En un sens il est vrai de dire, comme le remarque Deleuze dans sa conclusion à Différence et répétition, que l’on peut attribuer à Platon la parternité de la métaphysique par la double distinction qu’il établit entre l’original et la copie d’une part et la copie et le simulacre d’autre part.
D’accord. Mais qu’est ce que la métaphysique ? La métaphysique comme toutes sciences consiste à démontrer ce qui se montre. Démontrer consiste à fonder l’apparence afin de la connaître certainement, ramener l’apparence à sa fondation pour la connaître avec certitude. Et l’entreprise platonicienne est en cela métaphysique, qui consiste à démontrer ce qui de soi se montre, c’est à dire le sensible, en le fondant sur les idées, c’est à dire l’intelligible. Dès lors ne serait-il pas plus juste d’attribuer la paternité de la métaphysique à Platon à partir de la distinction entre les Idées et les choses, l’intelligible et le sensible ? En un sens oui ; mais la métaphysique n’aurait sans doute jamais été un problème si la distinction entre les idées et les choses n’avait été médiatisée précisément par la double distinction modèle/copie, copie/simulacre.
La métaphysique commence par la distinction des Idées et des choses, de l’intelligible et du sensible. Mais elle trouve sa généalogie dans la double distinction du modèle/copie, copie/simulacre. Cette double distinction est la genèse même de la métaphysique. Lorsque la distinction idée/chose en est l’origine.
Une fois séparée l’idée de la chose, comme le fondement diffère en nature du fondé, Platon doit penser leur participation, leur commune mesure. Comment l’idée peut-elle rendre raison de ce dont elle est séparée, le sensible ? C’est sur le mode de la technique, que Platon pense leur commune mesure, c’est par la technique que le sensible participe à son idée. La ressemblance entre le modèle et la copie n’est pas un rapport de ressemblance sensible, ressemblance externe qualitative, mais un rapport interne, nomologique fondé sur l’usage. De la sorte, être c’est être ouvert à un usage ; savoir c’est savoir user. Exister traduit donc le pli ousia/genesis en un partage auquel rien n’échappe.
Qu’est ce que ? Qu’appelle-t-on ? "Nous avons l’habitude d’admettre une idée une seule, qui embrasse la totalité des choses auquelles nous donnons un même nom." République X.
Mais c’est aussi oublier que sous l’écriture de Platon circule la parole de Socrate ; c’est oublier la dimension socratique du platonisme, la vitalité de Socrate qui joue comme une instance démoniaque dans l’ordre établi, dans l’auto-satisfaction de l’idion. S’il y a une figure de l’idiot dans la philosophie, c’est Descartes qui la porte, Platon peut-être, mais sans doute pas Socrate. La tâche de la philosophie, avant même sa destination métaphysique est en cela virale, jouant dans la forme, l’organe ou l’organisme, c’est à dire l’organisation, comme un virus. Elle pervertit les fondements, éclate la mesure. Alors certes il y a une philosophie de l’école, la métaphysique dont Heidegger comprendra si fortement la conjonction avec la technique ; et si l’essence de la technique n’est pas technique, c’est qu’elle est en son fond métaphysique. Mais il y a aussi une philosophie de l’inquiétude, qui se manifeste dans les dialogues aporétiques où les questions ne trouvent pas de réponses. Qu’est ce que le beau ? La question en vérité ne sera pas résolue, du beau il n’y en a pas d’Idée. Mais la question sera en fait l’occasion de tout autre chose : savoir que tu ne sais rien, savoir que tu ne sais pas ce que tu crois savoir. Et Socrate ne sait ni plus ni mieux ce qui serait à savoir, la chose selon son idée. Il sait qu’il ne sait rien, qu’il y a lieu peut être de douter de ce dont on est certain, des opinions infondées qui sont comme autant de préjugés. Toi tu dis que la chose est ceci ou cela, mais il y a lieu peut être d’en douter, je ne sais pas plus ce qu’elle est mais ensemble tentons d’en découvrir le sens.
Et lorsque Socrate demande à Alcibiade : quel serait l’objet que tu verrais en même temps que tu t’y verrais toi-même ? Alcibiade répond le miroir, or c’est à l’oeil que pense Socrate. L’oeil de l’autre, qui contrairement au miroir renvoyant une image statique, morte et autosuffisante de soi-même, renvoie une image dynamique, travaillée par l’autre. Dans l’oeil de l’autre je me découvre dans mes manques et mes insuffisances, j’y découvre des persepctives, et j’en donne aussi. Alors un monde se fait, un monde de l’inquiétude, monde du clair-obscur, tout autre que le monde du On institué par la technique.