La pensée, comme la musique, se sample, essentiellement se sample. La pensée comme la musique ne sont que sample. Saisir le motif qui nous intéresse, qui nous caractérise en propre et le répéter. Sans doute la ritournelle n’est-elle que ça, un fragment, une idée. Quelque chose qui nous dépasse mais tout petit, infiniment petit, encore imperceptible, fragment du premier infini. Quelque chose qui insiste, nous appelle et nous désire, la ritournelle.
Au fond ça ne tourne jamais en rond, il faut avoir l’idée, le motif qui donne un style, une manière et la répéter, la répéter infiniment. Et de cette répétition ne procède jamais l’identique.
L’individu est réductible à ce plus petit motif, cet élémentaire. Chacun fonctionne comme et selon sa ritournelle. Celle-ci enveloppe toute l’existence, et l’existence développe le motif ou la ritournelle. De la sorte elle est en même temps monade et conatus, haeccéité, essence singulière.
Et bien sur il a fallu à Deleuze passer par Duns Scot pour comprendre la différence et la répétition. Il lui a fallu toute cette pensée révolutionnaire de l’être, pour décentrer l’éminence ontologique de l’identité pour l’univocité et les manières d’être qui s’y forment en tant qu’haeccéités. Où manière d’être doit être pris au double sens du génitif, du subjectif et de l’objectif, manière d’être en tant que manière de l’être. D’un être sans forme et sans règle, qui deviendra avec Nietzsche -avec le Nietzsche de Deleuze- un coup de dès, l’émission d’un coup de dès infiniment répété car il est à chaque fois victorieux. L’éternel retour du coup de dès établit les distinctions modales des combinaisons infinies. Mais finalement de Différence et répétition à Mille plateaux et la ritournelle, l’idée est la même. Mais avec la ritournelle, elle est pure, idée de l’idée, la ritournelle même.

Alors l’heure est venue de faire de l’existence l’élément le plus concret du processus créatif. Il est temps pour l’existence d’être le motif même de l’art. Il est temps de ne jamais s’arréter, c’est à dire de ne jamais prendre forme, de continuer la défaite comme l’instrument de la plus grande victoire. Dans la défaite seule prend le motif, se répétant à l’infini de ses modifications. C’est ici qu’il faut prendre le cri de Péguy comme le cri joyeux de la vie : "c’est le premier qui répète la série toute entière" et qui répète sans fin.