C’est selon l’idée par laquelle un monde s’institue pour un peuple que se détermine une époque. Le mot « Dieu est mort » participe d’une telle idée, indissociable de son processus historique. C’est donc à l’avènement de cette époque que, tel qu’à sa source, le mot de Nietzsche « Dieu est mort » doit être interprété.
Mais cette interrogation essentielle doit d’abord être posée dans la problématique même de la mort de Dieu. Celle-ci se fait jour par la contradiction qu’il y a à considérer l’infini par le fini, l’immortel par le mortel. Dieu ne peut entrer dans la catégorie de la mortalité que s’il est par avance destitué de sa divinité, par essence infinie.
Et cette tension entre Dieu et sa divinité, entre le nom et l’essence, s’instaure par ce que l’on nomme la distinction entre le Dieu des philosophes et le Dieu de la révélation, distinction qui manque l’essence même de la divinité. C’est donc par la conquête de cette origine, par la remontée à la source de cette distinction que l’interprétation doit commencer.
La mort de Dieu ne s’annonce qu’au terme d’un long processus de dé-divination de Dieu. Mais ce processus ne peut être déterminé qu’au travers de la détermination de la divinité ou de l’essence de ce que l’on nomme Dieu. Car dire de Dieu qu’il est mortel c’est nécessairement le faire entrer dans le champ de la finitude humaine. Mais alors la mort de Dieu ne porte pas atteinte à sa divinité, si du moins celle-ci peut être déterminée. Ainsi la possibilité de la mort de Dieu peut n’être au fond que la reconnaissance de sa divinité. Et de même qu’on le dit du Roi, il est possible de dire de Dieu qu’il est mort, vive Dieu.
La mort de Dieu ne peut être légitimement proclamée qu’à partir d’une conception anthropomorphique de Dieu, qui loin d’en détruire la divinité, l’exalte plutôt. En conséquence, la mort de Dieu est moins une attaque définitive à l’encontre de Dieu qu’une libération de sa divinité au-delà de toute parole humaine, c’est à dire de toute conception anthropomorphique de Dieu. C’est donc dans une certaine mesure faire droit à la théologie négative selon laquelle de l’essence de Dieu nous ne pouvons rien dire ; la divinité se tenant au-delà de toute affirmation et de toute négation.
Ainsi la mort de Dieu peut ne consister qu’en l’affirmation de la reconnaissance négative de sa divinité ou essence qui se tient splendide au-delà de toute conception et de toute affirmation, au-delà de l’être même. La mort de Dieu n’est au fond que l’annonce de la théologie négative d’un Dieu caché transcendant les traités de l’être qu’ils soient compris comme eidos, ousia –substance ou essence- catégories, acte pur ou energeïa.
Or la paradoxe ici, provient du fait que la problématique de la divinité de Dieu est co-naturelle à la question de l’ontologie métaphysique, c’est à dire de la question de l’être en tant qu’être médiatisée par la question portant sur les principes et fondement par où « l’être est être et non pas simplement nombre, feu et mouvement. » Aristote Métaphysique, livre Gamma.