Il faut distinguer dans la démarche scientifique entre l’établissement de théories à partir d’un phénomène donné afin de le constituer en objet, et l’institution d’objets à partir desquels il est possible d’introduire des théories pour expliquer des phénomènes. Les deux démarches ne sont pas équivalentes elles sont mêmes contradictoires. Elles s’opposent comme s’opposent non seulement réalisme et idéalisme, mais surtout matérialisme et idéologie. Elles s’opposent comme la blouse blanche s’oppose à l’uniforme policier. C’est à ce second type de science que la psychanalyse doit pouvoir être identifiée. Car en effet, la psychanalyse construit son objet, se le donne tout fait, et prétend rendre compte comme après coup et à partir de lui, de tout ce qui est, c’est-à-dire de tout le réel.
Conforme à la demande platonicienne des Lois de « sauver les phénomènes », Freud se propose de rendre compte de certains phénomènes visibles tels que lapsus, actes manqués et rêves dont la réalité ainsi que le caractère significatif semblent ignorer les causes dont ils sont les effets. Sans cause assignable, de tels phénomènes semblent être émissions de coups de dès dans un jeu de hasard auquel se livrerait l’organisme. Or la raison de l’être individuel concret, rendue par un pur jeu de hasard demeure rebelle à tout déterminisme. Et cet indéterminisme, la pensée de science en général le tolère mal. C’est pourquoi elle pose au principe des phénomènes réels enregistrés dans l’organisme un centre abstrait régulateur comme cause présumée. C’est l’inconscient qui joue ici le rôle de cet objet théorique abstrait qui a pour propriété de déposséder le sujet de ce qui lui est le plus propre c’est-à-dire ses tendances ou pouvoir, pour ne pas dire pulsion, de ce que peux le corps. Ce dont le sujet est capable comme pouvoir être en propre ne lui appartient pas proprement puisque cela appartient à cet objet de science abstrait qu’est l’inconscient auquel seul le médecin a accès. Sans doute ce procédé la psychanalyse le dispute-t-elle à la médecine. En désappropriant du corps ce que le sujet est en propre pour le faire entrer dans des objets de sciences –qui ne sont jamais que présumés- et dans des appareils de mesure toujours plus sophistiqués, la médecine s’empare du propre. Le plus propre devient le plus éloigné et la distance qui sépare le sujet de lui-même est parcourue de scientificité. La science s’inscrit dans le corps en le séparant de lui-même pour en prend le pouvoir, l’enregistrer, le faire fonctionner, l’évaluer, le hanter et finalement le dominer. Ce corps que je suis comme centre de mes activités devient ce que j’ai par procuration, de sujet je deviens objet de science. De ce que je peux la science me sépare, pour me dire et me réduire à ce que je suis. Et c’est bien par rapport à une certaine compréhension de l’être, que la morale s’institue comme fondement de la métaphysique et de la science en général.
Si Nietzsche dénonce les présupposés moraux de la métaphysique c’est parce que celle-ci réduit l’être à la forme. Tout ce qui est, est déterminé par sa forme. Un être n’est ce qu’il est que lorsqu’il est conforme à sa forme. En d’autres termes le devoir être précède l’être. Au niveau de l’individu considéré sous l’aspect de la science, la forme est la normalité. Un individu n’est lui-même que s’il est conforme à la forme de la normalité. C’est pourquoi à la forme traditionnelle, Nietzsche oppose la puissance comme volonté de puissance. L’être est caractérisé par ce qu’il peut, il va jusqu’où va sa puissance, rebelle à toute détermination formelle, un être n’est que ce qu’il peut, va jusqu’où il peut. Jusqu’où il cesse pour devenir autre. Soit l’exemple stoïcien de la graine. Qu’est qu’une graine ? Selon la détermination traditionnelle, nous dirons que la graine se définit par son aspect, son contour, par tous les éléments sous lesquels nous pouvons l’identifier pour la fixer dans cette identité. Seulement la forme nous dit ce que la graine n’est pas, jamais ce qu’elle est. Le contour délimite la frontière de ce que la chose n’est pas. Ce qu’est la graine, c’est ce que peut la graine, bien au-delà de sa forme. La graine est aussi bien le tournesol que le champ tout entier, elle va jusqu’où va sa puissance. Et sa puissance s’exprime par des manières d’être affecté dans des agencements qu’elle compose avec le monde. La bonne terre, le soleil l’affects de telle sorte que sa puissance va jusqu’au tournesol. L’individu se caractérise par une cartographie des manières d’être affecté qui augmentent ou diminuent sa puissance d’agir.
5 commentaires
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Iras-tu, Jean Gouroux, jusqu'à dire comme Alice Miller que "notre corps ne ment jamais", ou bien le contraire ? Justement ?
Je ne connais pas Alice Miller, mais je ne pense pas que je dirais que "notre corps ne ment jamais", car le mensonge n'est pas quelque chose du corps mais de l'esprit, c'est à dire du négatif. Le mensonge c'est un concept moral. Donc peut être qu'à la limite je dirais que le corps ne trompe pas. Mais alors vraiment juste à la limite car tu jettes le doute sur moi avec ces deux points d'interrogations. Peut être que tu pourrais m'éclairer ?
Je t'avourai que je ne sais plus. J'ai écrit ça du boulot ... Si je me souviens bien, Alice Miller a une conception très 'culture américaine" de la psychanalyse. Comment je comprends "notre corps ne ment jamais" ? Comme ce qui me dit que l'on a soi-même notre trousse de secours sur soi. En soi. Soi. Comment je comprends le contraire ? Comme ce qui me dit qu'a trop écouter son corps, on en oublie qu'on est ce corps, non pas dedans mais lui. A mon avis, bêtise que de se croire dans le corps. Ou du moins fantasme. Révisons notre Artaud pour approfondir ...
Alors on ne dira pas que nous avons un corps mais que nous sommes un corps. Il n'y a pas d'abord un Moi, identitaire puis un corps qui l'incarne, mais un corps qui se vrille en singularités comme autant d'événements du corps qui font du sens. Et un corps ce n'est jamais un moi, c'est tout autre chose qu'un moi. Le corps c'est l'ouvert c'est le dehors, c'est déjà l'autre. En considérant réellement le corps, alors on ne peut pas dire que le corps ne ment jamais, car il n'a rien à dire à personne, à un un spectateur engagé dans son corps, un moi. Je n'arrive pas à savoir si t'es d'accord ou pas avec moi, si on se comprend bien sur ce point. Artaud c'est une trés bonne idée. Et ça me fait penser, si tu peux y jetter un oeil, à un chap. de Logique du sens de Deleuze : de l'événement. il parle de Joe Bousquet. Je ne sais pas si tu le connais, je crois que ça vaut le coup. Il était de Carcassonne.
Je vois tout à fait qui est le Joël Bousquet en question : "survivre à ce qu'on est né". Sa paralysie fait date dans l'histoire des écrivains. C'est certain qu'avec une expérience pareille, on ne peut avoir qu'une idée singulière du monde, et riche si l'on s'en donne les moyens. Par contre, il faut bien se rendre à l'évidence que le corps se manifeste, qu'il a ce propre language sur lequel se posent bien des questions.