Appel à contribution :

Le troisième volume des Cahiers d’Adèle s’inscrira dans un partenariat avec le Marathon des Mots consacré cette année aux deux métropoles égyptiennes que sont Alexandrie et Le Caire. Dans ce cadre nous proposons de développer le thème de « l’archive » que nous souhaitons décliner selon trois directions qui représentent les trois dimensions du temps, passé, présent, futur :

1) Dans la perspective de l’histoire, nous voudrions ramener l’archive à son étymologie grecque d’arché. Arché signifie principe, ce qui commence et ce qui gouverne. Et c’est de l’histoire dont l’archive sous la forme de l’écriture, est le principe ; le premier signe qui répète toute la série, de l’orient à l’occident, de l’antique au moderne. La première écriture, née en Egypte, donne le coup d’envoie de l’Histoire. L’archive en tant que signe et écriture, tenant lieu du sens, permet de comprendre le présent à partir du passé afin d’ouvrir des possibilités futures dans la dynamique de l’idée d’héritage. Mais comme le plus souvent il n’est précédé d’aucun testament, l’héritage ouvre à la transversalité des cultures. Et ce nomadisme du sens, nous voudrions l’enregistrer dans de grandes comme dans de petites histoires, dans le général comme dans le particulier.
2) Une dimension synchronique de l’archive ne saurait être évitée dans le cadre géopolitique qui nous intéresse ici. L’archive est alors à comprendre comme un processus de classification des signes distinctifs selon l’appartenance culturelle, cultuelle, politique ou encore sexuelle, arraisonnés à des fins coercitives. Bref il s’agirait d’analyser ou d’illustrer ces processus policiers toujours menacés de dérives totalitaristes lorsqu’ils visent à annuler les différences pour conserver les identités.
3) Enfin la notion d’archive permettra d’interroger un futur comme possibilité de toute impossibilité. Parce que d’une part l’époque du numérique signe la disparition de la temporalité par la disparition du support physique ou de la trace ; et que d’autre part elle permet de vivre partout dans le monde et en simultané des micro-événements qui abolissent toute notion de temps et d’espace, nous assistons alors à une entropie de la valeur de l’événement où les événements instantanés s’ensevelissent les uns les autres. La question ici serait de savoir si des territoires de signification sont encore aujourd’hui possibles sous forme de peuple et de culture ou si définitivement l’historial est voué à rencontrer la multitude et la masse.

Bien entendu notre présentation de l’archive ne se veut pas exhaustive, et nous ne prétendons pas ici épuiser la richesse du thème. D’autres voies peuvent être suivies et c’est avec plaisir que nous les suivrons avec vous. Car si la trace de ce que nous sommes vient de l’Egypte, nous n’en connaissons pas toutes les traductions.

Edito :

C’est par le travail minutieux de l’historien sur l’archive, sur sa collecte et son interprétation, que le plus éloigné devient le plus proche, le plus ancien devient le plus nouveau. Que la mémoire soit individuelle ou collective, elle est notre jeunesse à nous les anciens. Car au regard de l’origine les nouveaux sont les anciens, les anciens sont les nouveaux. Et notre jeunesse nous vient du fond des âges pour nous qui sommes déjà si vieux. Elle est notre histoire. Et si comme l’affirmait Clio sous l’écriture de Charles Peggy, le premier nymphéa de Monet répète toute la série, s’il est le meilleur, c’est qu’il est toujours plein d’étonnement, plein de nouveauté encore, celui qui commence et qui gouverne toute la série, l’archê ou le principe, bref l’archive. C’est par le signe et l’écriture que nous tenons l’être que nous sommes, le partageons dans l’espace public, en héritons. Le monde est celui des autres pour ceux qui n’ont pas la connaissance de la lettre, le savoir de l’écri- ture. Ceux-là sont les invi- sibles, ceux-là ne sont pas du monde, lorsqu’être dans le monde c’est partager ensemble l’immémoriale origine qui s’inscrit dans l’archive. Alors seulement le monde des autres devient le monde commun, le multiple devient peuple. Il aura fallu penser l’égalité pour penser la différence. Le signe n’est distinctif qu’à partir d’une égalité première au regard de laquelle la multitude des figures devient le visage d’une même humanité. La distinction trouve refuge dans l’héritage et y puise son sens. D’un même langage, les signes parmi nous expliquent le présent à partir du passé dont ils sont issus afin d’ouvrir des possibilités futures. Il est à parier alors qu’un peuple sans mémoire soit un peuple sans avenir, un peuple à l’avenir perdu. Un peuple de poussière. Mais si du plus grand péril croit aussi ce qui sauve, il est aussi temps pour lui d’être jeune, de faire l’épreuve de sa liberté, de se donner comme archê – ce qui commence et ce qui gouverne – de débuter soi-même une série afin d’inventer des mondes nouveaux, sur le fonde- ment d’une alliance nouvelle. Etre le poète d’un monde nouveau sur le fondement d’un éternel étonnement. Ce sont les signes du passé ou du présent, du collectif ou du particu- lier qui nous sont donnés ici à interpréter, par des auteurs qui à coup sûr ouvriront pour nous des possibilités nouvelles pour des mondes nouveaux