Au §74 des Ideen et dans l’Origine de la géométrie, Husserl distingue des essences fixes, intelligibles et éternelles d’une part et des choses sensibles perçues d’autre part. Essences formelles intelligibles, le cerle comme essence géométrique d’une part et les choses rondes, les choses sensibles perçues et formées d’autre part. Il s’agit donc de distinguer le formel du formé. Sur cette distinction s’établit le passage de l’anhistorique à l’historique.

Il y a quelque chose d’empirique dans la façon de faire un rond et quelque chose de pur dans la façon de penser le cercle. Le cercle offre cette caractéristique en tant qu’objet de géométrie, d’être pur. Est dit pur ce qui n’est que ce qu’il est : une idée. L’idée de mère par exemple consiste pour la mère à n’être que mère, ni épouse ni fille d’une autre mère. L’idée de mère n’est rien que mère. L’idée est donc quelque chose qui n’existe pas dans la réalité matérielle des choses, n’a dexistence qu’intellectuelle. Pur se dit donc de ce qui n’est pas empirique, de ce qui n’est pas matériel, de ce qui n’a d’existence que spirituelle.

Avec le cercle, c’est à dire avec le pur de l’idée de chose, de tout ce qui peut être subsumer sous l’idée, l’esprit reste dans la plus grande proximité à soi. Alors qu’avec le rond ou la rondeur l’esprit s’aventure au-dehors dans la matérialité des choses. Le rond est inséparable d’un processus et d’un passage à la limite. Passage de la ligne droite à la rondeur. Si le cercle est une idée, le rond est ce que Husserl appelle une essence vague ou morphologique (qui signifie composé de forme et de matière) qui définit la corporéité en ce qu’elle a d’inséparable à des processus, des événements ou des opérations que subit la matière. Le rond c’est le résultat ou le passage à la limite du processus d’arrondir. Si les essences vagues impliquent un passage à la limite, elles se distinguent par conséquent de l’essence formelle de quelque chose comme le cercle telle qu’elle peut être donnée d’un coup toute entière à une vue pure de l’esprit.
Les essences vagues requièrent donc selon Husserl un monde de traditionnalité finie, un monde essentiellement praxique, de savoir faire qui s’oppose au monde théorique instituté par Platon. Des essences vagues praxiques aux essences formelles pures on passe de la géométrie parménidienne comme calcul d’exhaustion et passe à la limite à la géométrie euclidienne comme conception essentialiste des objets.

Contrairement au rond comme essence vague qui engage un processus corporel de formation, l’essence formelle porte l’esprit directement au coeur des choses dans une saisie immédiate de la chose conçue dans la quelle l’esprit se saisit lui-même dans sa plis grande proximité. Et la proximité de l’esprit à l’ui-même dans la saisie des objets purs de la géométrie jette celui-ci en même temps dans la plus grande proximité avec les premiers penseurs grecs. Cette proximité filiale sans faille, sans équivoque, pure et sans matérialité instituée autour du pur de l’idée est aussi origine de l’historialité et de la traditionnalité infinie dans laquelle les objets purs de la géométrie nous font entrer. A partir de là le "ici" de l’assertion platonocienne "a-géomètre n’entre ici" peut être interprété comme l’ici de l’historialité et de la traditionnalité infinie dans laquelle nous entrons par la géométrie.

Cependant une difficulté au moins doit être soulevée au regard d’un penseur du Monde tel que Heidegger. L’idée de monde est issue de la praxis. C’est autour de la praxis qu’un monde s’institue. La première partie de Etre et temps corrèle le monde à la technique. Or pour Husserl la technique et la praxis renvoie essentiellement à l’anhistorique en tant que pré-historique. L’histoire provient de la rationnalité instituée par la géométrie en tant que l’idée immatérielle se transmet sans équivoque dans l’espace et les temps les plus éloignés. Et cette distinction de l’historique et de l’anhistorique articulée autour de la distinction entre le praxique et le théorique a pour conséquence l’irrémédiable fracture entre l’histoire et le monde. Le monde n’a pas d’histoire ou plutôt n’est pas dans l’histoire et l’histoire est sans monde, elle n’est l’histoire d’aucun monde.
C’est donc plutôt dans le corps et la technique que le sens de l’histoire est à chercher. Cette recherche doit être menée au bénéfice d’un renversement des rapport du praxique et du théorique. Comme l’a bien vue Heidegger à partir de Descartes et de Kant, le je théorique est un je sans monde.