Du Cristal à la fumée, la vie au-delà de la tragédie, du sacrifice et du sanctifié :

Nous finirons sur les projets avenir de Daniel Mesguich, la mise en scène de la pièce de Jacques Attali, Du cristal à la fumée. Il s’agit ici de mettre le théâtre à l’épreuve du feu puisque le réel ici envahit le théâtre de la manière la plus forte, la plus définitive qui soit. Et toute la démarche théâtrale de Daniel Mesguich pourra se mettre en jeu de façon exemplaire, archétypale et paroxysmique, bref se risquer dans ce futur travail.
Le 12 novembre 1938 à 11 heures du matin, lendemain de la nuit de cristal, Himmler, Goering, Heydrich se prononcent sur la solution finale lors d’un entretient dont les minutes ont été pour partie conservées. C’est à partir de ce document, de ce fragment de réel que la pièce se développe. Il ne peut ici s’agir de simulacre, ni de jeu, mais bien d’un avoir lieu qui nous rejette au seuil du théâtre. La violence, la barbarie, le sacrifice ont eu lieu. Les mots ici l’attestent et en témoignent.
Mais à l’anéantissement total le théâtre peut s’opposer comme s’opposait déjà le poème d’Homère à l’anéantissement de Troie. L’œuvre d’art sauve le monde de sa toujours possible disparition. Elle veille sur le futur du monde parce que dans sa présence l’œuvre d’art retient tout le passé du monde.
C’est par le sacrifice d’une part et par l’art d’autre part, que le monde est sauvegardé. Etymologiquement la tragédie c’est le chant du bouc que l’on sacrifie (tragos, bouc et ôidê, chant) ; lorsque le sacrifice est l’acte de rendre sacré, de sanctifier. Le sacrifice maintient l’identité dans l’exclusion de l’altérité. Sacrifier pour sanctifier, élever une part du mondain à la dimension du divin, afin que celui-ci veille au maintient de la cohésion sociale, culturelle et politique. Avec l’art et le théâtre en particulier, c’est l’inverse qui se produit, c’est le divin qui rejoint le monde. Et le rapport à la mémoire s’en trouve considérablement modifié.
La tragédie c’est-à-dire le sacrifice et le sacré qu’il induit, n’a pas lieu au théâtre. Le sacrifice est sacrifié. L’art s’oppose au sacrifice comme la vie au sacré, la joie à la douleur. L’œuvre d’art est la mémoire même de ce qui reste et non de ce qui est passé. Elle est la mémoire vive opposée aux lieux de mémoires sanctifié par le sacrifice tragique. Elle est l’élan de la vie envers et contre tous les désastres.
Après la question de la mémoire personnelle, c’est la question de la mémoire collective, mémoire des peuples, des générations et des cultures, qui est mise en jeu ici.
Après de façon indirecte, nous avoir parlé du monde en nous parlant de lui, il s’agira d’une parole directe et « crue » sur le monde et sur le réel. Une façon peut-être de nous dire que tout n’est pas « cuit ».