Le regard nous projette dans l’univers kantien pour lequel un phénomène n’a de sens qu’à partir des structures a priori de l’intuition (espace et temps) et de l’entendement (concept) de telle sorte que "nous ne connaissions des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes". Le regard en effet bloque le sensible ou plutôt sa matière c’est à dire la sensation sous des formes pures qui déterminent avant même sa manifestation le sens de ce qui apparaît. Le regard esthétique court le risque de "l’humain trop humain", du plaisir et de la connaissance.
Voir une oeuvre consiste à se laisser faire par elle, la laisser se manifester en réduisant -au sens phénoménologique du terme- les champs du plaisir et du déterminable. Lorsque regarder c’est ramener à soi, garder deux fois dans les formes a priori, voir c’est se laisser ravir. Ravi c’est être pris, saisi par violence, par ruse ou surprise. C’est être fait par la chose, comme le dit le fugitif au moment de sa capture ou l’amant sous le regard de l’aimé : "je suis fait", pris, saisi par la chose. Ce n’est que lorsque la transcendance nous a une fois ravi, que le ravissement acquiert son sens positif. Ce n’est qu’en second, lorsque nous reconnaissons le ravisseur que le ravissement devient plaisir et beauté. Autant le délire platonicien, que les mystiques que Dieu ravit le savent bien. Par l’art le ravissement se substitue à l’arraisonnement.
Comment l’objet d’art accomplit-il cette substitution, cette conversion du regard en voir ?
Regarder c’est faire fonctionner, c’est ramener la chose à l’usage, en l’occurence ici, celui du plaisir. Heidegger a trés bien montrer comment la chose en usage disparaissait dans son usage. De l’usuel seul l’usage apparait. De même dans le plaisir esthétique, seul le plaisir apparait. La chose elle, disparait dans ce plaisir usuel. Or l’oeuvre d’art, comme le montre de manière exemplaire les ready made de Duchamp, ne reçoit que l’inutilité pour toute détermination. L’essence de l’oeuvre d’art est d’être sans usage. Parmis les choses du monde, l’oeuvre d’art seule n’est ouverte aucun ustensilité. De fait, elle est la seule chose du monde qui puisse apparaitre en elle-même pour ce qu’elle. Il est donc de l’essence de l’oeuvre d’art de ne pouvoir être regarder.
De l’oeuvre d’art, nous ne pouvons que la voir.