Dans La chambre claire, la photographie est définie comme une technique d’enregistrement analogique, effet de réel dont Barthe rend compte en montrant que le noème de la photo -l’objet intentionnel, l’irréalité ou sens du réel- est le "ça a été".
Phénoménologiquement comme pour les stoïciens, le sens n’est pas inscrit au coeur des choses, il est un effet de surface. Irréel, il est un incorporel. Il faut lire à ce sujet les séries consacrées au temps et au sens chez les stoïciens, et leur parenté avec la phénoménologie husserlienne, dans Logique du sens de Deleuze. En tant qu’irréel et incorporel, il est faux de dire que le sens noématique de la photo est le "ça a été". Car même si l’instant qui n’est plus, enregistré par la photographie, a été, en aucun cas celui-ci ne peut coïncider avec le noème. Dans la mesure où le noème lui-même n’a jamais été un instant réel, il demeure de part en part irréel, effet de sens, effet de surface. La différence entre l’instant et le noème est de nature.
La pause cadrée par la photographie, n’est pas une qualité de chose attribuable au moyen de la copule être : "l’arbre est vert" mais un événement qui se dit "l’ardre verdoie" et n’a aucune espèce d’instance présente. Le temps de l’événement est l’aïon et non le chronos. L’événement ne va pas d’instant en instant, de présent en présent dans la présence de son paraître comme répétition du même. L’événement est toujours pris entre un "qu’est ce qui va se passer ?" et un "qu’est-ce qui c’est passé ?", esquivant sans cesse le présent. Esquivant le présent, il esquive toute forme et ouvre à une herméneutique sans fin, qu’aucun cadre ne saurait résumer. C’est pourquoi l’instant n’a pas de consistance réelle, et qu’en tant qu’événement il peut être élevé au niveau de l’irréalité noématique comme noyau de sens.
7 commentaires
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Le "ça a été étant" eut-il été plus judicieux ? (eut-il été étant plus judicieux ...) Je ne suis pas tout à fait d'accord avec toi, malgré quelques mots que je ne connais pas, donc ne comprends pas, dont à mon sens tu abuses puisque tu ne les définis pas, partant du fait que nous les connaissons, ce qui est faux puisque moi-même je ne les connais pas, alors bien sur je pourrais prendre mon dictionnaire, mais j'ai la flemme, donc je disais ... Oui, je ne suis pas tout à fait d'accord, parce qu'il me semble comprendre ce que veut dire Barthes (même si ta citation est totalement sortie du contexte, que tu ne prends pas la peine de replacer, ce qui me semble important) dans ce "ça a été". J'y vois la trace fugace d'un présent, cadré et imprimé. De la même façon, j'aime imaginer lorsque je lis un passage de livre qui me touche l'instant où l'auteur le pose sur papier, l'instant où, une fois la pensée mise en jambes, elle s'étale langoureusement sur la page. Cet étant, puisqu'être ne semble pas adéquat, je commence à concevoir ta pensée, existe indéfiniment, car je le répète en pensée. Ayant récemment travaillé sur un texte d'introduction pour un photographe qui va exposer, Bruno Aussillou, j'ai trouvé dans l'objet photographique de ce monsieur une intemporalité très belle, car justement très précise, insaisissable car prise à même le réel, un réel pour être plus précis.
Allez, tant que j'y suis, je te balance le texte :
Jamais nous ne rendrons ce que nous avons pris.
A partir du moment où nous considérons que cela nous appartient (et ce depuis fors longtemps, bien avant que nous soyons de ce monde, bien avant même que l’art que nous avons subtilisé n’existe), nous ne desserrerons pas les doigts.
On veut nous séparer de ces morceaux de monde, ce monde que nous habitons entièrement, totalement, de tous nos corps et âmes, avec cette passion du vivant que certains prennent pour de l’insubordination, on veut nous retirer la racine. Mais je le répète, il est hors de question que nous lâchions ne serait-ce qu’un bout d’image, pas même un coin de papier.
C’est que nous sommes ces photographies voyez-vous, elles incarnent notre réalité, nous sommes maintenant la matière qui les fondent, autant qu’elles sont le terreau de nos gestes. Nous dissocier, c’est un peu comme si l’on nous enterrait vivants, avec pour seul air la boue granuleuse et lourde.
Jamais nous ne rendrons ce que nous sommes.
Nous n’avons aucune prétention à provoquer un quelconque bouleversement spectaculaire, ni même à rendre la vie aux morts. Nous n’en sommes pas moins essentiels car nous existons, nous respirons à pleins poumons, nous longeons les avenues et nous prenons le temps de contempler nos ombres mutines. Qui ne nous a pas croisés n’existe pas.
Lorsque vous perdez le fil de vos idées, lorsque vous laissez votre esprit prendre la poudre d’escampette, c’est à cet instant précis que nous ne sommes pas loin, tout juste à portée de main. Derrière un arbre, au travers de la fumée d’une cigarette nonchalamment grignotée, sous un cil triste, dans le reflet d’une nappe cirée légèrement poisseuse nous habitons.
On nous prend pour des images, des photographies, nous sommes bien plus que ça, nous sommes, nous sommes …
J'aimerai bien participer à vos débats et conversations mais faut d'abord que je retrouve mes cours de fac dans ma tête, ils se cachent derrière un deleuze feuilleté y'a longtemps, juste derrière qui on doit trouver du Barthe, du Jacques Aumont voir même du Chion, je sais pas
si j'ai envie de retrouver tout ça...mmm...j'vais y reflechir...en attendant bonne continuation les gars.
Oui le texte est trés beau. Mais sur plusieurs points je ne peux pas être d'accord. D'abord à propos du temps de l'événement. Qu'est ce qu'un événement ? C'est ce qui est pris entre un "qu'est ce qui va se passer ?" et un "qu'est ce qui c'est passer ?" Il n'y a pas de présent pur sur le temps de l'aïon : encore avenir, toujours déjà passé, esquivant sans cesse le présent, l'instant de son avènement. L'instant, l'événement pourrait se traduire comme une zone de turbulence, entre le passé et le futur, comme seules dimensions réelles du temps. Mais cette zone de turbulence, n'est pas une dimension réelle. Je suis vivant ou je suis mort, entre les deux ? L'événement, le passage, la turbulence. Le paradoxe et l'inobjectif. Pour reprendre Rodin cité par Merleau-Ponty dans L'oeil et l'esprit, "c'est la sculpture qui a raison et c'est la photographie qui ment". Considère le Derby d'Epsom de Géricault, si les chevaux donnent cette impression paradoxale de courir sur la toile, c'est qu'ils adoptent une posture qu'aucun cheval n'a jamais prise dans la réalité. S'ils semblent réels, c'est qu'ils plongent dans l'irréel comme dans une dimension objectives. Cette dimension irréelle -virtuelle- qui donne au visible sa profondeur ou son enchantement, la photographie -quelque soit le sens par où on la pense- jamais ne pourra l'atteindre. Hors mis l'esthétisme et la poésie de la photographie, celle-ci se caractérise d'abord me semble-t-il par le mensonge (enregistrer l'événement) et la tricherie (montrer l'événement).
il me semble à moi que tout art(ifice) est mensonge. Et c'est bien là que se trouve sa vérité !
Cette parenthèse est trés forte de sens. Art (ifice) renvoyant à la dimension "artificielle" -fait de main d'homme en même temps que venu d'ailleurs- sur la quelle s'articule le partage entre sacré et profane. Il y a là quelque chose à penser qui renvoie à la problématique et de la technique et du monde, et à leur -hypothétique ou possible- corrélation. Ok ? Pensons, pensons et faisons.
Et pour les mots que tu ne connais pas, je me ferais un plaisir -ici ou ailleurs- de te les définir, si tu prends la peine de me les nommer. Car rien n'est en vérité compliqué.
Et puisque ceci a semble-t-il intéressé quelques gens du cinéma, je vais m'efforcer trés tôt d'en produire une suite plus consistante. Merci à ces gens là.