Heidegger utilise Nietzsche pour appuyer son propos : l’accomplissement de la métaphysique et l’arraisonnement de la nature sous la domination de la technique. Mais ce faisant s’opère une mésinterprétation de Nietzsche. Celle-ci repose sur un point simple, la rature de la singularité. Heidegger ramène l’universalité au niveau de la volonté, alors qu’elle se trouve et se joue ailleurs chez Nietzsche. Car de l’universalité il est en effet question chez Nietzsche. Celle-ci se trouve dans la figure de l’éternel retour non pas comme un tout holique clos sur lui-même tel le cercle ou le bon infini hegélien, mais un tout panique, un illimité de la possibilité infini dans le retour du retour lui-même duquel est affirmée la singularité.
Dans Pourquoi des poètes, Chemins qui ne mènent nulle part, Heidegger, ramène l’accomplissement de la métaphysique à l’avènement de la volonté de volonté c’est à dire de la volonté qui se veut elle-même. Cette volonté de volonté est par ailleurs un autre nom de la volonté de puissance selon Heidegger. La volonté n’a alors plus affaire qu’à elle-même dans le monde. De telle sorte que de la nature, il n’est plus question qu’à travers de l’objectité de l’objet -l’être objet de l’objet- posé par l’homme devenu sujet. C’est avec Descartes donc que s’opère le début de l’accomplissement de la métaphysique comme arraisonnement pour s’achever selon Heidegger, avec Nietzsche. Celà ne serait juste qu’à la condition que la volonté -sous la forme de la volonté de puissance- soit précisément une volonté qui se veuille universelle. Universelle non pas dans sa singulartité, mais d’une universalité qui nie toute singularité.
Il ne faut pas confondre la volonté morale kantienne, qui est une forme de volonté de volonté, volonté qui se veut elle-même comme signe de sa liberté dans le domaine moral, qui est une volonté universelle, en tant qu’elle veut la loi qu’elle se donne librement à elle-même sous la forme de l’impératif moral : "Agis de telle sorte que la maxime de ton action vaille en même temps comme une loi universelle." Et l’impératif nietzschéen que l’on pourrait énoncer comme suit : "Tout ce que tu fais, fais le de telle sorte que tu puisses le faire éternellement." Dans un premier temps la volonté qui se veut elle-même se veut comme universelle en niant toute singularité. Dans un second temps la volonté de volonté, se veut dans l’effectuation de sa singularité ou puissance. La puissance se mesure à l’aune de la singularité. Ce que peut une volonté, c’est dans l’ordre de la singularité. L’universalité de la volonté et sa singularité s’opposent comme s’opposent le vouloir et le pouvoir. La volonté est mesurée à ce qu’elle peut chez Neitzsche, et ce que peut une volonté, c’est toujours singulier. Et l’affirmation du pouvoir, affirme en second l’universalité du singulier dont il est issu.
Mais d’ici là, la parole de Heidegger reste valable.