Deux mots sur l’invisible. L’intention n’est-elle pas par elle-même paradoxale ? Un mot peut-il signifier ce qui n’apparait pas ? Et ce qui n’apparaît pas n’est-il tout simplement pas ? L’invisible n’est-il pas comme le néant, le possible ou le désordre, un de ces faux problèmes dont parle Bergson ? Y a-t-il une positivité de l’invisible qui puisse justifiée qu’on veuille en parler ?
Pourtant il est dit cet invisible en tant qu’invisible, par l’invisible précisément. Mais que signifie cet invisible mot ? ce mot d’invisible ? Précisément le sens pur, le pur incoporel, l’invisible comme sens, le sens comme invisible.
Ce qui est, n’a pas sens ; et ce qui a sens, n’est pas. L’inverse aussi bien. Car en effet tous les sens sont permis, et dans tous les sens, et sans en perdre le fil.
Si l’être est le sens, si tous les sens se disent dans l’être par la copule être (je suis malade, je suis grand, je suis fou, assis et debout) l’être n’est pas, car il n’est pas un genre, puisqu’il se dit de tout ce qui est, et dans tous les sens, il se dit du genre comme de la différence spécifique. Et si seul l’être est, portant à lui l’univocité du sens d’être, les sens multiples ne sont pas, car ils sont rejetés dans le sensible frappé de déficience ontologique. Et nous versons déjà dans ce qui sera la querelle des Universaux. Et qu’importe ici, que seulement la problématique n’est pas neuve.
Alors comme le demandait déjà Godard, écoutons Clio bruire à sa source. Ecoutons Péguy qui écoute Clio. La nouveauté de l’ancien. Nullement l’ancienne nouveauté. Et "qu’est ce qu’elle dit Clio ?" Déjà si vieux parce que si grec, mais encore si neuf parce que premier : Le premier répète la série toute entière, car le premier est le nouveau, est le nouveau parce que le différent ; celui qui ne diffère pas, mais fait tout différer. Celui qui n’est pas qu’en étant la source de l’être, est toujours en excès sur ce qu’il fait être. Alors bien sûr, la série jamais ne pourra répéter le premier, jamais ne pourra s’anexer l’en excès. La pensée toujours sera en dette sur le premier impensé. Mais quelle dette ? L’être ce qui est; non l’être ce qui devrait être. Le mouvement même de l’être et non la forme de ce qui devrait être.
"Le premier nénuphar est le meilleur, parce qu’il sait le moins, parce qu’il ne sait pas". Et nous voilà déjà dans le probléme du Génie qui porte le feu dans l’empire de la nuit. L’étonnement qui ne s’étonne pas de s’être étonné, étonne la mort elle-même, la nuit et la pierre, frémit la ruine, vivifie la pierre, lève la nuit à sa lumière. Et nous voilà déjà dans le problème de l’art. Car l’art est la matrice problématique de tout problème : inventer des formes nouvelles de l’être ; et de la vie aussi bien.
Et Péguy nous rappelle à son principe, l’innocence du jeu, innocence de l’enfant qui joue et qui ne sait pas, qui croit au monde parce qu’il croit au sublime dans l’innocente origine duquel, passe le monde comme sens, et passe le sens comme monde. Comme, signifiant alors l’immanence de l’invisible au visible, et non ce comme si d’une incarnation sensible du suprasensible, comme si le suprasensible s’incarnait dans le sensible. Comme si les Dieux et les mythes séjournaient dans le feu de nos oeuvres repoussant l’obscur jusqu’où va la clarté du foyer savamment instruit.
Ah ! L’enfant qui fait feu de tout bois ; Sublime de l’innocence qui ne sait pas la morale. Figure invisible qui n’est pas de Dieu, qui n’est pas d’un "au-delà", car il sait rester sans figure, car il sait la joie de la démesure, de l’hybris et du sans forme. Car il sait la joie de la puissance.
L’innocence de l’enfant au jeu, qui croit à l’invisible parce qu’il se méfie du réel. Mais quel réel ?
Le réel de la science, le réel du savoir, le réel objectif. Celui que l’on manipule et qui se dérobe à la pensée dans son être manipulé, qui sature la possibilité même de la pensée sous les opérations de la science. L’arraisonné.
Est-ce assez ici pour dire la science apollineinne, l’art dionysiaque ?