L’époque nous montre ce que la pensée nous a par ailleurs appris : la peur nous fait obéir. Au principe de l’obéissance, elle gouverne ceux qui sont dénués d’entendement, par des signes destinés à l’imagination. L’imagination libre, insoumise à l’entendement délire ainsi les choses, et le bruit du plancher qui craque devient la visite du voleur, le pas dans la rue celui du violeur, le buisson brûlant sans se consumer devient le signe de Dieu. J’obéis au prophète, j’obéis à ma mère et je me retranche, et je m’abstrais de ce dont j’ai peur, de ce dont je dois avoir peur. Et la peur dessine alors des territoires, trace la ligne du mien et du tien, du bien et du mal, le cercle au-delà duquel se tient l’autre, l’étrange et l’étranger. Alors certes comme l’exercice physique la peur me tient en forme au sens propre comme au sens figuré. Mais cette forme n’est jamais que négative, me définissant à partir de ce que je ne suis pas, jamais à partir de ce que je suis, c’est-à-dire de ce que je peux. Dans la peur je suis fait par ce qui me fait peur ; jamais tout à fait moi-même, en creux ou négativement, je suis ce dont j’ai peur.
Mais la graine qui n’a pas peur, la graine qui n’a peur de rien devient arbre, devient forêt, cabane, bois de chauffe, bref, elle devient à l’infini et toute chose bien au-delà de sa forme. Celui qui n’a pas peur est dans la possibilité de devenir toute chose. Pour faire du cinéma affirmait Cassavetes, il faut n’avoir peur de rien ni de personne. Il en va de même pour toute chose, pour faire il faut n’avoir peur de rien ni de personne. Et Adèle n’a pas peur.
Dire la peur, la montrer, la raconter est-ce aussi peut-être une manière d’étendre le cercle de l’habité. Manière à laquelle auteurs, photographes ou encore illustrateurs se sont ici attachés dans leurs différentes œuvres, essais ou nouvelles.