L’individu est l’élément ultime d’une classification dans le découpage aristotélicien selon le genre, l’espèce et l’individu. En tant qu’élément logique, il s’articule autour de la problématique de l’indivisibilité. Point ultime de toute division au-delà de laquelle l’individu se détruit. Il n’y a d’individu qu’indivisible. L’individu peut être fait de parties organisées mais sa division entraîne sa perte et sa destruction. L’être individuel concret peut dès lors être déterminé comme ousia proté, essence première par laquelle celui-ci laisse transparaître l’essence du genre. En effet, ce cheval-ci que voici en dit plus sur l’être du cheval que sa chevalité. Comment penser l’articulation du général et du particulier ? Pour Platon la convertibilité s’établit par la technique comme ensemble structurant de la cité.

En tant qu’individualité, l’individu se rapporte à l’identité personnelle comme soi-même ; un soi qui devient même, un soi-même qui constitue son identité dans l’épreuve de l’altérité. Est-ce alors d’être soi-même qui rend rebelle à toute division ?

La notion d’individu structure aussi un des pôles de la pensée politique dans l’interrogation fondamentale individu/société.

Pas d’individu sans communauté, hors de la cité l’homme est soit chien, soit divin. C’est pourquoi les stoïciens vivaient comme des chiens pour mieux rejoindre le divin. Répondre chacun pour soi aux exigences immédiates du besoin physiologique ne permet pas de signifier l’écart qui sépare animalité et humanité, où l’individu n’est pas encore un, pas encore individu, affecté qu’il est par une défaillance originelle, insuffisance à soi, non-autarcie. C’est selon Arendt un des facteurs auquel répond la nécessité du politique : la liberté. Liberté en tant que choix de disposer de soi-même, une fois libéré de l’aliénation physiologique. Etre ensemble me permet de médiatiser tous mes besoins jusqu’à m’en affranchir et me développer dans une activité propre et particulière par laquelle je me saisis comme unité individuelle, recentré en moi-même autour d’un usage juste. C’est la responsabilité de chacun par rapport à une tâche qui fait de chacun un individu, recevant son unité et son indivisibilité de la fonction qui est la sienne. Au travers de la fonction et de l’usage naît l’individu. Pas d’individu, pas de même comme forme du soi lorsque il n’y a pas de fonction, lorsque l’individu est hors d’usage. C’est pourquoi Simondon définira l’homme comme porteur d’outil. Et il se peut que l’homme soit homo faber avant dêtre homo sapiens. L’homme dans son individualité est d’abord un porteur de possibles qu’il doit actualiser et l’homme est pensé sur le modèle de la machine. En cela toute production est toujours et avant tout production de soi. C’est la raison pour laquelle les révolutions industrielles et l’émergence des machines autonomes se sont soldés par des mouvements du type de celui des luddistes en Angleterre de 1811 à 1817 ou des Canuts à Lyon vers 1830, consistant à détruire les machines. Car l’automate prend la place de l’homme machine.

C’est donc de la spécification des tâches que naît l’individuation, l’individualisation de tout un chacun, qui demeure divisé et séparé de lui-même lorsqu’il prétend se suffire. La cité donne figure à ceux qui la composent.

Cependant si l’unité et l’indivisibilité sont conférées par la pratique juste et droite, il est aussi admis que de telles déterminations reviennent à l’eidos chez Platon. Il faudrait alors élucider le lien entre l’eidos et la pratique ou l’usage à partir du livre X de la République. La mimésis est déployée à partir du lieu de la poiésis. Le dieu produit l’eidos, le menuisier produit le lit en tant que meuble et copie de l’original eidétique, le peintre l’image fausse, le simulacre, copie de copie qui n’entretient aucun rapport avec l’original eidétique, dans la mesure où elle n’a pas d’usage. C’est l’usage qui règle la conformité de la copie à l’original. Pourtant au niveau de l’individuation le peintre égale le menuisier, puisque chacun fait ce qu’il a affaire. Il faut une nouvelle analyse des arts, « celui qui s’en sert, celui qui le fabrique, celui qui l’imite ». L’usage vient en lieu et place de Dieu. A l’eidos entendu comme modèle qui ne différentie pas le meuble du dessein, l’imitation poiétique, du simulacre, se substitue l’instance de l’usage. C’est selon l’usage juste que l’artisant se distingue de l’artiste. C’est donc à partir de la question de l’usage que doit s’ouvrir l’interprétation de l’eidos. Si l’eidos définit le « ce que c’est », le « ce que c’est » doit ce laisser comprendre comme « ce à quoi cela sert ». L’eidos se détermine selon la pratique. L’homme s’individualise par la fonction qui est la sienne, et qui l’inscrit dans la cité. Je ne deviens moi que par l’acte que j’accomplis selon l’usage conforme à l’eidos. Si l’essence de la technique n’est pas technique, c’est parce qu’elle est en son fond métaphysique.

Il n’y a pas d’individu sans société, ce qui est le contraire de Rousseau pour qui l’individuation se fait malheur dans la société civile sous la catégorie du maître et de l’esclave, où l’homme perd en s’individualisant de la sorte toute la liberté et l’éclatement du soi qu’il tenait dans l’état de nature.