Le problème des significations multiples de l’être provient d’Aristote. Dans Le traité des catégories, l’être se dit en autant de sens qu’il y a de catégories. Les catégories sont les concepts qui se disent de tout objet d’une expérience possible. Se sont les traits les plus généraux à partir desquels se dessine une figure particulière. Aristote distingue dix catégories qui sont autant de significations de l’être. Ce n’est pas en effet dans le même sens que l’on dira de Socrate qu’il est homme, grand de dix coudées… Les catégories : ousia (traduit par substance ou essence), relation, temps, quantité, qualité…déterminent le sens de la copule « être » qui lie un sujet (Socrate) à un prédicat (homme, grand, plus que…). Or les sens de l’être se laissent tous ramener à la première des dix catégories : l’ousia, substance ou essence ; mais laisse indécidée l’unité des sens de l’être à travers la pluralité des essences ou substances. L’être est donc un concept équivoque qui se dit en plusieurs sens de tout ce dont il se dit mais ses significations multiples ont-elles et peuvent-elles avoir une mesure commune ?
L’être est donc un homonyme comme « chien » se dit à la fois de l’animal et de la constellation. Il y a dès lors deux positions qui peuvent être prise au sujet des significations multiples de l’être dans l’héritage immédiat aristotélicien : 1) Soit poser l’être comme équivoque de telle sorte que l’être se dise en plusieurs sens de tout ce dont il se dit. L’être se dit donc de Dieu comme de l’homme ou de la tique mais dans des sens à chaque fois différents et sans commune mesure de telle sorte que de l’être nous ne pouvons finalement rien en dire. 2) Soit poser l’être comme univoque de telle sorte que l’être se dise en un seul et même sens de tout ce dont il se dit. Dès lors si le sens d’être est compris, il n’établit aucune différence entre l’être de Dieu, l’être de l’homme, l’être de la table, l’être de la tique.
Le point de vue de l’équivocité est intenable pour une ontologie qui affirme une science une de l’être en tant qu’être, puisque la question de l’être s’abîme dans ses multiples significations et par là interdit toute unité à la question ontologique. Quant au point de vue de l’univocité, il est intenable sous le rapport de la théologie de la création qui ne peut admettre une signification commune entre l’être de Dieu et l’être des créatures. Il faut donc pouvoir penser l’être de telle sorte qu’il puisse se diviser dans le discours sans perdre son unité. Autrement dit les sens de l’être doivent pouvoir être multiples, mais cette multiplicité doit pouvoir se dire à partir d’une unité commune. Tel est le sens de l’analogie thomiste des sens de l’être. L’analogie concilie les points de vue équivoque et univoque, de telle sorte que l’être puisse se dire en plusieurs sens de tout ce dont il se dit tout en conservant une mesure commune, une unité commune à toutes les significations, qui est Dieu. Dieu possède éminemment c’est à dire infiniment ce que possèdent les créatures. De telle sorte que ce qui se dit des créatures se dit aussi bien de Dieu en proportion de ce que les créatures sont à Dieu, dans un rapport de fini et d’infini. Dieu possédant toute chose de manière infinie, il est au-delà des limites de notre pensée finie. Dieu est au-delà de nos conditions finies, au-delà de ce que nous pouvons en dire mais cet au-delà n’est pas sans commune mesure avec les créatures, il est le même mais élevé à la puissance infinie. De telle sorte que de Dieu nous pouvons en avoir une idée. Nous sommes donc à l’image de Dieu mais nous avons perdu la ressemblance. Nous portons la trace de notre filiation divine mais celle-ci s’est absentée.
Par l’éminence divine et l’analogie de l’être, Dieu reste au-delà de nos conditions finies sans pour autant nous exclure puisque nous dérivons analogiquement de la puissance de l’être premier. Dès lors penser la mort de Dieu exige de repenser autrement le problème de l’être et son rapport à Dieu. C’est à dire penser l’être autrement qu’à travers Dieu comme opérateur logique, mesure commune à partir de laquelle se distribue les différentes signification de l’être.