Si la pensée jouait aux dès, toutes les faces porteraient le chiffre trois. Le chiffre trois est le chiffre traditionnel de la pensée. Parce qu’il permet de penser la mobilité et son terme, l’autre et le même, l’identité et la différence sous la figure de l’unicité. Le chiffre trois est la figure de l’ordre qui tient compte du désordre, qui est capable de le déceler et de le dénoncer, d’où sa redoutable efficacité. De la triade du lit dans la République de Platon (l’idée du lit, le lit du charpentier conforme à son idée en tant que conforme à l’usage et le lit en peinture ou simulacre car sans usage), au mouvement dialectique hégélien en passant par la sainte Trinité, le chiffre trois dépasse l’un qui, clos sur lui-même, ne permet pas de penser quoi que ce soit, et dépasse deux qui pêche par sa divisibilité. Trois fait la synthèse du deux et de l’un, du multiple et de l’unique. Platon distingue dans la triplicité figurale de l’ordre : le fondement, le fondé et l’infondé. Le modèle eidétique ou idée, la copie ou icône conforme à son idée, et le simulacre ou idole qui prétend se substituer à l’original eidétique, en suscitant plus d’admiration que ce dont il est la fausse copie et avec lequel il n’entretient aucun rapport de droit. Ainsi Platon reconnaît le désordre sous la figure du simulacre ou du sophiste, mais ne peut que le rejeter hors de la cité, hors du règne de la loi c’est-à-dire de l’harmonie et du bien-fondé. Le simulacre joue donc comme une instance diabolique capable de s’insérer dans l’ordre et capable à tout instant d’en pervertir la forme et d’en renverser la hiérarchie. La force de Hegel est de faire entrer la différence dans la forme de l’identité, l’autre dans la figure du même, au terme du processus dialectique. L’autre, le différent, l’infondé, le simulacre ou faux prétendant aux droits qui ne lui sont pas reconnu n’est plus ce qui doit être tenu en dehors de l’ordre, en dehors de la cité, du discours ou de la production, et qui comme tel menace constamment. Il est ce qui doit être intégré dans l’identité de l’identité et de la différence, annihilé dans la forme de la mêmeté du même et de l’autre. Il ne suffit plus de l’identifier, il faut le neutraliser.
Ce n’est sans doute pas par hasard que la cartographie symbolique de l’appareil psychique répète la structure tripartite : le ça, le moi et le surmoi, où le surmoi agit comme instance régulatrice dans le conflit entre le ça et le moi.