons dire, ce n’est rien, ce n’était rien. L’angoisse est la tonalité fondamentale dans laquelle le rien ne cesse de se manifester.