"Qu’est ce que le beau ?" demande par exemple Socrate dans le Banquet et Hippias majeur. Chacun s’empresse alors dans une rhapsodie d’objets beaux. Le beau c’est cette fille, ce vase, cette coupe, ce corps... Or nul ici ne dit ce qu’est le beau mais ce qui est beau. Déceler la participation au beau n’est pas discerner l’idée même de ce à quoi les choses belles participent, c’est à dire le beau. Déceler la participation d’une chose à son idée c’est resté dans le sensible ou l’apparence au détriment de ce qui est à trouver, l’idée même, l’intelligible, le beau en soi. D’où la grande idée de Socrate par où commence la pensée et avec elle la philosophie : savoir que je ne sais rien. Savoir que je ne sais pas ce que je crois savoir. Se défaire de l’opinion, de la croyance de son attachement au sensible et à l’immédiat. Mais s’en défaire c’est s’en détourner, et s’en détourner c’est se tourner vers autre chose. Vers quoi alors ? Le philosophe est celui qui des esclavesse détourne des ombres pour se tourner vers leur cause au sortir de la caverne et y retourne pour montrer à tous la vrais voie du savoir. Ce retour de celui qui sait au sein de ce qui ne savent pas ou croient savoir selon une norme fausse et infondée qui est celle du sensible, se prolonge de tout un processus d’éducation, paideia, que Platon expose notemment dans la République et les Lois. Le premier moment du procès d’éducation commence par la contraction de l’ordre et de l’harmonie dans le corps. L’ordre philosophique bien suivi assurant l’alliance de l’ordre de la raison et de l’ordre des chose, ratio essendi et ration cognoscendi, commence par l’éducation du corps. L’éducation comme ouverture spirituelle au monde des idées commence par l’éducation des corps. Dans la même perspective, Kant dans ses Réflexions sur l’éducation, constate qu’en pliant les corps à certaines postures il sera possible d’instaurer des pratiques du savoir. Dans les Lois, Platon suggère d’instaurer -comme une forme d’eugénisme- la paideia dès le stade prénatal par la résistance du corps aux contraintes physiques extérieures. En même temps qu’un être naturel, le corps se donne comme objet social, lieu d’inscription des valeurs d’une société. "Soyez propre, parlez français" est-il inscrit au fronton des écoles catalanes nous rappelle Jean Borreil dans la Raison nomade, comme il est inscrit au fronton de la philosophie que "nul n’entre ici s’il n’est géomètre". L’ordre et le corps ne sont pas disjonctifs, l’ordre est dans le corps, l’ordre est le corps bien disposé au savoir intellectuel.
Il y a donc une étroite corrélation entre savoir et pouvoir dont le corps constitue le centre d’application.

Dès lors par et dans le corps, il est possible de dire avec Foucault que tout point d’exercice du pouvoir est en même temps un lieu de formation du savoir. Et que réciproquement tout savoir établi permet et assure l’exercice du pouvoir.
Dès que le savant devient au 19 ème siècle professeur ou directeur de laboratoire, le savoir devient instrument du pouvoir. Le savant devient celui dont le savoir est authentifié par le pouvoir qu’il exerce. Le médecin devient l’opérateur discriminant entre le normal et le pathologique. Dès 1838, le psychiatre devient expert que l’on consulte pour toute mesure d’internement. Le savoir est dès lors doté réellement d’une certaine quantité de pouvoir. Le savoir institutionnalisé supporte les appareils à fabriquer de la discipline, imposer de la coercition, à faire contracter des habitudes comme normes sociales. L’aquisition de ses habitudes passe par la convergence du pouvoir et du savoir dès lors que le savoir s’impose comme prescripteur de la norme.
L’habitude est le substitue au contrat moderne dans l’institution de le sphère civile et politique pour ceux qui ne possèdent pas. Le contrat lie ceux qui sont en possession de certains biens. Mais le travailleur qui ne possède pas les moyens de production, l’appareil qu’il fait fonctionner, est lié à cet appareil par l’habitude, la contraction d’habitudes.
Le pouvoir consistera à fixer les individus à l’appareil de production en fabriquant des habitudes. L’internement classique consistait à rejetter hors de la norme. La séquestration moderne (école, usine, bureau...) fabrique la norme. L’idée est déjà présente chez Platon pour qui l’être traduit le pli ousia/génesis, être c’est être ouvert à un usage, savoir c’est savoir user. Le pouvoir s’effectue donc par l’habitude imposée. Il prend la forme de la norme imposée par l’acquisition d’habitudes.
C’est ainsi que le discours du roi trouve alliance avec le discours de la science qui dit la norme discrimine entre le normal et l’anormal. Discours du maître d’école, du juge, de l’expert, du médecin, du psychiatre et du psychanalyste. Le discours scientifique lié au pouvoir est le discours normalisant des sciences humaines. Durkeim en effet définit la sociologie par son objet, le social, comme système de contraintes et de disciplines par lequel le pouvoir s’exerce de manière à ne pas apparaître. La sociologie se donne alors pour tâche de décrire ce qui précisément se cache comme son objet : le système des contraintes et des disciplines par lesquelles des habitudes se contractent ouvrant alors l’application du pouvoir dans le corps. Le corps étant le champ d’application de l’alliance du savoir et du pouvoir.