La position médiévale de saint Thomas scelle l’alliance entre théologie de la création et ontologie, dans ce que Heidegger appellera l’onto-théo-logie. La problématique occidentale de la question de Dieu devient alors indissociable de la problématique métaphysique héritée des grecs. D’une part le Dieu des religions devient un objet métaphysique, et d’autre part les religions sont pensées à l’aune de la conceptualité métaphysique grecque.
Or à la figure ontothéologique il est possible de penser les différentes significations de l’être à partir d’une ontologie pure consistant à partir de l’être en tant qu’être et non de Dieu comme principe d’unité de l’être. Duns Scot contrairement à saint Thomas affirme l’univocité de l’être. L’être se dit en un seul en même sens de tout ce dont il se dit, mais cet être univoque admet des différences formellement distinctes c’est à dire qui se distinguent sans diviser l’être qui reste ontologiquement un. Les distinctions formelles sont réelles mais non numériques, elles se disent toutes de l’être univoque sans le diviser. Elles s’expriment ensuite dans des distinctions modales, distinctions numériques et non réelles, des haeccéités qui expriment dans l’existence l’être universel sous la raison du singulier. L’être métaphysiquement ou ontologiquement univoque, s’exprime dans l’existence c’est à dire physiquement ou ontiquement comme degré de puissance, comme manière d’être, au double sens du génitif, manière « de » l’être, manière d’être en tant que manière de l’être. Dieu n’est plus le centre de convergence des significations de l’être mais chaque être singulier exprime sous sa raison l’universalité de l’être univoque ontologiquement premier.
Au nominalisme scotiste, Spinoza radicalise l’univocité de l’être en l’identifiant à Dieu : une seule substance, Dieu qui s’exprime en une infinité d’attribut, qui expriment une infinité de modes existants finis. Il n’y a plus alors de différence de nature mais de degré entre le créateur et les créatures ; toutes les créatures expriment en tant que degré de puissance ou pouvoir d’être affecté, la substance unique sous un certain rapport. Dès lors c’est l’homme lui-même qui devient la mesure de l’infini dans le troisième genre de connaissance du cinquième livre de l’Ethique. Il ne reste alors qu’un pas à accomplir par Nietzsche afin que Dieu ne soit plus un problème qu’il s’agisse de prendre en compte, et que l’individu en tant que volonté de puissance se donne comme la seule figure de l’universel. La mort de Dieu signifie le transfert de l’essence de la divinité dans la volonté de puissance comme essence de l’être individuel concret.
Alors tout se renverse, à la règle de l’omniscience divine se substitue l’affirmation de l’être singulier comme émission d’un coup de dès. Et Deleuze donne une juste image de l’ontologie dédivinisée de Nietzsche avec le coup de dès, dans Nietzsche et la philosophie. L’être, le nécessaire, l’un s’affirment du devenir, du hasard et du multiple eux affirmés dans leur totalité. Il s’agit d’affirmer toutes les composantes de l’univers, le devenir, le hasard et le multiple, desquels s’affirment l’être, le nécessaire, l’un comme de toutes les combinaisons possibles d’un coup de dès s’affirme le coup victorieux, celui qui affirme toutes les composantes réelles, c’est à dire tout le virtuel.
Ainsi il semble que la mort de Dieu atteigne finalement plus la lettre que l’esprit de la divinité, dans la mesure où celle-ci n’est finalement que transférée de Dieu à l’étant. Et si la mort de Dieu est une idée corrélative d’une certaine époque, celle-ci correspond à une certaine époque de l’être, à une conception de l’être sans finitude donc sans monde.