Dès lors c’est à l’expression de cette intelligibilité ontologique que Merleau-Ponty nous renvoie, à travers le problème de la parole. Il s’agit en fait de distinguer encore deux niveaux de la parole, comme on a pu distinguer deux niveaux de la personne à travers la problématique de la chair comme incompossibilté du soi et du non soi permettant l’ouverture au monde par l’entrelacs de l’intériorité et de l’extériorité. Nous avons donc ce que Merleau-Ponty appelle la parole parlée et la parole parlante. La parole parlée d’une part est purement formelle, elle n’exerce aucune activité vers l’être brut, elle participe à l’institution du fondement des actes de parole, elle établit une espèce de nomenclature de l’être, elle le pose comme objet pour un sujet. D’autre part, nous avons la parole parlante qui est comme une activité édifiée sur la passivité de la parole parlée qui vise l’être brut qui est là, qui nous hante comme une présence silencieuse que nous avons à faire venir au jour, à faire monter au visible, de la meme manière que les cubes et les cônes s’imposent à Cézanne comme étant les éléments syntactiques de la montagne Sainte Victoire, les plus à meme de signifier au delà de l’immédiateté visible ce qui se voit en son corps, comme l’être brut de la chose.

Dans la parole parlée, nous retrouvons le meme écart de soi à soi que dans l’expérience tactile du touchant touché. Où le corps que je suis, ce dédouble en objet et sujet, sans pour autant se scinder, il est unité d’incompossibles. Je me scinde dans l’unité du parler et de l’entendre. Mais si l’écart du touchant touché, demeure toujours imminent, différé, il est actif présent dans l’écart du parler et de l’entendre, pour une présence du sens. Le sujet est à la lettre cette béance, cette ouverture à soi dans ce délai. Il n’y a pas de question de l’origine, nous dit Merleau-Ponty dans une note du visible et de l’invisible, puisque nous sommes plongés dans un monde toujours déjà constitué, toujours déjà là. Il y a un seul éclatement d’être qui est à jamais.

Dans Le philosophe et son ombre, Merleau-Ponty nous dit que "L’être est ce qui exige de nous création pour que nous en ayons l’expérience", ce qui exprime la possibilité de se frayer une voie vers l’Etre brut à partir de l’interrogation philosophique. Rapport original à l’être qui se dévoile dans la perception, au lieu de se voiler par le recours à l’essence pure. Car l’être n’est pas en soi, il est dans son signifié même et par conséquent la perception est toujours d’ordre philosophique. La troisième dimension, la profondeur est l’invisible qui permet aux choses de prendre place, de se ranger les unes à coté des autres. Elle est la loi d’un système total où le particulier et le général ne sont plus l’un l’envers de l’autre.