La moitié de l’espace public est occupé par l’événement de cette fin de printemps, la coupe du monde de football. Le foot est partout jusque dans nos verres et nos assiettes, sous forme de produits dérivés ou de consommation, de débats médiatiques ou populaires. L’esthétique foot est partout affichée : maillots de foot, ballon de foot... Ici ou là, chacun donne son avis sur les chances de réussite de l’équipe de France.

De Villepin prend l’avion avec une poignée de jeunes via l’Allemagne. Les intellectuels dévoilent les raisons pour lesquelles, honteusement ou non, ils supportent non pas tant l’équipe de France -ce qui les rendrait suspect de chauvinisme- mais du moins le football en général.

Un mois de foot c’est partout comme un mois de vacances, "vacances on s’en fout, vacances on oublie tout".
Sans doute alors le foot joue-t-il comme nouvel opium du peuple. Expédient, régulateur, annihilant. Masquant les problèmes du moment, jouant comme formidable vecteur des valeurs capitalistes et judéo-chrétiennes : volonté, esprit de compétition, courage, déterminisme, travail, ou se conjuguent esprit de groupe et initiative individuelle afin de mettre l’individu au service du collectif. Le football comme liturgie des masses.

Mais l’opium a aussi ses vertus. Et si un boucher qui se drogue fait des rêves de boucher, il reste au foot une part d’irréductible pouvant donner autre chose qu’un spectacle abrutissant les masses.

Mes premiers souvenirs de foot remontent à deux choses, au terrain vague derrière chez moi et au match France/Allemagne au "mundial" de 1982. Match tragique s’il en est. Car au foot le meilleur n’est pas toujours le vainqueur, et le vainqueur n’est pas toujours le meilleur. L’arbitrage est parfois arbitraire mais toujours fait loi, est irrévocable, irréversible. Mains qui marquent, faux pénalties sifflets et vrais pénalties non sifflets. C’est la vie sur un tapi vert. S’y joue le sens même du jeu dans cette part irréductible de hasard. L’irrépressible événement qui est aussi le sens même de la vie, dans ce qu’elle a de vital, c’est à dire de tragique. Rien n’est jamais joué tout est toujours possible, ici sans doute comme ailleurs, mais de manière plus visible.

Cet opium est alors plus heuristique qu’ostensif pour autant il n’est rien de plus qu’un opium.