D’abord il n’y a pas de problème qui soit particulier, qui ne s’insère pas dans un réseau problématique plus profond duquel il émerge comme le symptôme d’une maladie. Ensuite, et plus grave encore, on confond le symptôme avec une saine manifestation du corps public. L’industrie de la musique (l’expression est déjà par soi paradoxale) geint de son manque à gagner, dénonce l’inconscience supposée des "consommateurs". Elle perd de l’argent, nous n’en gagnons pas. Alors elle s’organise, convoque les instances du pouvoir, légalise, traque et sévit. S’accroche à des privilèges indûment acquis.
On nous menace de la mort de la création artistique, or il me semble que la création artistique n’a jamais attendu aucun marchant pour être et exister ; que Van gogh n’a vendu qu’un seul tableau de son vivant et qu’en aucune manière cela n’a affecté sa créativité, peut être même qu’au contraire cela l’a affiné, radicalisé ; que Cassavetes a réalisé dans la marge de la centralisation hollywoodienne des films du génie ; que la création a toujours su s’organiser et se diffuser ; et que la part importante de la création d’un point de vue qualitatif vient toujours de la marge, notre culture profonde, vitale, est parallèle, indépendante, underground, qu’elle ne se résume pas à quelque étendards estampillés major qui souvent font leur gras sur le recyclage des énergies vitales non institutionnelles. Qui entend la grâce morbide d’un Charlie Parker ou d’un Johnny Thunders dans les frasques surmédiatisées des Valentine, qui entend la guitare des Clash dans les riffs copier-coller des marchandises rock d’aujourd’hui ? Plus grand monde. Alors oui, parce que la musique est essentiellement culture, l’humanité erre déjà sur ses propres ruines comme les singes sur les temples d’Angkor.
Mais ces ruines là sont sans commune mesure avec celles de l’industrie musicale. Celles-ci ont précipité celles-là dans la chute. Gageons que de leurs cendres s’élèvent de nouvelles organisations. Et si la cendre est un élément de culture, gageons qu’en émergent des rhizomes comme nouvelles distributions des corps et des consciences.
D’avoir confondu l’art avec une marchandise, d’avoir organisé en réseau la production et les moyens de diffusions à la centralité de quelques industries, d’avoir crue pouvoir crer du désir pour pouvoir le satisfaire en le marchandant, l’industrie du disque a elle-même creusé son propre tombeau. Elle a gommé les différences, annihilé les consciences, édulcoré les goûts ; elle en paye les conséquences. Nous y jouons notre chance.