L’annihilation de la possibilité dans l’effectivité devenue impossibilité de part son idéalité repose sur la conception du droit naturel classique. Selon le droit naturel classique, l’homme ne prend figure que dans la cité hors de laquelle il est soit autonome c’est-à-dire divin, qui n’a besoin que de soi pour exister, soit disperser par ses nécessité immédiates et corporelles, c’est-à-dire animal. Hors de la cité l’homme est soit chien soit divin. Dans la cité –qui est à la lettre le lieu de l’humanité- toutes les activités sont régulées par la loi. La forme de la cité c’est-à-dire de la loi par laquelle l’homme prend figure humaine en se divinisant, est fixe et supposée éternelle en tant qu’elle doit être la meilleure possible. Aussi n’y a-t-il pas à proprement parlé de liberté politique. Et si l’on veut bien y prêter un peu attention, c’est d’inspiration platonicienne que nos dirigeants politiques nous gouvernent. Mais avec Hobbes et l’idée du droit naturel moderne, tout se renverse. A partir de l’idée de droit naturel moderne il est possible de penser philosophiquement, c’est-à-dire concrètement, la démocratie sous la figure de la société civile. Sans doute la société civile n’a pas attendu que des concepts soient créés pour exister. Mais avec le concept elle trouve un outil de concrétisation, d’inaliénation. D’ailleurs on trouve dans la tragédie grecque déjà avec Antigone l’idée de droit naturel moderne. Antigone s’oppose au décret du tyran Créon en faisant valoir son droit face à la tyrannie en honorant la mort de Polynice. Dès lors est mis en lumière le fait que toutes les activités ne peuvent être régies par les lois de la cité, que les rites à l’égard des morts ne relèvent pas de la compétence du législateur, qu’il existe une part de liberté du citoyen qui n’est pas seulement privée mais publique et sur laquelle on ne peut légiférée. Cette part de liberté qui se formalise dans le droit naturel moderne comme droit inaliénable (dans l’état de nature) de tous sur toute chose, peut entrer en conflit avec le droit positif de la République lorsque celui-ci disconvient aux citoyens et au principe même du droit naturel qui est la conservation de sa propre vie.

Aussi l’idée de démocratie instantiée dans la société civile doit-elle s’inspirer de l’idée de droit naturel moderne. Ainsi la démocratie peut jouer comme une force permettant de restructurer les institutions et les lois constitutives de la forme des régimes politiques. La démocratie en ce sens est irréductible en fait à un régime politique en tant qu’elle n’est pas une forme de gouvernement déterminé dans et par les limités de la légalité. Elle permet d’introduire dans la sphère du politique la notion de limite comme tendance opposée à la limite comme forme d’inspiration grecque et par là introduit de la plasticité dans la sphère du politique comme forme d’un gouvernement. Avec la forme du gouvernement joue la force de la démocratie comme virtualité, au sens réel de virtuel, virtualis, c’est-à-dire force comme création de réel. La démocratie en tant que force et virtualité crée du réel (Le possible n’est jamais que le logique et s’oppose au réel, le virtuel s’oppose à actuel, il n’est jamais qu’un réel en gestation).

Ainsi dans l’équilibre –parfois instable- république/démocratie la politique devient polymorphe, un art du réel à partir du virtuel. La démocratie est l’art d’opérer des bougés dans la forme de la légalité que les instances du pouvoir doivent enregistrer dans de nouvelles formes de légalité. Faire fonctionner la démocratie c’est engager la république à enregistrer les déplacements opérés par la démocratie. Alors dans une certaine mesure, la manifestation des violences de novembre 2005 ou des grèves de 2006, peut être interprétée comme une manifestation démocratique. Mais dans la mesure seulement où l’on peut décripter la violence comme l’expression de la société civile et non comme la manifestation de son anéantissement.

Car il reste cependant que la démocratie ne peut plus fonctionner lorsque la société civile se délite. Oublier la société civile ce n’est pas devenir dieu ou devenir chien, mais choisir entre la dictature ou l’état de nature ; le vrai, celui de Hobbes et de Spinoza, l’état de guerre permanente de tous contre tous, ou plus exactement, l’état de la possibilité permanente du conflit de tous contre tous. Et il est fort probable que l’organisation (capitaliste) des sociétés modernes a eu pour effet la destruction consciente ou inconsciente de la société civile. Ce que je tenterais de montrer dans "Vers la guerre civile ?"