Qu’est ce que le cinéma ? Adoptons une démarche traditionnelle dans la résolution de cette question. Cherchons la différence spécifique du cinéma. Qu’est ce qui sans quoi le cinéma n’est plus du cinéma ? C’est le montage. Certes le plan, la photo, la lumière, le son, etc. sont des éléments du cinéma, mais ils ne le sont qu’à titre de propriétés inessentielles. Ce sont des propres, non des définitions. Le cinéma c’est le montage, et le montage c’est le cinéma. Le montage est condition nécessaire et suffisante au cinéma, à tel point alors que le cinéma dépasse le simple cadre du cinéma. Partout où il y a montage, il y a cinéma. A ce titre, tout est cinéma. Car qu’est ce que le montage en fait ? C’est une certain forme de logique en tant qu’il est production de sens. Mettre une image avec une autre, espacées d’un certain vide, afin de créer de la différence comme en physique on crée des différences de potentiels qui génèrent des champ de force, qui structurent des espaces.
A ce titre, Godard est sans doute, le plus grand cinéaste. Pas le plus plaisant, ni peut-être toujours le plus intéressant, mais le plus cinéaste. Comme Duchamp, est de tous le plus artiste, Godard est de tous le plus cinéaste. Car tout passe chez lui par le montage, tout est pensée à partir du montage, tout est façonné par le montage. Même ses livres, ceux qui accompagnent les Histoire(s) du cinéma, ne sont que montage. Le montage est tout chez Godard. Pour preuve il n’invente rien, ne crée rien, il amasse, voire vole et dérobe, des citations, des photos, des extraits, il pille, il sample, « hérite sans testament » de ce qui sous l’effet du montage, prend une tournure nouvelle, un tour nouveau, une manière ou un style, bref du sens. Tout chez Godard n’est que montage, ce n’est que du montage. Alors oui nécessairement, si le cinéma c’est le montage, Godard est de tous le plus cinéaste.
Prenons pour exemple un extrait du film, celui où Godard se met lui même en scène donnant un cours de cinéma. D’abord, dans cet extrait je voyais une nette similitude entre la mise en scène du cours par Godard, et les cours que l’on peut voir ou entendre de Deleuze. Je ne sais pas pourquoi, puisque a priori rien ne semble vraiment les rapprocher, j’ai toujours été tenté d’assimiler l’un à l’autre, de les monter en quelque sorte. Peut-être par le style, la tournure de voix singulières, identifiables par leurs distinctions. La posture qu’adopte le corps lorsqu’il s’exprime. Mais plus profondément sans doute parce qu’au fond, le cinéma de Godard pourrait être qualifié –pour une raison au moins- de cinéma leibnizien.
Prenons donc cet exemple. Godard met ensemble deux photos, des réfugiés palestiniens fuyant par la mer sur des radeaux, et les juifs fuyant l’Egypte par la mer morte. Naissance du documentaire pour l’une, naissance de la fiction pour l’autre. Un film dans le film, montage dans l’image projetée et montée. Tout est cinéma lorsqu’il y a production du sens par différence de potentiel.
Le cinéma est donc en tant que production de sens une certaine logique. Il est possible de distinguer deux formes opposées de logique. D’une part la logique classique aristotélicienne de l’attribution d’un prédicat à un sujet dont la validité repose sur la connaissance de l’essence ou de la substance du sujet. Les attributs se disent par et selon la vérité et l’identité à soi du sujet auquel on les attributs. Et d’autre part une logique de l’événement qui exprime un événement sans sujet d’inhérence, sans identité première. Une logique de l’expression et non de l’explication. cC’est à cette seconde forme de logique qu’appartient le cinéma en général et chez Godard en particulier. Logique de la production de sens à partir d’éléments qui, associés, créent de la nouveauté. Sur ce point sans doute, il est possible de rapprocher Godard de Deleuze.
17 commentaires
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Ce qui met en place le cinéma c'est le montagne car le cinéma est le montage ! Tout à fait raison quand vous dites que tout est cinéma.
Merci, j'avais pas fait attention que ce billet inachevé était en ligne. Je vais donc vite le finir.
Hâte de voir la suite alors !
Ben voilà c'est fait, y a pas grand chose de plus. Merci
C'est " marrant " de voir que l'on peut rapprocher un cinéaste et un philosophe que tout séparé à priori,mais sur des sujets on voit qu'il peut y avoir des points communs entre des personnes tout à fait différentes !
Petit rajout,mais intéressant.
As-tu pense (pas d'accent a tel-aviv, desole) a fouiller du cote des cineastes qui ont fait du sans-montage (Andy Warhol et consorts) ?
T'es pas encore parti ? ou bien es-tu déjà là-bas ?
Warhol, j'ai rien vu, mais je pense aux x heures de sommeil filmés en plan fixe et sans montage. Ok, mais c'est pas du cinéma ou du moins c'est le degré zéro du cinéma, dans la mesure où une image se colle à une autre etc. afin de restituer la durée.
Ok. Tout d'abord, ce que l'on appelle communément cinéma, de par l'instrument cinématographe, naît de l'évolution des techniques. Dès lors que la chimie sut capturer les ombres et lumières de ce que traverse l'air, l'homme n'eut plus qu'à multiplier les prises pour reproduire ce que l'on nomme le mouvement. Une fois mis en bobine, on pensa à projeter et on projeta. Ensuite, on réinventa les processus du récit et le montage est l'un des moyens les plus utilisés et les plus communs. De la même façon que l'on fabrique l'oeuvre musicale en y intégrant des mouvements, que l'on tisse le drame théâtral en actes, on agence souvent le récit filmique en séquences découpées. C'est là une façon tout à fait logique de faire : on filme le matériau que l'on agence ensuite. Néanmoins, cela ne fait pas l'essence même de ce qui est cinéma. Comme la tablature n'est pas l'essence de la musique, ni même la démonstration l'essence de la philosophie. Le montage est un processus de fabrication de ce que l'on appelle cinéma, mais il peut aussi bien en être bânni, exclu d'une construction cinématographique. Comme chacun des arts humains, il existe différents courants dans le cinéma. La partie dite expérimentale, car elle joue des structures en les amplifiant, les détruisant, les déformant, est certes moins connue du grand public car moins projetée, mais elle est bel et bien là, entre autre, pour que le cinéma ne s'enferme pas dans des structures officielles, restrictives et rustiques. Nous en arrivons donc à la question qui nous intéresse : partout où il y a montage, y a-t-il cinéma ? Comme nous venons, du moins nous semble-t-il, de le démontrer, ce n'est en rien le montage qui définira le cinéma. Il nous faudrait, si nous étions consciencieux définir ce que nous pensons être le cinéma, mais nous ne le ferons pas car nous ne le sommes pas, consciencieux. De plus, il nous semble que la définition de ce que l'on nomme communément cinéma appartient à chacun, car il existe pour l'oeil de l'autre, même si chacun aura nécessairement tort en donnant sa propre définition qui ne sera pas celle de l'autre, ayant lui-même tort par rapport au premier. Le cinéma n'appartient pas à la pensée, il est réel et libre. Vouloir définir un art humain est une erreur humaine. Il faut quand même pour ne point perdre toute crédibilité et bâtir notre sentence, aller fouiller un peu dans ce qui utilise le montage. Tout ce qui est télévisuel est monté. Publicités, journal télévisé, reportage, plateau-télé, tout passe à la moulinette du montage. Est-ce cela, le cinéma ? Non, cela est la télévision. Publicité, journal télévisé, reportage et plateau-télé sont de la télévision. Seuls court et longs métrages , ainsi que documentaires sont cinéma. En quoi sont-ils du cinéma ? Je vous laisse le deviner ...
je ne sais pas si finalement tu montres que le montage n'est pas l'essence du cinéma. Le montage, n'est pas une technique, pas un savoir faire, il n'est pas nécessairement voué à la narration. Le montage c'est juste une image avec une autre, une différence, c'est l'espacement ou le vide de l'une à l'autre, qui crée une dynamique que ni l'une ni l'autre n'auraient crées d'elles-mêmes. Partant tout est cinéma lorsque du sens nait d'une différence.
Ouais ouais, et avant que le cinéma n'existe, tout n'était déjà que cinéma ? Tu joues dans quel film, mec ?
y a pas de contradiction. le feu existait avant sa technique de production. toute technique est imitation et dépassement (ou invention). et mon film n'a pas encore de titre.
hé hé, tu as raison sur l'idée du feu. Néanmoins, ce n'est pas une invention de l'homme, seule sa production est une invention de l'homme. Mais je sens bien que tu vas me rétorquer que c'est la même chose pour le cinéma ...
Si tu veux un titre de film pour ton film, fais-moi signe, je ne suis pas mauvais pour les titres de film ...
"la terminologie est une question de goût, elle ne touche pas aux réalités" Hjelmslev
Pour le feu, mais on pourrait prendre d'autres exemples, comme les ondes électromagnétiques qui existait avant le téléphone portable ou la radio, effectivement c'est la même chose pour le cinéma.
Quant à cette sitation (qui c'est Hjelmslev ?) elle soulève beaucoup de problèmes. Est-ce qu'il y a une réalité hors des mots ?
comme il y a une réalité hors de l'être humain, égocentrique va !
Hjelmslev, c'est un linguiste, qui prolonge les théories de Saussure. Son truc, c'est la glossématique ...
Non non suis pas égocentrique mais il n'est pas certain qu'une réalité existe hors de l'individu qui la formule et l'articule dans des mots ou des formes spatio-temporelles. C'est même le point de départ de Descartes, et le problème que Kant ne réussira pas à lever : l'existence du monde extérieur.Heidegger en parle trés bien dans Etre et temps. Je crois que j'avais fait un billet là dessus à propos de Descartes.
Je suis pas trés au pointen théorie du langage, mais y a des trucs intéressants, Goodman par exemple et ses théories de monde...
Je voulais faire un billet sur Berkeley justement, c'est intéressant question existence du monde.
J'en parlais donc un peu ici :
lusinagaz.free.fr/blog/in...
mais ça reste elliptique me semble-t-il...