L'uSine à gaZPhilosophie - Art - Politique par Jean Martial-Guilhem2024-02-23T18:42:42+00:00Jean Martial-Guilhemurn:md5:ef74bdb5d5863b361d131b0915ba48f7DotclearL’ennui chez Pascal et Heidegger, de l’impossibilité du bonheur à la possibilité du monde.urn:md5:a37233b78df0740ac6c437355ea5600d2024-02-23T18:41:00+00:002024-02-23T18:42:42+00:00Jean Martial-GuilhemPhilosophie<p>Il est des jours où n’ayant rien à faire nous nous ennuyons ; réduit à notre impuissance par des causes extérieures et factuelles, nous nous ennuyons. Ces mauvaises conditions météorologiques qui interdisent cette balade projetée de longue date, ce train qui ne vient pas et qui m’assigne à mon impuissance sur ce quai de gare, sont pour moi autant de causes d’ennui. Mais à la balade, il est toujours possible de substituer une autre activité ; dans l’interminable attente, nous comblons la vacuité par quelques pensées, lectures ou discutions.
De même que la vacuité et l’empêchement sont ennuis et causes d’ennui, il arrive aussi que l’on s’ennuie d’activités dont les nécessités s’accordent mal à nos désirs. L’impératif du repas familial ou la soirée mondaine à laquelle nous sommes invités en sont des exemples.
Aussi par défaut (l’événement impromptu qui nous tombe dessus empêchant la réalisation de nos désirs) ou par excès (l’impératif qui ne s’accorde pas à nos désirs mais auquel on choisit délibérément de se soumettre), il arrive que l’on s’ennui.</p>
<p>Dans les chapitres II et III de la première partie des Concepts fondamentaux de la métaphysique, ces deux formes d’ennuis, Heidegger les détermine respectivement comme « être ennuyé par » et « s’ennuyer à ». Nous essayerons alors dans un dernier temps d’en dégager les caractéristiques essentielles afin d’aménager une ouverture possible à l’ennui profond que nous allons aborder ici chez Pascal et que Heidegger détermine sous la forme d’un « cela vous ennui ».</p> <p><strong>L’ennui profond</strong></p>
<p>Qu’il soit incidemment et par accident tombé sur nous ou qu’il soit délibérément choisi, l’ennui –dans les deux formes précédemment exposées- finit toujours par nous quitter dès lors que le train finit par rejoindre la gare ou que prend fin l’invitation à laquelle nous avions volontairement consenti. Si ces deux formes d’ennui sont tel un grain de sable qui s’insinue et vient gripper le réseau de nos finalités, la panne qu’ils provoquent reste momentanée et elle finit toujours par se résoudre indépendamment des efforts que nous pouvons déployer pour la supporter.
En revanche, ce que ces deux formes d’ennui factuel et mondain dissimulent c’est que de prime abord et le plus souvent nous nous ennuyions même sans aucune cause d’ennui ; ils dissimulent un ennui premier et essentiel, bref un ennui fondamental, qui constituerait selon Pascal le fond même de l’existence humaine :</p>
<p>« Ainsi l’homme est si malheureux qu’il s’ennuierait même sans aucune cause d’ennui par l’état propre de sa complexion. » Les pensées Laf. 136, Sel. 168.</p>
<p>Cette théorie d’un ennui fondamental auquel l’homme serait assujetti, trouve chez Pascal, son origine dans le statut de l’homme entendu comme « roi dépossédé. » Statut qui révèle la double nature de l’homme, sa misère et sa grandeur. L’idée que l’homme soit un roi dépossédé, renvoie au mythe adamique du paradis perdu, à l’exil hors du jardin d’Eden par le péché adamique. Et cette double nature tient au fait que si l’homme a été créé à l’image de Dieu ; par le péché adamique, il a perdu toute ressemblance à cet original dont il ne garde que la nostalgique mémoire.
Aussi pour Pascal, si le fond de l’existence humaine est ennui et malheur c’est que cet ennui profond vient de la conscience que nous avons de la vacuité de notre existence. Nous venons du néant et nous y retournons dans un espace et un temps qui n’ont ni début ni fin. Cernés de deux infinis, nous sentons que nous ne sommes là pour rien ; frappé de déréliction, l’existence humaine est dans son fond, tragique au sens moderne du terme tel que Deleuze définit cette modernité tragique. L’homme erre sur la ligne droite et infinie du temps. Nul retour possible à un paradis perdu, nul accomplissement possible de ce que Kant nommerait le « règne des fins » désignant l’accomplissement du suprasensible dans le sensible, de l’idéal dans l’effectif ; un règne des fins où s’accomplirait l’union de la morale et du bonheur.
Toutes ces problématiques de l’ennui, du temps, de la vacuité et ce que nous verrons être, le divertissement font écho au livre de l’Ancien Testament, L’Ecclésiaste et à sa phrase inaugurale : « Vanité des vanités, disait Qohélet ; vanité des vanités ; tout est vanité et pâture de vent. » L’homme est dans le monde comme Qohélet dans le sien.
« Rien de nouveau sous le soleil » nous dit encore un autre verset du même livre. Cela signifie qu’au regard de l’éternité toute nouveauté apparait comme déjà très ancienne, et comme le dit Alfred de Musset : « je suis venu trop tard dans un monde trop vieux. » Nous errons sur une ligne du temps où le temps même s’abolit du fait qu’aucun présent n’est par lui-même ni remarquable, ni différenciable d’aucun autre moment du temps, et que tout avenir est toujours-déjà par lui-même frappé d’obsolescence. Dans l’ennui profond, « il n’y a ni seulement présent, ni seulement passé, ni seulement avenir, et tout aussi peu ceux-ci additionnés –mais leur unité inarticulée, dans la simplicité de cette unité qui est leur horizon. » Les concepts fondamentaux de la métaphysique, p224. La ligne du temps sur laquelle nous jette l’ennui interdit toute idée de progrès et par là-même l’accomplissement d’un paradis terrestre, l’espérance d’un règne des fins.</p>
<p><strong>Le divertissement</strong></p>
<p>Saisi d’effroi à la conscience de sa propre condition, à la conscience de sa propre finitude et de son ennui profond, l’homme n’a d’autres choix que de se divertir, il s’affaire en vue de l’affairement même. Se divertir consiste, à la lettre, à faire diversion, à se détourner de sa misérable condition d’être mortel, à se détourner d’une existence frappée du sceau de la vacuité.
Ainsi cette disposition naturelle à l’ennui nous pousse presque mécaniquement, si ce n’est naturellement, à chercher le bonheur en dehors de nous-mêmes dans le monde extérieur, dans l’affairement aux affaires courantes, bref dans l’action. Voilà précisément ce que Pascal nomme le divertissement.
Dans le seul but d’oublier sa condition présente, l’homme se divertit, il se met en quête infinie de possessions, non pas pour posséder toujours plus mais pour être sans cesse en quête ; sans autre but que la quête elle-même.
Toutes les activités humaines de la plus frivole à la plus sérieuse se trouvent ainsi réduites au rôle de divertissement, de passe temps, bref de vanité. Et là encore rien n’échappe à l’ennui ou à la vanité dans le livre de L’Ecclésiaste où Qohelet va précisément passer en revu la vie, la mort, le savoir, l’amour, le pouvoir, les biens, les maux etc.
« Le divertissement nous amuse et nous fait arriver insensiblement à la mort. » (217) Par le divertissement, l’homme va son chemin sans en avoir conscience, il s’affaire en vue de l’affairement même et pour lui alors « la chasse est plus importante que la prise. » Le divertissement qui consiste dans une fuite en avant de soi pourrait être apparenté à un acte de « mauvaise foi » selon la définition que Sartre en donnait sous l’espèce de la figure du salaud. Le salaud étant celui qui s’étourdit et fait semblant –et se défaussant sans cesse- il est celui qui joue un rôle sans jamais être lui-même présent à la situation présente. Bref Il se ment à lui-même.</p>
<p>Si le divertissement ne nous sauve pas de l’ennui, il est toujours possible –à l’inverse de l’affairement dans le monde extérieur- de s’adonner à une démarche introspective afin de chercher le salut à l’intérieur de soi. Mais si l’on tente de s’approcher d’un « moi », son inconstance, sa vanité et sa contingence le rendent insaisissable. « Il n’y a point d’homme plus différent d’un autre que de soi-même dans les divers temps. » De l’Esprit géométrique, II, De l’art de persuader, § 11, p. 417
A la différence du cogito cartésien, le moi n’est pas substance, transparent à lui-même et saisissable d’une seule vue dans son identité constante ; et s’il est effectivement, le moi pour Pascal demeure insaisissable et par le corps et par l’âme.
« Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants ; si je passe par là, puis-je dire qu’il s’est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus.
Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on, moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps, ni dans l’âme ? Et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables ? Car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.
Qu’on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n’aime personne que pour des qualités empruntées. » Pensées, Laf .688, Sel. 567.
Il n’y a donc pas d’identité substantielle du moi vers lesquelles convergeraient en une unité les diverses et variables qualités que l’on pourrait lui attribuer. Qu’il n’y ait rien d’une personne au delà de ses qualités perçues, pourrait paraitre anticiper les thèses de Berkeley sur la substance et la perception dont le principe se résumerait en ceci : « Exister c’est être perçu et percevoir c’est exister ». Selon un tel principe, Berkeley nie qu’il y ait une réalité substantielle comme substrat permanant de ce qui se manifeste puisqu’une chose n’est qu’autant qu’elle perçue. S’il n’y a que des qualités sensibles et rien au-delà –comme une substance jouant le rôle de support ou de substrat à ces qualités- alors il n’y a plus ni sujet ni objet. De telle sorte que la chaleur n’est pas plus dans le feu que la piqure dans l’épingle dans la mesure où ni le feu ni l’épingle n’existent. Ce sont des êtres de raison ou de fiction et non des sujets d’inhérence doués de qualités sensibles. Seules les qualités sensibles existent. Et c’est par abus de langage que nous les rapportons à l’unité fictionnelle d’un sujet. Ainsi il n’y a pas sous ce qui se sent, se voit, se touche des qualités premières c’est-à-dire une substance étendue à l’unité de laquelle devraient être ramenées toutes les qualités secondes ou sensibles. Il n’y a que du perçu et rien au-delà. Il n’y aurait donc pas de cire, pour reprendre l’analyse cartésienne de la seconde méditation métaphysique, mais seulement du rouge ou du jaune, de la chaleur ou de la froideur, de la dureté ou de la mollesse… Remarquons toutefois que dans sa célèbre analyse du morceau de cire, Descartes ne renvoie pas l’unité de la cire à travers ses changements à l’unité d’une substance mais à l’unité de la conscience. C’est parce que je suis continuellement présent aux changements que j’observe que je peux dire que c’est la même chose qui change. Mais cette inhérence de la conscience aux changements perçus suppose l’unité substantielle du cogito. Unité que Pascal semble refuser.
De fait, ni le divertissement ni l’introspection ne peuvent nous sauver de l’ennui n’étant chacune qu’illusion d’une quête infinie au cours desquelles nous nous éloignons de nous-mêmes et du temps présent.</p>
<p>L’impossibilité du bonheur</p>
<p>« Ennui. Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaires, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme, l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir. » Les pensées Laf. 622, Sel. 515</p>
<p>« Ainsi s’écoule toute la vie, on cherche le repos en combattant quelques obstacles ; et si on les a surmontés, le repos devient insupportable ; car, ou l’on pense aux misères qu’on a, ou à celles qui nous menacent. Et quant on se verrait même assez à l’abri de toutes parts, l’ennui de son autorité privé, ne laisserait pas de sortir du fond du cœur, où il a des racines naturelles, et de remplir l’esprit de son venin » Les pensées 205.</p>
<p>« Tout le malheur de l’homme vient d’une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre. »</p>
<p>Toutes ces citations nous montrent en définitive que le divertissement est en ceci paradoxal, qu’il est en même temps ce qui nous garde de l’ennui –sans pour autant nous en sauver- et ce qui nous éloigne du bonheur.</p>
<p>Si l’ennui nous incline mécaniquement, voire naturellement, au divertissement alors le bonheur se donne comme un simple idéal de l’imagination ; accessible en droit mais inaccessible en fait. Nous jetant dans l’incapacité d’être au repos et dans l’incapacité d’être dans le présent –en même temps que présent à nous-mêmes - le divertissement interdit de fait toute possibilité du bonheur. Comment pourrions-nous être heureux si ce n’est dans le temps présent ? Avoir été heureux, c’est ne l’être plus ; espérer l’être, c’est courir le risque de ne l’être jamais. Mais encore faudrait-il pouvoir donner une définition de ce qu’est le bonheur d’un point de vue philosophique.
L’idée de bonheur chez Pascal reste fidèle à la définition qu’Aristote pouvait en donner à travers la doctrine du souverain bien c’est-à-dire une fin qui ne serait recherchée qu’en vue d’elle-même. De toutes les fins poursuivies par l’homme, le bonheur est la fin dernière de toutes les activités humaines. « Tous les hommes cherchent d’être heureux. Cela est sans exceptions, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but » nous dit Pascal. Mais cette quête du bonheur, si elle est universelle, elle n’en demeure pas moins irréalisable car nous dit encore Pascal : « Le présent ne nous satisfait jamais, l’expérience nous pipe, et de malheur en malheur nous mène jusqu’à la mort. »
Et c’est encore au mythe adamique qu’il nous faudra nous référer pour comprendre notre désir de bonheur, notre incapacité à l’obtenir et en même temps entrevoir une éclaircie dans notre morne existence : « Qu’est ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance, sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu’il essaie inutilement de remplir de tout ce qui l’environne, recherchant des choses absentes le secours qu’il n’obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c’est à dire que par Dieu même. »
Si l’homme est à l’image du Dieu, par le péché adamique, il a perdu toute ressemblance à Dieu.</p>
<p><strong>La grâce</strong></p>
<p>A ce state, il est possible de rapprocher l’ennui profond de l’idée médiévale d’acedia qui définit un état d’apathie ou de paresse, un état sans joie, une dépression de l’esprit. Cet état d’acedia compte au nombre des sept péchés capitaux en ce qu’il mène au manque d’espoir ou d’espérance et nous détourne de Dieu. Mais si comme pour les autres péchés capitaux (la gourmandise, la luxure, l’orgueil, l’envie, l’avarice et la colère) l’acedia peut être vaincue par la volonté dans la mesure où elle relève d’une libre disposition de celle-ci, l’ennui –qui lui ne relève pas de notre volonté libre mais de notre nature, de l’état propre de notre complexion- ne peut être ainsi vaincu. De l’ennui, nous ne sortons jamais. La gourmandise, la luxure etc. sont des vices que l’on peut combattre. Indépendant de note libre arbitre, l’ennui ne peut être combattu comme un vice.
En cela sans doute il pourrait être rapproché du « spleen » romantique ; objection faite de l’ambigüe complaisance que l’on pourra y déceler, comme lorsque Baudelaire par exemple, en parle comme d’un monstre délicat.
Aussi l’homme n’a-t-il d’autre choix que de chercher le bonheur en dehors de soi ; dans le monde extérieur et l’action avec l’assurance de ne pouvoir jamais y parvenir.</p>
<p>Plus surement alors l’ennui serait à rapprocher de la notion mystique de siccitas, qui désigne un état de sécheresse proche de l’état de vide développé par Pascal ou Heidegger. Pour les mystiques comme Saint Jean de la Croix ou Thérèse d’Avila, cette aridité de l’âme constitue le passage nécessaire pour l’accès au Salut.
Aussi, distrait par le divertissement extérieur ou occupé à sa vaine introspection, l’homme n’est plus disponible pour la rencontre avec Dieu : « Le gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c’est-à-dire par Dieu. » A l’instar des mystiques, l’ennui pour Pascal est une étape qui mène à Dieu. Traverser le néant pour mieux atteindre le divin. Mais si cet état d’ennui est nécessaire à l’accès du divin, nous verrons qu’elle n’est pas pour autant suffisante.
L’action dans le monde extérieur et la contemplation intérieure sont capables de distraire l’homme en l’aveuglant momentanément sur sa condition naturelle. Mais parce que ces deux moyens sont inefficaces, l’homme existe nécessairement dans l’ennui. Pour autant cet état d’ennui est aussi le seul susceptible de le mener au Salut.
« Le bonheur n’est ni hors de nous, ni dans nous ; il est en Dieu, et hors et dans nous. » De telle sorte que le bonheur relève d’une mystique de la Grace qui ne dépend pas de nous, ne vient pas de nous mais demeure en nous.
Pascal rejoint donc dans une certaine mesure les philosophies traditionnelles du bonheur tout en s’en éloignant. Si c’est bien par l’amour de l’immuable et de l’éternel que l’on accèdera au bonheur, cet amour dépend entièrement de nous. Il est de ma responsabilité de me soucier de moi, de ce qui est éternel en moi c’est-à-dire de l’âme et des vérités éternelles qu’elle possède éternellement même si c’est de prime abord sur le mode de l’oubli. Pour Pascal cet accès ne dépend pas de ma seule volonté mais de la grâce de Dieu. En effet si les jésuites et les jansénistes s’accordent sur la définition de la grâce, ils divergent quant à sa nature. Pour les jésuites, l’homme qui ne succombe pas au péché, obtiendra le salut. Pascal dans la lignée janséniste se montre plus pessimiste. Dieu n’accorde qu’à certain le salut, qui n’est ni une récompense ni le résultat d’une bonne conduite individuelle. Aussi si seul le salut peut nous sauver individuellement de l’ennui, rien –pas même une vie pieuse- ne peut nous garantir de le recevoir.
Pour autant l’analyse que mène Heidegger de l’ennui profond, si elle s’apparente aux descriptions qu’en donne Pascal, elle ne nous mène pas aux mêmes conclusions.</p>
<p>Les trois formes d’ennui chez Heidegger : « Etre ennuyé par », « S’ennuyer à » et l’ennui profond en tant que « Cela vous ennui. »</p>
<p>Kant dans la Critique de la raison pure, ramène la métaphysique à ces trois questions essentielles : « Que puis-je savoir ? », « que dois-je faire ? » et « que m’est-il permis d’espérer ? ». Ces trois questions se ramènent à une seule : « Qu’est-ce que l’homme ? » C’est pourquoi il s’agira pour Heidegger dans Les concepts fondamentaux de la métaphysique d’élucider le statut de l’homme. Peut-on répondre à la question de l’homme en le ramenant à l’histoire des civilisations ? Non, car une telle étude ne nous concerne jamais. Si la civilisation est bien l’expression de notre âme, son étude accède à la représentation de l’homme dans les formes de son expression mais jamais à sa situation concrète dans le monde c’est-à-dire à son Dasein. « Non seulement la philosophie des civilisations ne parvient pas à nous saisir mais elle nous délie de nous-mêmes en nous adjugeant un rôle dans l’histoire universelle ». Et dans ce rôle nous ne sommes jamais nous-mêmes.
Il s’agira donc d’apprendre ce qu’il en est de nous à partir d’où nous nous trouvons, à partir de la représentation de notre propre situation. Et cela nous l’apprendrons par l’analyse de la tonalité fondamentale par laquelle nous nous rapportons au monde. L’ennui sera ici cette tonalité fondamentale par laquelle que nous nous trouvons lié à notre Dasein de telle sorte qu’être le Dasein devienne pour nous l’unique lien qui nous engage.</p>
<p>Heidegger établit au cours des chapitres II et III de la première partie des Concepts fondamentaux de la métaphysique les traits caractéristiques et communs à ces deux formes d’ennui que sont l’« être ennuyé par » et « s’ennuyer à » –même si ces traits revêtent des modalités différentes pour chacune de ces deux formes.
Le premier trait renvoie au temps par « le fait de trainer en longueur », le second concerne le caractère du « laisser vide ».</p>
<p><strong>Être ennuyé par</strong></p>
<p>Dans l’ennui le temps nous parait long, il traine en longueur, de telle sorte que l’on s’évertue à faire passer le temps –le temps qui nous sépare de l’arrivée du train par exemple- en ménageant un divertissement à l’encontre de l’ennui. Ce passe temps consiste donc à nous amener à une occupation. Mais à vrai dire cette occupation ne nous intéresse nullement, ce à quoi nous sommes occupés dans le « passe-temps » n’a nul intérêt pour nous. Ce qui nous intéresse en revanche c’est le fait d’être occupé en tant que tel. Si nous cherchons à être occupé c’est par ce que l’ennui nous laisse dans un état de vacuité, de « laissés vide ». Lorsque nous sommes occupés à quelque chose nous commerçons avec les choses, nous les travaillons, les aménageons, nous composons avec elles. Aussi nous sommes pris par les choses, étourdis voire –à la lettre- ravis par elles. Nous sommes entièrement auprès de ce qui nous occupe de telle sorte que le temps que nous y consacrons n’est plus là du tout. Nous sommes pris dans le temps des choses de telle sorte que l’état d’être « laissé vide » que provoque l’ennui est supprimé lorsque les choses sont à disposition. Dans l’ennui, bien qu’elles soient là, les choses nous laissent vides parce que précisément elles n’ont rien à offrir. Nous attendons de la gare par exemple de pouvoir l’utiliser en tant que gare, acheter un billet et prendre le train aussitôt. Mais si le train a du retard, la gare qui se trouve là se refuse à nous en tant que gare, elle nous laisse vide dans un temps qui traine en longueur. La gare ne peut être ce qu’elle est aussi longtemps que le train n’est pas là. C’est dans ce fait de n’avoir rien à offrir, de s’absenter tout en étant là, dans ce refus de soi donc, que la gare nous fait attendre, nous laisse vide et in fine nous ennuie. Le fait d’être ennuyé est cet essentiel être trainé en longueur dans l’être laissé vide.
La question de l’ennui est donc essentiellement ramenée à la question de l’essence du temps. Quand les choses sont dans leur temps, aussi longtemps que nous les rencontrons dans leur temps, l’ennui fait défaut.</p>
<p><strong>S’ennuyer à</strong></p>
<p>Les deux composantes de la structure de l’ennui sont l’état d’être trainé en longueur par le cours du temps qui tarde à passer et l’état d’être laissé vide par les choses. Nous sommes laissés vides par les choses non pas parce qu’elles sont absentes mais parce qu’elles ont une façon particulière de se trouver là. Elles nous refusent quelque chose que nous attendons spontanément d’elles. Ces deux composantes se perçoivent aisément dans le fait d’être ennuyé par, mais devienne plus obscure lorsque l’on se trouve dans la situation de s’ennuyer à. Cette situation nous l’avions décrite sous la forme d’une invitation à laquelle nous avons répondu. Dans une telle situation, le passe temps correspond précisément à l’invitation toute entière. Mais si l’invitation toute entière est devenue le passe temps quel est alors l’élément ennuyeux par lequel nous sommes ennuyés ? Dans la première forme d’ennui nous avons un élément ennuyeux déterminé (la gare qui ne fonctionne pas comme une gare) dans la seconde forme nous avons un élément indéterminé qui nous ennuie, « un je ne sais quoi ». Dans l’ennui à, nous jouons notre rôle en étant de la partie pour ainsi dire, en nous prêtant aux jeux des mondanités. Mais en jouant ainsi notre rôle nous nous trouvons loin de nous, nous nous échappons de nous-mêmes en nous échappant de nos préoccupations quotidiennes ; et dans cet abandon de nous-mêmes, à travers le rôle que nous consentons à jouer, nous sommes laissés vides.</p>
<p>En ce qui concerne l’état d’être trainé en longueur, la question demeure difficile puisque le temps de la soirée n’est pas un temps subit mais choisi. Nous nous sommes donnés le temps d’honorer l’invitation. Or précisément, le temps nous abandonne entièrement à nous-mêmes en nous laissant entièrement participer à l’invitation. Le temps que l’on se donne est le temps figé d’une scène et découpé du temps usuel –durant laquelle nous jouons notre rôle qui est ici aussi celui du passe temps. Nous découpons en quelque sorte notre temps de notre temps et, de nous-mêmes, amenons le temps à s’arrêter pour devenir un unique maintenant dilaté sur la durée du temps de la soirée.
Ce n’est pas ici dans cette seconde forme d’ennui, le temps qui tarde à passer mais le temps qui s’arrête. Ce temps arrêté qui se délit de notre propre passé et de notre propre avenir bref de ce par quoi de prime abord et le plus souvent nous sommes préoccupés, c’est ce que nous sommes nous-mêmes, notre nous-mêmes absent tant qu’il est abandonné de sa provenance et de son avenir. Le temps ainsi arrêté nous assigne, nous met en demeure, il est alors l’élément de l’ennui.
C’est donc le temps qui est ici encore l’essence unitaire de la double structure de l’ennui : être trainé en longueur et être laissé vide. Mais ici l’ennui provient de l’être temporel du Dasein qui désigne l’être-là c’est à dire notre manière d’être au monde dans le temps.
Dans la première figure de l’ennui, l’ennui provient du fait que chaque chose a son temps, dans cette seconde figure, l’ennui est déjà plus profond dans la mesure où il provient du Dasein lui-même et de sa propre temporalité. L’élément qui ennui dans cette seconde forme, ne vient pas de l’extérieur, il s’élève du Dasein lui-même à l’occasion d’une situation donnée. Mais même s’il gagne en profondeur, c’est bien parce qu’il provient d’une occasion donnée que nous n’avons pas encore atteint l’ennui profond.</p>
<p><strong>L’ennui profond comme cela vous ennuie.</strong></p>
<p>Dans l’enquête menée par Heidegger de l’ennuyer par à l’ennuyer à, l’ennui devient de plus en plus profond venant –dans sa seconde figure- de la temporalité du Dasein lui-même.
Il nous faut maintenant chercher l’ennui dans sa profondeur même, afin de le déterminer comme tonalité fondamentale de notre être au monde indépendamment de toutes occasions extérieures.</p>
<p>Mais si nous revenons maintenant à la citation de Pascal par laquelle nous sommes entrés dans la notion d’ennui profond : s’ennuyer même sans aucune cause d’ennui, une question essentielle demande à être élucidée. Qu’est ce qu’une chose qui ne saurait être causée par aucune autre ? Ce qui n’a pas de cause, s’il peut-être imaginable, peut-il être pour autant effectif ? Qu’est ce qu’une chose, donc, qui n’ayant nulle cause, ne viendrait de rien ? Comme le rappelle Descartes dans les Méditations métaphysiques, « ex nihilo, nihil fit », de rien, rien d’advient. Aussi ce qui est sans cause assignable n’est rien, il est néant pur et simple. Mais qu’est ce qui est au juste anéanti dans l’ennui ? Est-ce le monde ou est-ce le sujet ?</p>
<p>Cet ennui profond, Heidegger l’exprime sous la forme d’un « cela vous ennui », expression dont il s’agirait maintenant d’éclaircir le sens grammatical. Le cela exprime un impersonnel au même titre que l’impersonnel que nous exprimons lorsque nous disons « il pleut », « il fait beau » etc. Il désigne l’indéterminé, l’inconnu qui ennuie, et plus précisément dans cette quête de l’ennui profond, il désigne le propre soi-même laissé en plan hors de son histoire, de sa profession, de sa position sociale, bref de tout ce qui le caractérise dans sa quotidienneté. Dans le à vous, maintenant, il faut comprendre le vous comme un pronom purement impersonnel, un vous par lequel on se distancie de soi comme on peut le comprendre dans l’expression « cela vous tue un homme ».</p>
<p>Dans un tel ennui profond il n’y a plus de passe temps dans la mesure où je suis l’ennui, écrasé par sa puissance. Le « cela vous ennui » a en lui le caractère de rendre manifeste ce qu’il en est de nous.
« Dans le premier cas d’ennui, des efforts sont fournis pour que le passe temps crie plus fort que l’ennui (afin que l’on n’ait pas à écouter celui-ci), et tant dis que, dans le deuxième cas, la marque décisive, c’est ne pas vouloir écouter, nous sommes à présent contraint d’écouter. Le « cela vous ennui » nous a déplacé dans un domaine où la personne particulière, le sujet individuel public, ne maitrise plus la puissance. » Face à la puissance de l’ennui nous sommes démunis.
Le vide, l’état d’être laissé vide dans cet ennui, est là où en tant que nous sommes cette personne nous ne voulons rien de l’étant précis de la situation précise dans laquelle nous nous trouvons. La situation, et nous-mêmes, devenons indifférents. Comme dans les deux premières figures de l’ennui, l’étant en entier ne disparait pas, il se montre comme tel en entier dans son indifférence. Le vide consiste alors en l’indifférence qui en entier entoure l’étant.
Nous avons vu que l’ennui entretenait dans chacune de ses formes une dépendance spécifique à l’égard du temps : le fait d’être retenu par le cours du temps qui tarde à passer ; le fait d’être mis en demeure par le temps qui s’arrête ; et enfin dans sa troisième forme le temps constitue l’horizon qui enserre la totalité de l’étant et à partir duquel celui-ci se dévoile dans sa totalité.
Dans l’ennui profond l’étant dans sa totalité se refuse à nos possibilités et le soi-même se retrouve face à lui-même comme ce qui est là et qui a à assumer son Dasein, son être-là, son être au monde. Le Dasein est partout et n’a pourtant goût d’être nulle part, il est convoqué par l’horizon du temps qui enserre l’étant dans sa totalité mais qui du même coup se présente comme l’élément qui rend possible.
Indifférent à tout, le Dasein se découvre dans ses possibilités, décidé à agir ici et maintenant dans telle ou telle perspective essentielle choisie de lui-même ; il se découvre ainsi dans sa liberté. Le Dasein qui dans l’ensemble de ses possibilités se décide d’être, détermine l’instant dans l’horizon du temps. L’ennui force le Dasein à entrer dans l’instant comme possibilité véritable de son existence et cette existence n’est possible que si l’étant en entier se refuse dans l’horizon du temps.</p>
<p>L’ennui ne s’intéresse à rien, il se désintéresse de tout. Tout ce qui est –en tant que tout- cela ne me concerne pas, ni n’est pour moi ; il n’en va pas de moi dans tout ce qui, ici, est. Dans l’ennui tout se vaut, tout s’égalise. L’ennui se retire de tout intérêt et se dégageant de tout, il laisse vide sa place au milieu de tout, il n’y est pour rien ni pour personne. Ce n’est pas tant le monde qui se retire mais le sujet qui se retire du monde comme on se retire d’une affaire, comme on retire ses fonds d’une banque, comme on retire son épingle du jeu. Indifférent à toute différence. Mais c’est dans ce retrait que l’homme peut exister véritablement en donnant un sens résolu à son existence en tant qu’être au monde dans son ipséité. De prime abord et le plus souvent le Dasein –l’être pour qui il y va de son être même- n’existe pas en mode propre mais sur le mode impropre du « on » de telle sorte que n’importe qui puisse prendre sa place. Dans le « on » il n’est pas celui dans la mise en jeu duquel il y va de son être même. Par la tonalité fondamentale que représente l’ennui, le Dasein n’est pas un étant quelconque dans le monde, mais il est au monde, et par cet être au monde qui le caractérise, le Dasein devient l’étant par l’ipséité duquel –dans l’instant de sa résolution- quelque chose comme un monde s’ouvre. C’est pourquoi on peut dire que le Dasein est configurateur de monde à la différence de la pierre qui est sans monde et de l’animal qui est pauvre en monde en ce sens qu’il n’appréhende pas l’étant dans ce retrait que produit la stupeur de l’ennui. La tonalité fondamentale qu’est l’ennui profond permet alors de mettre à distance et de dépasser l’étant vers son être, un tel dépassement constituant le phénomène de la transcendance à partir de laquelle doit se penser la liberté et la possibilité du monde.</p>
<p>Bien que les traits caractéristiques de l’ennui profond soient identiques chez Pascal et Heidegger, l’ennui, tel qu’il est développé par Heidegger fait droit au mot de Hölderlin : « Là où croit le péril, croit aussi ce qui sauve », là où chez Pascal rien ne saurait nous sauver de l’ennui.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2024/02/23/L%E2%80%99ennui-chez-Pascal-et-Heidegger%2C-de-l%E2%80%99impossibilit%C3%A9-du-bonheur-%C3%A0-la-possibilit%C3%A9-du-monde.#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/166Nature-Culture, Le différend.urn:md5:98c8c6b5cfc792c56297a489cb0992432024-02-09T19:14:00+00:002024-02-09T19:14:46+00:00Jean Martial-GuilhemArt<p>Retour aux choses mêmes. A la fin de son allocution au banquet Nobel, saint John Perse s’interrogeait : « Face à
l’énergie atomique, la lampe d’argile du poète suffira-t-elle à éclairer son propos ? Oui si d’argile se souvient l’homme.
Et c’est bien assez pour le poète d’être la mauvaise conscience de son temps. » A notre tour nous nous interrogeons :
« Un tel retour est-il encore possible pour nous aujourd’hui ? »</p> <p><strong>La culture ou la perte du vrai</strong><br /></p>
<p>La question du faux peut s’entendre
dans la synonymie du factice, de l’artifice
et de ses dérivés : l’artificiel et l’artéfact,
bref de l’imitation et du simulacre.
Ainsi, comprendre le faux à partir du factice
comme artifice, c’est ramener le vrai à la
nature et instruire le partage nature/culture.
Nature en grec se dit phusis, qu’Aristote
– sans être le premier – définie comme
ce qui se développe par soi, qui a en soi
le principe de son mouvement. Sera dit
artificiel a contrario ce dont le principe de
développement est exogène ; par conséquent
toutes les créations humaines, qui
s’opposent aux créations naturelles en tant
que créations culturelles, seront dites artificielles.
Nous rangerons au premier chef
dans la sphère de la culture les créations
artistiques.<br /></p>
<p>L’art, définit Aristote, imite la nature tout
en la dépassant. L’imitation possède chez
Aristote une signification toute particulière.
Il ne s’agit pas d’imiter prosaïquement
la nature dans ses aspects sensibles
de formes et de couleurs, dans la manière
dont elle se manifeste aux sens. L’art imite
la nature dans son processus de création.
L’art produit comme produit la nature.
Mais il la dépasse dans la mesure où il
amène à l’existence ce que la nature aurait
été incapable de produire d’elle-même. Si
le bateau poussait dans l’arbre que produit
la nature, nous n’aurions pas besoin d’art.
C’est sous la main de l’homme que l’arbre
devient bateau et le marbre statue. Ainsi
pour Aristote les créations artistiques ne
sont que des prolongements de la création
naturelle, l’art amène la nature à son achèvement,
elle produit la forme dans la quelle
toutes les tensions naturelles et les forces
de dispersion, se recueillent, s’annulent ou
se calment. Dans la forme de l’art la nature
s’achève et trouve le repos, le repos étant
pour les grecs l’indice de la perfection. Il y a
donc une continuité entre culture et nature
chez Aristote.<br /></p>
<p>Cette continuité se perdra avec l’avènement
de ce qu’il est convenu d’appeler la
modernité par laquelle l’imitation change
de signe. Lorsque Hegel affirme dans son
Esthétique : « le beau artistique est plus
élevé que le beau dans la nature. Car la
beauté artistique est la beauté née et
comme deux fois née de l’esprit. Autant
l’esprit et ses créations sont plus élevés que
la nature et ses manifestations, autant le
beau artistique est lui aussi plus élevé que
la beauté de la nature », il accomplit une
fracture entre les créations naturelles et les
oeuvres de l’esprit. Et le lien à la nature sera
définitivement rompu avec une interprétation
de la technique telle que l’effectue
Bachelard à propos de la technique du feu.
Dans La Psychanalyse du Feu, Bachelard
affirme en effet que si le feu existe dans la
nature, s’il est de nature, jamais il n’éclot
ni de l’éclat du silex ni du frottement de
deux bouts de bois. Avec la technique du
feu – dont l’importance symbolique est à
rappeler, le feu qui est venu aux hommes
lorsque Prométhée en a volé le secret aux
dieux – les hommes s’affranchissent de
la nature. Ils imitent les créations naturelles
mais ils inventent le processus de
création. Avec le feu, les hommes entrent
dans la culture comme dans une surnature
sous les signes de la technique et de
l’artifice. On peut retrouver si l’on y prête
attention cette idée illustrée dans le film
de Kubrick 2001 : L’Odyssée de l’Espace
lorsque l’animalité s’échappe d’elle-même
par l’entremise d’un monolithe noir à la
lettre surnaturel, pour se retrouver dans ce
qu’il serait convenu d’appeler l’humanité.
Le monolithe comme signe du passage
introduit l’idée d’une différence de nature
entre l’animalité et la culture.<br /></p>
<p>Est-ce à dire que les hommes aient perdu
toute trace du vrai dont le nombre réside
dans une nature avec lesquelles ils ont
perdu tout lien ?<br /></p>
<p><strong>Le retour à la nature</strong><br /></p>
<p>La floraison des produits bio, de l’esthétique
soft nous enjoint à faire retour à la
nature par une quête de l’authenticité. Et
c’est déjà toute l’histoire de l’humanité
qui est racontée en vingt seconde de spot
publicitaire. Les hommes égarés dans la
technique et l’artifice doivent revenir au
règne animal, retrouver le paradis perdu
par la première faute, le pêché originel.<br /></p>
<p>Le faux, la fausseté ou l’erreur qui sont d’ordre
logique et hypothético déductive, trouvent
leurs racines dans la faute qui elle, est d’ordre
moral et religieux. C’est en mangeant le fruit
défendu de l’arbre de la connaissance du bien
et du mal, qu’Adam et Eve condamnent les
hommes à l’errance en les privant de tout ce
qu’un dieu peut posséder.<br /></p>
<p>Les hommes sont-ils condamnés à l’erreur
ou peuvent-ils la dépasser en retrouvant
un ordre originel perdu, en retournant aux
secrets des dieux ou de la nature ?
Serait-il possible de faire retour à l’origine
par le retour à l’animalité par laquelle le
normal cède au naturel, l’absolu au relatif.
« Celui qui se transforme en bêtes se
libère de la souffrance d’être un homme »,
est-il dit dans Las Vegas Parano. C’est
l’ambition du bon sauvage de Rousseau,
du surhomme de Nietzsche, des sages
antiques grecs qu’ils soient stoïciens ou
épicuriens. Mais Boorman dans un film
comme Délivrance, interdira par l’exemple
tout retour fantasmé à l’originel en dépeignant
à l’instar de Hobbes un état de
nature violent et vicié, hostile à toute vie
heureuse et savante. Libre aux stoïciens de
faire le chien pour mieux accéder au divin,
celui qui se transforme en bête risque fort
d’y laisser la peau.<br /></p>
<p>De fait c’est par la raison que Platon nous
enjoindra de retourner à l’origine perdue
par l’accès au divin. La raison nous élève
de la matière par essence corruptible et
inachevée vers le plus haut, le divin ou principe
suprême. La science galiléenne possédait
la même ambition : le langage rationnel
mathématique par lequel tout phénomène
se trouvait expliqué, était aussi le langage
du Dieu créateur. Kant dans la critique de
la raison pure mettra un coup d’arrêt à cette
ambition démesurée. Le langage mathématique
n’est jamais qu’une construction
de l’entendement qui ne nous permettra
jamais d’atteindre à la chose en soi.<br /></p>
<p>A l’instar des romantiques, l’art permet-il
un retour à l’origine ? Kant dans la troisième
critique pour qui, et pour le dire dans
un langage qui n’est pas le sien, le beau est
le dévoilement de la vérité de l’être, inspirera
sans doute saint John Perse lorsque
celui-ci affirme : « Quand les mythologies
s’effondrent, c’est dans la poésie que
trouve refuge le divin ». Que l’art puisse
nous livrer une vérité inédite sur les choses,
je le pense, et je ne disputerai donc pas
cette question.<br /></p>
<p>Mais nous pouvons aussi avec Kant
renoncer à tout retour en attestant de son
impossibilité. Le vrai devient une construction
mentale sur la surface des choses qui
infiniment se dérobent à nos spéculations.
Qu’importe en effet la nature des choses
pourvu que nous puissions les exploiter. De
la nature nous ne voulons rien savoir, si ce
n’est nous en servir, l’arraisonner à nos fins.
Telle est de l’aveu même de Descartes dans
la Dioptrique, l’ambition de sa science.<br /></p>
<p>Autant renoncer, l’origine est à jamais
perdue. Faisons-nous un monde, un monde
surnaturel c’est-à-dire artificiel. L’art
abstrait dans sa dimension géométrique
esquisse les possibilités d’un tel monde.
En soumettant la nature à la rectitude des
lignes verticales et horizontales, Mondrian
nous offre la vision d’un monde qui ne doit
plus rien à la nature mais qui au contraire la
soumet aux catégories de l’entendement. Il
nous offre un monde de l’artifice, un monde
pour les hommes.<br /></p>
<p>Dès lors, c’est le vrai qui est faux, et le faux
qui est vrai. Il n’y a rien dans les profondeurs
de l’origine qui vaille d’être prononcé, car il
n’y a de toute façon ni origine ni profondeur.
Alors tel OEdipe, errons sans retour possible
sur la ligne droite infinie du temps en nous
souvenant de l’intuition géniale de Paul
Valéry : « ce qu’il y a de plus profond dans
l’homme, c’est la peau ».</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2024/02/09/Nature-Culture%2C-Le-diff%C3%A9rend.#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/165Le "je", une fiction grammaticale ?urn:md5:409fe2a49a4214bd7d8393026e8c1f702024-02-09T19:05:00+00:002024-02-09T19:07:55+00:00Jean Martial-GuilhemLe sujet, l'individu, le singulier<p>Petite histoire du « je ». C’est parce qu’il s’efface dans l’événement, se transforme au gré de ce qui lui arrive, que le moi n’existe pas. Nous y avons cru ? Nous n’y croyons plus, mais nous en suivrons la trace jusqu’à ce qu’elle s’efface elle aussi.</p> <p>Qui dit « je » quand je dis « je » ? Le moi auquel je crois
s’attribue généralement à quelque chose qui en grave la
constance et l’identité. Cette chose fut-elle conscience,
esprit ou âme est déterminée en dernière instance comme substance.
La substance dans son acception latine, est ce qui demeure
sous les changements. Mon corps amputé, ma mémoire tronquée,
mon intellect diminué par les vicissitudes de l’âge ou de
la maladie, n’entameront jamais ce que je suis, la constance du
moi, la réalité supposée du je, bref l’identité personnelle, parce
que sous les changements qui peuvent (m’) advenir demeure ce
moi substantiel et intérieur qui rassemble et concentre tous les
changements. Lui-même n’étant pas – en tant que substance –
soumis au changement, je peux par lui et à partir de lui, jusqu’à
ma mort au moins, m’affirmer dans mon « je ». Tout peut m’arriver,
je demeurerai le même, parce qu’en dernière instance demeure la
substance que je suis. Cette substance, Descartes la qualifiera de
pensante.<br /></p>
<p>Mais ce moi découvert sous l’espèce de la substance pensante
n’est pas encore une subjectivité, un moi plein, autonome et indidividuel.
Être une substance n’offre aucun
caractère à l’identité personnelle. Tout
au plus est-il partie d’un intellect agent
commun – un élément de la Matrice
qui pense en moi sans moi, un mode
de Dieu ou le rêve d’un Autre – capable
de raisonner juste mais qui n’a pas plus
de personnalité qu’une bonne machine
à calculer. Descartes qui inaugure la modernité par la primauté donnée au « je », ne nous renseigne pas
sur la teneur de ce « je ». Qui est-il ? Que peut-il ? Nous n’en savons
rien. Être une chose pensante, ne nous individualise en aucune
manière comme personne, comme « moi » ou comme « je ». Le « je »
de la substance est un je universel, celui du sens commun, de la
norme et de la vérité, mais dénué de toute personnalité, de toute
particularité ou singularité. Par la substance j’appartiens à une
certaine idée de l’humanité sans autre spécificité.<br /></p>
<p>Si l’idée de subjectivité est une idée moderne, l’intériorité ou le
soi n’est pas une idée neuve, elle prend naissance chez Platon et
se développe dans le christianisme philosophiquement héritier
du platonisme. C’est l’idée de l’âme qui, chez les grecs, définit le
cercle de l’intériorité.<br /></p>
<p>Lorsque Platon nous enjoint, comme d’un acte inaugural, de faire
retour à soi, de se soucier de soi, il entend le souci de soi comme un souci de l’âme au détriment de toutes valeurs mondaines c’est-à-dire
extérieures et matérielles. Mais que gagne-t-on à se détourner
du monde pour se retourner vers soi ? Quelle est la teneur de cette
connaissance de soi à laquelle Socrate nous enjoint, conformément
à l’injonction delphique « connais-toi toi-même » ? La pensée
chrétienne, dans la droite ligne du platonisme fera de ce retour
à soi un retour au divin. Ce que je découvre au fond de mon âme
dans la révocation du mondain, c’est Dieu dont dépendent et mon
essence et mon existence. Les pensées platoniciennes et chrétiennes
retrouvent Dieu dans l’intériorité, dans le recueillement
en soi-même.<br /></p>
<p>Le terme « religion » traduit indistinctement les termes latins religare
et religere, qui signifient relier et recueillir. Le religieux revêt
donc en même temps une dimension politique plus juive que chrétienne
dans la signification du lien, et une dimension spirituelle
plus chrétienne que juive dans la signification du recueillement
puisque c’est par la loi pour les juifs et par la foi pour les chrétiens
que l’on atteint au Divin. En moi-même, je trouve ce dieu qui
disparait dans l’extériorité des préoccupations quotidiennes et des
vanités mondaines : « Vanité des vanités, tout n’est que vanité. »
(<em>Le livre de l’Ecclésiaste</em> ou <em>Qohélet</em> 1, 2-3) consonnant à l’injonction
du Premier Epitre de Jean « N’aimez pas le monde et ce qui
est dans le monde. »<br /></p>
<p>Mais si par ce retour à soi, le moi se dissout dans la divinité, alors
de moi, il n’est rien ; le moi n’est rien ; à la lettre il est un néant pur
et simple. Sans doute l’idée de subjectivité moderne, sous l’espèce
de l’idiosyncrasie – c’est-à-dire du particulier – nait-elle du désenchantement
du monde. Lorsque la divinité s’en est allée, dans ce
long processus que Marcel Gauchet appelle le « désenchantement
du monde » opéré par la science notamment, il ne reste rien que le
moi qui se prend lui-même pour Dieu. Mais comme le remarque
Hegel, l’être pur qui peut prendre le nom de Dieu est égal au néant
pur. Le moi n’est autre que l’autre du monde, la néantisation du
monde. De la sorte, il n’y a ni moi, ni intériorité. Le moi comme la
personne qui, du latin persona désigne le personnage, le masque
au théâtre, n’est autre que le masque du néant. De moi, que reste-il
alors ? Rien, car du moi tout laisse à penser qu’il n’y a pas d’être.
D’une ontologie de la personne nous passons avec Heidegger,
Sartre ou Levinas à une éthique de la responsabilité –voire à une
responsabilité éthique pour Levinas- selon laquelle il n’y a de
« moi » qu’en situation, toujours déjà engagé dans le monde. Il est
de ma responsabilité d’être au monde sur le mode de l’authenticité.
Mais une telle pensée reste tributaire de la néantisation du moi sur le mode du « pour soi » qui s’oppose à la positivité et à
« l’en soi » du monde. Si en soi, le monde existe bien, il n’existe que
pour moi qui ne suis pas sur le même mode que lui. Car si j’existe
c’est sur un autre mode que les choses et le monde qui les porte.
Si l’angoisse est pour Heidegger la tonalité affective fondamentale,
c’est parce qu’elle met à distance tout étant. Si la peur est
toujours peur de quelque chose pour quelle chose, l’angoisse ne
s’angoisse ni de rien ni pour rien ; elle jette tout étant au néant.
Et c’est dans ce néant que je me décide à être en mode propre.
Mais nous pouvons aussi penser que le moi n’existe tout simplement
pas, qu’il est l’élément d’une idéologie, le concept d’une
époque, qu’il a rendu ses services dans la manière d’agencer
un monde aujourd’hui dépassé. Dans Logique du sens Deleuze
développe l’idée selon laquelle le moi n’est pas autre chose que
l’effectuation spatio-temporelle de quelque chose qui le dépasse
infiniment.<br /></p>
<p>Qu’est-ce qui fait l’individualité d’une vie, d’une saison, d’un
vent, d’un cinq heures du soir ? Une multiplicité d’événements
singuliers qui existent éternellement : la mort, l’amour, la clarté
du jour… et qui s’effectuent dans un corps ou une chose pour lui
donner son individualité.<br /></p>
<p>Si la littérature anglo-américaine pour Deleuze « brille par son
inaptitude à trouver un sens à donner au mot « moi » si ce n’est
celui d’une fiction grammaticale » c’est qu’elle rend à l’événement
sa vérité éternelle, indépendamment de son effectuation corporelle.
Le moi s’efface pour qu’en lui se dessine toutes les formes ;
il se tait pour qu’en lui se murmure toutes les voix, comme de ce
visage à l’affirmation duquel sourd à l’oreille du poète une éternelle
humanité : « Il fallait bien qu’un visage réponde à tous les noms du
monde », affirme ainsi Eluard.<br /></p>
<p>Si une écriture du moi est encore possible ce n’est qu’en tant
qu’elle est l’écriture de l’événement. Le moi doit s’effacer dans ce
qui lui arrive au profit de ce qui lui arrive. Car ce n’est pas à moi que
quelque chose arrive, mais c’est toujours moi qui arrive dans ce qui
arrive. Le moi n’est jamais qu’une manière d’être dans le temps
l’éternité de l’événement. Cette manière d’être, Nietzsche l’appelait
Amor Fati – l’affirmation de ce qui arrive dans ce qui m’arrive
– elle est la disposition du surhomme par laquelle la volonté de
celui-ci veut l’événement pour en dégager l’éternelle vérité.<br /></p>
<p>« Le moi du poète lyrique élève la voix du fond de l’abyme de l’être,
sa subjectivité est pure imagination. » (Nietzsche, ’’Naissance de la
Tragédie’’, §5).</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2024/02/09/Le-je%2C-une-fiction-grammaticale#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/164Le faux comme principe de l'évolution des espèces.urn:md5:20e245564a39043f1d7dd524f91334202024-02-09T18:55:00+00:002024-02-09T19:00:46+00:00Jean Martial-GuilhemPhilosophie<p>La nouveauté, c’est-à-dire la différence, ce qui ne porte pas le signe des valeurs partagées, l’excentrique ou le singulier est au principe de l’évolution des espèces. Et si la norme dit le vrai, ce qui en diffère, c’est à dire le faux, constituera la base de la théorie cohérente de l’évolution des espèces chez Darwin.<br /></p>
<p>Texte paru dans le #2 des <strong>Cahiers d’Adèle</strong> (Le Faux)</p> <p><strong>La différence et le faux</strong><br /></p>
<p>Philosophiquement le faux sera déterminé par rapport à la norme qui définira le vrai. Cette norme est généralement appelée essence. Une chose sera dite vraie si elle est conforme à son essence, et fausse si elle en diffère :<br /></p>
<p>« Nous avons l’habitude d’admettre une certaine idée, une seule, qui embrasse chaque groupe des objets multiples auxquels nous donnons le même nom <a href="https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2024/02/09/…" title="…">…</a>. Il y a bien des lits et bien des tables… mais tous ces meubles se ramènent à deux idées seulement, une du lit, une de la table. »
Platon, <em>République IV</em>.<br /></p>
<p>Dans la terminologie platonicienne, l’essence sera dite Idée –ou encore modèle ou original- qui existe dans un autre monde que le notre, le monde intelligible qui transcende notre monde sensible et le dirige. A coté de l’original il existe des copies conformes et qui seront dites aussi icônes. Et il existe encore une troisième espèce d’êtres, les simulacres ou idoles, qui emprunte l’apparence de la copie mais qui ne partage pas l’essence du modèle. Nous trouvons ces trois niveaux d’être dans l’exemple du lit emprunté par Platon au livre VII de la République. Il existe (l’idée) l’idée du lit, qui n’est ni en bois ni en fer, qui n’a ni trois ni quatre pieds, qui n’est ni verte ni rouge, bref qui n’est pas matérielle mais dont toute l’essence consiste à aménager le lieu d’un repos. (la copie) Le lit du charpentier qui peut bien être en bois ou en fer, rouge ou vert, mais qui doit servir à dormir. (le simulacre) Et il existe une troisième forme de lit, le lit du peintre, qui peut ressembler trait pour trait au lit du charpentier, jusqu’à faire illusion, mais qui d’aucune manière ne permettra le repos. Le simulacre ou idole qui emprunte l’apparence de la copie sans garder l’essence du modèle, doit être rejeté. De la sorte l’univers platonicien peut être dit essentialiste. Ce qui diffère de la norme, ce qui n’est pas conforme à l’original ou essence n’a pas d’existence réelle et doit être rejeté hors du cercle de la vérité que trace l’idée, le modèle ou l’essence. La différence est donc l’indice du faux. On comprend alors qu’un univers essentialiste soit un univers fermé dans lequel aucune évolution, aucun changement n’est rendu possible. Puisque la norme ou essence dicte la conduite et la règle de l’être.<br /></p>
<p><strong>Essentialisme et biologie</strong><br /></p>
<p>La conception essentialisme trouvera sa forme la plus haute dans l’étude du vivant chez Aristote. Celui-ci établit la première taxinomie du vivant en classant les êtres par genre et espèce selon leur différence spécifique ou essence. Ainsi l’homme constitue dans le genre animal, l’espèce humaine selon la différence spécifique qu’est la rationalité. L’homme est parmi les animaux le seul qui soit doué de raison. L’essence –ou la raison pour l’homme- est première sur l’individu qui le détermine. C’est la raison pour laquelle, l’enfant ou le Barbare, n’appartiendront pas au cercle de l’humanité que définit la rationalité.<br /></p>
<p>Lamarck qui le premier formulera une théorie de l’évolution des espèces, est l’héritier de la tradition essentialiste aristotélicienne. Or en régime essentialiste, si l’on veut tenir compte de l’évolution des espèces, il faut pouvoir penser un changement d’essence. Si une espèce évolue, c’est que son essence évolue aussi, sa différence spécifique se transforme pour, de degré en degré, donner naissance à une espèce nouvelle, soit une nouvelle essence. Concilier l’essentialisme hérité d’Aristote avec le principe d’évolution constaté dans la nature par l’apparition et la disparition d’espèces à des temps différents, s’avère une tâche ardue voire impossible. Ici réside l’écueil du Lamarckisme, qui aura accomplit la moitié d’un chemin que Darwin s’appropriera en totalité. Si l’identité selon l’essence est première dans l’espèce, comment l’espèce se modifie-t- elle ? Soit par le transformisme, soit par l’adaptation. Mais dans les deux cas, l’essentialisme bloque toute théorie cohérente d’évolution.
<br /></p>
<p><strong>Nominalisme et primauté de la différence</strong><br /></p>
<p>Le génie de Darwin n’aura pas consisté dans l’invention de la théorie de l’évolution, mais dans la transformation du fondement théorique de celle-ci. En effet les difficultés inhérentes à l’explication de l’évolution cessent si l’on change le principe de base. L’espèce n’est plus définie par une essence normative ; elle est un simple nom, une forme arbitraire sous laquelle on range une certaine homogénéité de différences. Ce n’est plus l’identité mais la différence qui est première et mise au principe de l’évolution et de la classification. La question n’est plus dès lors de savoir comment une espèce se transforme, mais comment au contraire malgré toutes les différences individuelles manifestes au sein d’une même espèce, une certaine identité continue de se maintenir à travers les générations. Il n’est plus question de penser la transformation des espèces, puisque l’évolution en régime nominaliste, est au principe de la spéciation. L’espèce n’est plus première, c’est le singulier comme essence qui est premier. L’évolution se joue sur deux plans, à la croisée de la nécessité et du hasard, de la reproduction sexuée et des circonstances extérieures.<br /></p>
<p>Les circonstances extérieures sélectionnent les caractères les mieux adaptés. Mais cette sélection n’est ni voulue, ni rationnelle, ni finalisée. Elle est arbitraire, chaotique et accidentelle. La reproduction sexuée, au contraire introduit l’idée de nécessité sous la forme de conatus comme volonté de persévérer dans l’être. Mais dans ce conatus ce n’est pas l’espèce qui se reproduit, mais l’individu lui-même porteur de ses propres différences et singularités. Si ces différences permettent la survivance au milieu, alors elles demeurent de générations en générations jusqu’à devenir par suite la règle ou la norme à l’aune de laquelle une nouvelle espèce apparaît. Ainsi deux populations d’une même espèce évoluant dans des régions du monde aux conditions climatiques et environnementales très distinctes, se différencieront au point de donner naissance à deux espèces distinctes.<br /></p>
<p>Loin d’affirmer l’espèce comme essence ou comme norme, la reproduction sexuelle affirme au contraire les différences individuelles. Et par une lutte dans l’espèce, l’être individuel concret tend à lui seul à être la mesure de l’essence spécifique. Il tend à affirmer ses propres caractéristiques comme des différences spécifiques ou des essences.<br /></p>
<p>L’individu qui se reproduit n’affirme pas l’espèce qui le dépasse et le définit par transcendance. Au contraire il affirme ses différences au mépris de l’espèce. Sous l’aspect de la différence dans le monde animal, c’est le faux qui est principe de son évolution.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2024/02/09/Le-faux-comme-principe-de-l-%C3%A9volution-des-esp%C3%A8ces.#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/163L'arc de triomphe, ce que l'on montre en le cachant.urn:md5:2c76b2a23938acd8374b9103873678bd2021-09-21T12:36:00+01:002021-10-04T11:51:20+01:00Jean Martial-GuilhemArt<p>Y a-t-il un intérêt esthétique au dispositif artistique de Christo ? Que cache la perception de ce monument voilé ?</p> <p>Dans l’ensemble des objets issus de l’artifice humain, on distinguera deux catégories d’objets : les objets utiles et les objets inutiles. Selon un partage auquel rien n’échappe, on distinguera donc entre ce qui est issu d’un savoir faire (<em>Techne</em>) et ce qui a l’art -au sens moderne du terme- pour origine. Cette origine qu’est l’art proprement dit, est communément ramenée au génie.<br /></p>
<p>Ces deux catégories d’objets recoupent deux régimes du regard. Si l’œuvre d’art à proprement parler, et pour reprendre les mots de Paul Klee, "n’est pas visible mais rend visible" ; les objets que nous rencontrons de prime abord et le plus souvent ne sont ni visibles ni ouvrant sur une visibilité qui, sans eux, demeurerait "invue". Car ce que nous voyons à travers eux, ce sont les buts que nous voulons atteindre.<br /></p>
<p>Comme le remarque Aristote dans la <em>Physique</em> (II, 3-9) et au livre Z de la <em>Métaphysique</em>, tout objet ’qu’il soit de l’artifice humain ou de nature- est issu de quatre causes. La cause matérielle, formelle, efficiente et finale. Ainsi l’artisan (cause efficiente) choisit la meilleure matière (cause matérielle) à laquelle il donne la meilleure forme (cause formelle) pour atteindre le but visé (cause finale) à travers l’objet produit. Il parait alors évident que des quatre causes, la dernière -la cause finale- est la raison des trois autres. Aussi lorsqu’il s’agira pour Socrate de définir ce qu’est un lit au livre VII de <em>La République</em>, la définition sera renvoyée à l’usage. Dès lors "être" c’est "être ouvert à un usage" et "savoir" c’est"savoir user".<br /></p>
<p>De la sorte nous ne voyons jamais par et dans l’objet, l’objet lui-même mais la fin qu’il nous permet d’atteindre. Telle est la conclusion à laquelle Heidegger nous amène. L’usuel, l’objet dont nous nous servons, disparait dans l’usage que nous en faisons ; non pas simplement à force d’usure mais parce que ce que ce nous voyons à travers eux, ce sont les buts que nous cherchons à atteindre. L’analyse de Heidegger s’applique aussi bien aux objets nés de l’artifice humain qu’aux objets de la nature, dès lors que nous en faisons usage. Il y a ainsi et par exemple plusieurs façons de se rapporter à un papillon. Le scientifique le verra comme le représentant de telle ou telle espèce, le collectionneur comme l’élément manquant de sa collection, l’agriculteur comme le signe de la bonne ou de la mauvaise santé de sa production etc. Mais dans tous ces cas, aucun ne voit le papillon pour ce qu’il est. Puisque l’objet étant intégré dans le réseau des finalités de nos préoccupations quotidiennes, chacun le perçoit selon un regard intéressé qui est le sien et à travers lequel le papillon en son être nous échappe. De même le monument dont nous faisons un usage quotidien, finit par ne plus être perçu, par ne plus apparaitre. C’est alors en le masquant, en le faisant disparaitre purement et simplement, qu’il nous réapparait pour ce qu’il est. Ainsi rendu indisponible à nos préoccupations, c’est par son absence, qu’il se fait remarquer. C’est en le recouvrant que Christo nous fait apparaitre l’Arc de Triomphe.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2021/09/21/L-arc-de-triomphe%2C-ce-que-l-on-montre-en-le-cachant.#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/162Services publics.urn:md5:aef62f17f854cf9f90896e6a2e449fc32019-03-20T10:07:00+00:002019-03-20T10:07:15+00:00Jean Martial-GuilhemOpinion publique<p>Un service public de qualité est toujours rentable sur le long terme et en différé, il produit une population instruite, en bonne santé physique et mentale, satisfaite de la situation dans laquelle elle se trouve.
Il doit créer des désirs d’existence et donner les moyens de les réaliser ; ce qui est pour un Etat, la plus grande des richesses. Sacrifier le service public c’est sacrifier l’Etat et son Peuple au nom d’intérêts économiques, industriels et financiers mortifères.</p> <p>Un service public de qualité est toujours rentable sur le long terme et en différé, il produit une population instruite, en bonne santé physique et mentale, satisfaite de la situation dans laquelle elle se trouve.
Il doit créer des désirs d’existence et donner les moyens de les réaliser ; ce qui est pour un Etat, la plus grande des richesses. Sacrifier le service public c’est sacrifier l’Etat et son Peuple au nom d’intérêts économiques, industriels et financiers mortifères.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2019/03/20/Services-publics.#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/160L'école de la confiance.urn:md5:6eae748b9ec8b2bb948de73ccc587a882019-03-20T10:06:00+00:002019-03-20T10:06:03+00:00Jean Martial-GuilhemOpinion publique<p>L’égalité des chances dans la "startup nation" de Macron consiste à sacrifier l’école pour donner sa chance à un mec comme Benalla dénué de tout scrupule et de toute moralité. (Même dans l’application de son idéologie, il foire). L’école doit rester le plus sûr moyen de s’élever dans la société pour tous ceux qui le souhaitent et sans discrimination, car elle reste, contre tout arbitraire et copinage, le moyen le plus juste.</p> <p>L’égalité des chances dans la "startup nation" de Macron consiste à sacrifier l’école pour donner sa chance à un mec comme Benalla dénué de tout scrupule et de toute moralité. (Même dans l’application de son idéologie, il foire). L’école doit rester le plus sûr moyen de s’élever dans la société pour tous ceux qui le souhaitent et sans discrimination, car elle reste, contre tout arbitraire et copinage, le moyen le plus juste.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2019/03/20/L-%C3%A9cole-de-la-confiance.#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/159Des mots et des maux.urn:md5:289fb614d6befa65dc89859587a5daa72018-12-10T13:13:00+00:002018-12-10T13:13:56+00:00Jean Martial-GuilhemOpinion publique<p>Sur l’usage des mots dans les médias politiques : Le sentiment.</p> <p>Y a un autre truc qui m’agace en politique médiatique c’est l’usage cynique du concept de "sentiment" : Sentiment de déclassement, sentiment de précarité, sentiment d’insécurité etc. qui laisserait à penser que toutes ces situations décrites relèveraient d’une simple illusion, une perception capricieuse voire hystérique du réel parce qu’inconsciemment le sentiment renvoie aux premiers émois de l’enfance, à quelque chose de pas très sérieux. Or le sentiment c’est quelque chose de très réel, ce n’est pas une illusion ou une déformation de notre perception du réel. Le sentiment c’est simplement la réalité telle qu’elle nous apparaît et par l’entremise duquel (sentiment) nous sommes immédiatement informés de la situation dans la quelle nous nous trouvons.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2018/12/10/Des-mots-et-des-maux.#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/157Vote et démocratie au regard de l'arme absolue de la dissuasion politique.urn:md5:794def6f8159878a7cd90dade2b120bb2018-11-27T16:18:00+00:002018-11-28T14:05:06+00:00Jean Martial-GuilhemPolitique<p>Le vote par lui-même ne fait pas d’un système politique une démocratie pour un raison essentielle tout d’abord. Le vote définit la démocratie comme représentative or celle-ci demeure une démocratie imparfaite par essence au regard de l’idéal démocratique qui se conçoit à partir de la démocratie participative. Une démocratie n’est réellement démocratique que lorsque elle est de façon permanente et à tout niveau, participative mais cet idéal démocratique est difficile voire impossible à réaliser.
Ce n’est que par sa composante délibérative qu’une démocratie devient réellement démocratique. Or ce combat qu’incarne la délibération nous a été par deux fois confisqué en 2002 et 2017. C’est là et par accident que pour une seconde raison, le vote ne fait plus d’un système politique une démocratie...</p> <p>Le vote par lui-même ne fait pas d’un système politique une démocratie pour un raison essentielle tout d’abord. Le vote définit la démocratie comme représentative. Le peuple ne gouverne pas directement mais choisit parmi tous les représentants déclarés et potentiels les plus à même de représenter les aspirations sociales individuelles qui le constituent atomiquement. Or cette démocratie représentative demeure une démocratie imparfaite au regard de l’idéal démocratique qui se conçoit à partir de la démocratie participative où le peuple seul gouverne en corps et immédiatement c’est à dire sans représentants. Une démocratie n’est réellement démocratique que lorsque elle est de façon permanente et à tout niveau, participative. Cependant cet idéal démocratique est difficile voire impossible à réaliser. Le peuple comme totalité <em>holique</em> doit par lui-même exprimer les aspirations individuelles qui le constituent comme totalité <em>panique</em> (somme arithmétique des individus et des volontés individuelles). Le tout doit donc exprimer la partie et la partie exprimer le tout ; la volonté générale doit exprimer la volonté de chacun et la volonté de chacun exprimer la volonté de tous. Non seulement une telle exigence est irréalisable mais elle est aussi contradictoire. La vocation d’une démocratie étant de pouvoir laisser s’exprimer la divergence. Mais toute divergence menace de péril l’unité du peuple donc de la démocratie même. D’où la contradiction, l’idéal démocratique devenant alors un despotisme populaire.
Si l’idéal démocratique est un idéal inaccessible et contradictoire en soi, la démocratie représentative est la seule alternative à la réalisation de ce qu’Aristote qualifiait de moins mauvais de tous les systèmes politiques. Or ce système de la représentation ne peut devenir réellement démocratique qu’à partir du moment où la composante "délibérative" entre en ligne de compte. Une démocratie participative n’est réellement démocratique que parce qu’elle est en son fond, délibérative. Ce n’est que par sa composante délibérative qu’une démocratie devient réellement démocratique. La délibération est un combat pacifié où s’affrontent les divers points de vues portés sur l’avenir de la société. Ce combat n’est jamais remporté par le plus fort. Il se joue en sa faveur l’émergence d’une troisième voix. Le combat véritable est celui qui laisse naître ce qui sans lui n’aurait jamais été. Le combat étant comme l’indique Héraclite père de toute chose. Or ce combat qu’incarne la délibération nous a été par deux fois confisqué en 2002 et 2017. C’est là et par accident que vote et démocratie ne sont plus deux notions corrélées.
Depuis au moins les élections présidentielles de 2002 le front national ou rassemblement national, comme on voudra l’appeler aujourd’hui, est devenu l’arme atomique de la dissuasion politique, la menace absolue pour le maintien de l’ordre établi, l’assurance que jamais rien ne change. Entre le dégout des abstentionnistes et la peur de ceux qui votent, il n’y a plus de place pour une quelconque alternative politique. Plus de place pour le débat, plus de place pour le risque politique. Cette peur est-elle légitime au regard des scandaleux spectacles des entre-deux tours menés respectivement par le père et la fille en 2002 et 2017 qui manifestement nous ont donnés à voir l’absolu terreur du pouvoir ? Ce n’est pas la question, même si elle mérite d’être posée. Quoi qu’il en soit, nous pouvons être certains que plus les scores du front national seront élevés moins la possibilité d’une alternative politique sera envisageable. D’où l’intérêt pour les parties de gouvernement qui se sont succédaient dans l’histoire de la cinquième République, de l’existence et de la force relative d’un front national. Ainsi dans l’euphorie de leur pérennité artificielle, ils en oublient ceux qu’ils sont censés représenter puisqu’en réalité ils ne représentent personne si ce n’est qu’eux-mêmes et les puissances financières et industrielles qui les gouvernent. Cet oubli voire ce mépris, Sarkozy l’a parfaitement exprimé en affirmant en 2008 : "Désormais quand il y a une grève, plus personne ne s’en aperçoit".
De fait et dès lors que la délibération nous est confisquée -au niveau du choix par le vote de nos représentants- celle-ci se joue nécessairement et avec violence sur cette ultime scène politique qu’est la rue. Ce système s’essouffle et ceux qui ne sont plus représentés, les oubliés de la République, font de la rue un parlement et de la violence, une expression politique.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2018/11/27/Vote-et-d%C3%A9mocratie-au-regard-de-l-arme-absolue-de-la-dissuasion-politique.#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/155Le bonheur, un idéal de l'imaginationurn:md5:e5d31993819f61358f454351256aaec92018-10-01T11:21:00+01:002018-10-02T07:06:53+01:00Jean Martial-GuilhemPhilosophiebonheurdésirplaisirpsychanalysepulsionsagessesurmoiça<p>Qu’est ce que le bonheur ? La question n’a cessé de traverser toute l’histoire de la philosophie depuis son origine grecque jusqu’à Kant qui considérera à juste titre le bonheur comme un idéal de l’imagination. Que le bonheur en tant qu’état de satisfaction, de perfection et d’achèvement ne soit qu’un idéal accessible en droit mais inaccessible en fait, nous le comprenons grâce à la théorie de la structure du psychisme chez Freud. L’idée de bonheur naît du conflit entre pulsion de plaisir et interdiction morale, entre le "ça" et le "surmoi".</p> <p>D’abord nous faisons l’expérience du plaisir. Le plaisir renvoie à l’immédiateté de nos pulsions. Celui qui poursuit le plaisir veut la jouissance sans la médiation de la peine, de l’effort ou du travail. Le plaisir nous renvoie à notre nature animale et singulière, à nos pulsions originelles, à celles du petit enfant qui fait tout ce qui lui passe par la tête dès lors qu’il en tire du plaisir. C’est ainsi que dans la théorie freudienne de la construction du moi, la pulsion au plaisir est freinée par le surmoi qui représente l’interdit au travers de la figure parentale. Cette forme d’interdit nous l’intégrons inconsciemment comme forme de la normalité à laquelle nous voulons accéder en réprimant nos pulsions. Nous nous trouvons alors dans l’incapacité au plaisir. Dès lors soit je suis Weinstein ou DSK, la pulsion outrepasse l’interdiction, soit je suis la personne la plus frigide du monde incapable de prendre le moindre plaisir, coupable avant même d’y avoir goutté. Mais dans les deux cas -prisonnier de mes pulsions ou prisonniers de mes interdictions morales- je suis loin du bonheur. C’est alors que le bonheur advient comme un idéal de l’imagination qui vient nous libérer de l’angoisse dans la quelle nous nous trouvons, pris dans le conflit entre l’interdit et la pulsion. Le bonheur est alors un phantasme dont la forme varie selon les cultures mais qui consiste toujours à renoncer aux plaisirs certains quand à leur existence mais imparfaits quand à leur essence pour chercher un bonheur incertain ou hypothétique mais parfait quand à son essence. Cette recherche est celle de la philosophie et de la religion qui consiste en gros à renoncer aux biens matériels, périssables etc. pour chercher un bien véritable dans la sagesse ou en Dieu. Dans tous les cas il s’agit de renoncer à ses désirs pour devenir "sage". Faut-il alors renoncer au bonheur en tant qu’idéal toujours hypothétique ? Le bonheur ne consiste pas à faire ce que je veux c’est à dire céder à mes pulsions, ni à faire ce que je dois dans l’ordre moral, mais à faire ce que je peux. Être heureux c’est agir de telle sorte que ce que je fais maintenant, je pourrais supporter de le faire éternellement. Être heureux c’est pouvoir supporter "l’éternel retour" de la situation que je vis.</p>
<p>1) Les plaisirs simples : regarder un film au lit, boire des coups avec des amis après le travail etc. Mais ces plaisirs simples sont autant d’expériences qui révèlent une intensité nulle du point de vue de ce que l’on pourrait attendre d’une vie heureuse.
2) Le plaisir comme satisfaction des pulsions instinctives (l’excès, l’ivresse etc.) mais qui seront toujours un échec quand au résultat car les pulsions me commandent et risquent d’entrer en conflit avec l’interdiction morale. D’autre part céder à ses pulsions c’est entrer dans un désir sans fin qui jamais ne saurait me satisfaire. Le denier verre ne sera jamais le dernier car on n’en finit jamais de désirer. Sitôt un désir est assouvi, qu’un autre s’éveille.
3) Aussi mieux vaut renoncer à ses désirs. Telle est la position du religieux ou de l’ascète. Mais l’absence de désir est synonyme de mort, de refus de la vie. Au mieux c’est après la mort que le bonheur sera "vécu" ; ce qui est un peu décevant en somme.
4) Alors que dois-je désirer pour être heureux ? Non pas désirer sans fin de nouvelles choses pour combler un manque originel, ni chercher à atteindre une perfection morale, religieuse ou ascétique qui ferait cesser le désir ; pour être heureux il s’agirait de ne pas cesser de désirer ce que l’on possède déjà. Nous ne sommes heureux qu’à la faveur d’un désir qui se réitère sans cesse dans l’objet même dans son désir. Bref l’amour véritable est source de bonheur, "amour réalisé d’un désir demeuré désir" René Char. Ce qui augmente ma puissance d’action, ce que je pourrais faire éternellement sans me détruire, faire ce pourquoi je suis fait, voilà ce qui rend heureux. De telle sorte qu’il n’y a pas de recette au bonheur, il est toujours une affaire singulière d’expérimentation. Expérimentations par lesquelles je tente de m’accorder au rythme universel des choses, afin d’entrer dans la danse du monde.
Nous considérerons alors le bonheur comme une possibilité ; être dans la possibilité d’organiser et d’effectuer les bonnes rencontres, les rencontres capables de nous affecter de joie. Le bonheur serait cet état de vitalité ouvert à la possibilité de la joie.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2018/10/01/Le-bonheur%2C-id%C3%A9al-de-l-imagination#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/151Le temps, la conscience et ses étatsurn:md5:a7140d2f5968bb4ba0b529d64275a4e72018-09-26T16:42:00+01:002018-09-27T17:44:50+01:00Jean Martial-GuilhemPhilosophieconscienceLe corpsrythmesujet transcendantal et empiriqueTemps<p>L’attitude naturelle nous pousse à considérer le temps à partir des événements qui s’y déroulent, comme un cadre objectif, immuable et absolu, découpé en heures, minutes, secondes… Nous considérons faussement le temps comme quelque chose qui nous précède, quelque chose dans lequel nous naissons et nous mourrons, sans voir ni comprendre que nous sommes le temps ; que nous sommes ce sans quoi le temps n’existerait pas.</p> <p>L’attitude naturelle nous pousse à considérer le temps à partir des événements qui s’y déroulent, comme un cadre objectif, immuable et absolu, découpé en heures, minutes, secondes… Nous considérons faussement le temps comme quelque chose qui nous précède, quelque chose dans lequel nous naissons et nous mourrons, sans voir ni comprendre que nous sommes le temps ; que nous sommes ce sans quoi le temps n’existerait pas.
En effet, quand j’écoute un morceau de musique, le morceau n’est pas tout entier donné d’un coup, disponible là dans le monde. Je ne le perçois que parce que je le constitue, l’instant de la note jouée n’a de sens que parce que ma conscience est capable de raccorder cet instant à l’instant de la note qui n’est déjà plus, dans l’attention de celui qui n’est pas encore. Et c’est le sens même des choses qui naît alors, par cette capacité de la conscience à faire tenir ensemble tous les instants (ce qui est, ce qui n’est déjà plus et ce qui n’est pas encore) dans ce qui devient ainsi le temps. Le présent n’est alors –grâce à la conscience percevante- que la coprésence virtuelle du passé, du présent et du futur. Aussi, au-delà de la constitution du temps, c’est le moi lui-même qui se constitue, ce moi dont j’ai conscience et qui dure dans le temps non pas comme une chose toujours déjà-là et éternellement donnée, mais comme un acte de conscience toujours présent à soi à mesure qu’il se fait en faisant naître le temps. Ce qui se constitue donc, c’est le moi empirique dont parle Kant dans la <em>Critique de la raison pure</em>, par l’acte de synthèse du sujet "transcendantal" capable de ramener une multitude à l’unité, d’une multitude d’états de consciences on passe à l’unité <em>de</em> la conscience -au double sens du génitif- mais c’est une unité non réifiée comme l’a à tord, pensé Descartes.</p>
<p>Dans ce processus normal de la conscience constituée en "moi empirique" par la conscience constituante ou "je transcendantal", peuvent survenir des anomalies c’est à dire des ratés dans la loi du processus de constitution. Un état dépressif par exemple plonge le sujet dans une sorte d’apathie, une incapacité à se projeter. Il lui est impossible de ressentir les affects normaux qui nous lient en général au monde. Tout lui devient étranger, vide de sens. Le sujet se vit dans un présent vide dans lequel sombre la conscience de soi. Un présent dans lequel le moi se dissout dans sa propre incapacité à produire du sens qui elle-même provient de l’incapacité à constituer l’ordre de la temporalité. La nécessité apparaît alors pour le sujet de produire des rites et des rituels par un certain agencement de son environnement, une organisation du monde extérieur qui ne fait plus sens pour lui. Le vide produit par la déchirure du tissu temporel est comblé par les rythmes des rites et des rituels, par une mécanique à vide du corps qui se donne artificiellement du sens en faisant fonctionner le réel. Ainsi la vie du sujet dépressif est rythmée par quelques éléments immuables comme le lever et le coucher du soleil, les repas qui sont servis aux mêmes heures etc. Et dans ces rythmes encore faut-il pour s’approprier un peu plus le réel, insérer des rythmes plus infimes et plus personnels, plus fin et sans doute plus névrotiques.</p>
<p>Aussi la conscience réfléchie -conscience que nous avons conscience- et qui nous caractérise voire, nous définit, nous rappelle que nous ne nous suffisons pas à nous-mêmes et que nous avons besoin de l’autre –c’est à dire du tout autre- d’une altérité, d’un monde ou d’une extériorité à mettre en ordre pour exister comme proprement humain c’est à dire comme prescripteur de sens.
Or il apparaît que nos sociétés contemporaines nous plongent dans un environnement médiatique, visuel et sonore toujours plus annihilant, opérant une autre forme d’enfermement ; enfermement dans la vitesse, l’accumulation indéfinie de biens et l’insatisfaction des désirs. Les modes de consommation qui sont nos modes modernes d’être et de paraître imposent leur temporalité propre. Une temporalité de l’éphémère où tout passe dès l’instant qu’il est apparu. Le temps de nos sociétés impose l’amnésie, disloque le « moi » et la conscience de soi et au-delà annule le monde commun c’est à dire la culture. L’époque contemporaine se caractérise par la confiscation du corps propre ; confisqué par le médecin qui le substitue à des grandeurs et des quantités analysables mais opaques, par le législateur ensuite (mariage, famille, procréation...) et dans une moindre mesure par les courants de modes, les impératifs de l’air du temps etc. C’est pourquoi il est impératif de se faire un corps, de faire corps, se donner un corps.
Le corps qui par ses mouvements naturels ou artificiels aménage un monde, donne du sens à ce qui n’en a pas, articule en les conjuguant extériorité et intériorité. Car comme le remarque Nietzsche, « On s’étonne de la conscience, mais l’étonnant c’est le corps ». Le corps qui par ses rythmes propres –des battements du cœur aux rythmes des menstrues- conjugue le singulier à l’universel, le moi au monde. Par le corps le « je » s’inscrit dans le rythme universel des choses, devenant cosmique, il fait sens dans le monde, par sa manière propre d’être au monde. Au-delà d’une égologie de la conscience se constitue une écologie du corps propre conjugué aux corps du monde extérieur avec lesquels il harmonise ses propres rythmes.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2018/09/26/LA-conscience-et-le-temps#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/150Puissance et compositionurn:md5:10d5a0efd5c3afdcc27705ae1464b3812018-09-05T11:25:00+01:002018-09-06T11:08:54+01:00Jean Martial-GuilhemLe sujet, l'individu, le singuliercomposition de puissancejoiepuissance<p>Ce par quoi nous allons dans la joie en allant vers nous-mêmes dans le monde.<br />
Dans un temps où nous sommes gouvernés par la peur, où la peur devient la pierre d’angle de tout pouvoir et de toute soumission, dans un temps où certains ont peur de l’étranger -de l’étrange étrangeté- et que d’autres ont peur de "la peur de l’étranger" ; Il est temps de regarder notre temps avec désir et joie, de quitter la peur pour l’aventure de l’existence-même qui passe nécessairement par la rencontre de l’autre, du tout autre dans lequel paradoxalement je me précède.</p> <p>Par ouï-dire ou par imagination, la vie est bien plus effrayante qu’elle ne l’est en réalité et par expérience. C’est pourquoi les politiques et les médias comme les prophètes en leur temps dispensent des signes destinés à l’imagination pour nous faire obéir, diminuant ainsi notre capacité de réflexion, notre capacité d’action et notre joie. Dès lors tel un petit enfant dans les querelles de cours d’école -plus fort jusqu’à l’infini- nous n’agissons plus que par réaction, répondant à la terreur que par la volonté de la terreur, la volonté de l’anéantissement infini.<br /></p>
<p>Il ne faut pas croire que le monde est cet objet de l’imagination, une donnée toujours déjà-là comme un ordre établi à l’injonction du quel nous devons nous soumettre. Le monde c’est ce qui ne cesse de se faire, sans cesse à actualiser, qui nous enjoint d’inventer de nouvelles formes d’existence qui ne peuvent être que des formes de coexistences, de nouveaux rapport de composition à l’autre, afin d’entrer dans le monde comme on entre dans la danse. On s’y jette avec désir, désir de vivre, désir de l’autre, désir d’amour, bref désirs de composition ; afin d’advenir –ainsi composé de l’altérité- à l’amour de soi.
Danseurs ou surfeurs cosmiques, nous avons tous la capacité de nous rapporter au rythme du monde afin d’y composer notre propre mélodie. Nous avons la capacité d’affirmer plus que de nier, d’aimer plus que de haïr, de composer plus que de décomposer, bref de vouloir la puissance plus que le pouvoir. Le pouvoir étant le plus bas degré de la puissance, consistant à diminuer la puissance des autres, les séparer de ce qu’ils peuvent. Le pouvoir est l’affaire des hommes faibles et tristes qui veulent une humanité à leur image, faible et triste. La puissance véritable consiste au contraire à devenir soi-même par la composition de ses propres rapports avec les rapports du monde afin d’accroitre sa capacité d’action, sa liberté et sa joie, bref à s’affirmer dans l’affirmation du monde.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2018/09/05/Puissance-et-composition#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/149Y a-t-il une vérité du sensible ?urn:md5:a86f12a8f7d42e50ec93d558e2aba1a02018-09-03T21:23:00+01:002018-09-04T06:25:36+01:00Jean Martial-GuilhemPhilosophiel artl expériencela démonstrationLa perceptionla vérité<p>En métaphysique comme en toute science est tenu pour vrai ce qui peut être démontré. Démontrer consiste à fonder l’apparence pour la connaitre avec certitude, ramener ce qui se montre à son fondement pour le connaitre certainement. Le fondement est ce qui rend raison d’une chose mais qui diffère en nature de ce dont il rend raison. Il est l’unité d’une multiplicité, la nécessité du contingent, l’être du devenir. Il est sans doute insuffisant de définir la vérité comme adaequatio rei et intellectus car cela suppose que nous possédions une précompréhension de l’objet qui puisse supporter l’épreuve de la conformité. C’est donc dans la pensée que se trouve le fondement de la vérité. Or le sensible nous met en rapport avec une extériorité toujours multiple, contingente et en devenir. De fait la vérité et le sensible s’excluent mutuellement. Certes il est possible d’affirmer que la sensation ne se trompe jamais dans la mesure où il est vrai que "je sens ce que je sens." Est-il alors possible de passer de la valeur existentielle de la sensation à une valeur épistémologique ; de la question du fait : "cela est" à la question de droit : "comment cela est" ? Autrement dit, de passer de la connaissance de l’effet senti à la connaissance adéquate de la cause ?</p> <p>En métaphysique comme en toute science est tenu pour vrai ce qui peut être démontré. Démontrer consiste à fonder l’apparence pour la connaitre avec certitude, ramener ce qui se montre à son fondement pour le connaitre certainement. Le fondement est ce qui rend raison d’une chose mais qui diffère en nature de ce dont il rend raison. Il est l’unité d’une multiplicité, la nécessité du contingent, l’être du devenir. Il est sans doute insuffisant de définir la vérité comme adaequatio rei et intellectus car cela suppose que nous possédions une précompréhension de l’objet qui puisse supporter l’épreuve de la conformité. C’est donc dans la pensée que se trouve le fondement de la vérité. Or le sensible nous met en rapport avec une extériorité toujours multiple, contingente et en devenir. De fait la vérité et le sensible s’excluent mutuellement. Certes il est possible d’affirmer que la sensation ne se trompe jamais dans la mesure où il est vrai que "je sens ce que je sens." Est-il alors possible de passer de la valeur existentielle de la sensation à une valeur épistémologique ; de la question du fait : "cela est" à la question de droit : "comment cela est" ? Autrement dit, de passer de la connaissance de l’effet senti à la connaissance adéquate de la cause ?<br /></p>
<p>S’il est vrai comme l’affirme Deleuze dans la conclusion de <em>Différence et répétition</em> que l’on peut attribuer à Platon la paternité de la métaphysique par la distinction entre l’intelligible et le sensible, l’essence et l’apparence, il est insuffisant de définir le platonisme par cette distinction. Le rapport entre la chose et l’idée, le sensible et l’intelligible, l’apparence et l’essence est conçu à partir du rapport modèle/copie comme l’atteste l’exemple du lit au livre X de <em>La République</em>. Or la copie n’est pas qu’une simple apparence, elle entretient un rapport intérieur spirituel, noologique et ontologique avec le modèle et permet alors d’établir une autre distinction qui est celle de la copie et du simulacre. Dans le monde sensible il s’agit donc de distinguer l’apparence apollinienne bien fondée du simulacre qui ne respecte pas plus le fondement que le fondé. "Nous avons l’habitude d’admettre une idée et une seule qui embrasse la totalité des choses auxquelles nous donnons le même nom" nous dit Platon au livre X de <em>La République</em>, et nous pouvons en conclure que c’est le rapport entre l’apparence et l’idée qui fonde le rapport entre le nom et la chose, donc la vérité. Or l’idée n’est pas immédiatement perçue dans la chose sensible. Qu’est ce qu’un lit ? Ce qui sert à dormir. L’usage définit donc l’idée ou l’essence. "Etre" c’est être ouvert à un usage. Le lit du charpentier produit conformément à l’usage, qui participe donc à l’idée du lit, se distingue du lit en peinture qui n’entretient aucun rapport avec l’idée puisque jamais il ne servira à dormir. Ce n’est donc pas par la perception sensible du lit que nous pouvons savoir ce qu’est un lit. "Savoir" revient à savoir user, l’usage définit l’eidos. Or Heidegger montre au §16 de <em>Etre et Temps</em> qu’un des traits fondamental du phénomène du type de l’usuel est de rester inapparent aussi longtemps qu’il se trouve en usage. L’outil, l’ustensile restent inaperçus tant que leur bon fonctionnement les soustrait à l’attention. Ainsi ce qui est en usage -l’outil, "l’util" ou l’ustensile- disparait dans son usage. Ce que nous percevons, c’est l’utilité à l’œuvre, la finalité de l’ustensile mais jamais l’outil lui-même. L’ustensile est par essence frappé d’un déficit phénoménologique. Ce que je perçois ce n’est jamais la chose elle-même ou "la chose-même", mais son idée, son utilité, ce à quoi elle sert, ce pour quoi elle est produite. Seule la panne nous la fait apparaitre. L’objet technique par la panne nous surprend, arrête le réseau des finalités, fait obstacle à notre rapport préoccupé et intéressé au monde et par-là même apparaît et se dévoile comme le montre Heidegger à travers l’analyse du tableau de Van Gogh, <em>Les vieux souliers</em> dans <em>L’origine de l’œuvre d’art</em>. Il y a donc une distinction entre la perception sensible d’une chose et la perception intellectuelle de son idée.
Si l’on retrouve ce discrédit du sensible chez Descartes dès la première des <em>Méditations métaphysiques</em> à travers la méthode du doute mais surtout à partir de l’analyse du morceau de cire de la seconde méditation, celui-ci est moins radical sans doute qu’il ne l’est chez Platon. Comme le montre la dialectique de l’amour dans Le banquet, il est possible en effet pour Platon d’accéder à l’intelligible par le sensible en passant de l’amour du beau corps charnel <em>hic et nunc</em> à l’amour du beau en soi dès lors que l’on sait que ce n’est pas ce beau corps que l’on aime en vérité mais l’idée du beau à laquelle ce beau corps participe. Descartes en revanche établit une distinction réelle entre la perception sensible et la perception intellectuelle. L’analyse du morceau de cire de la seconde des <em>Méditations métaphysiques</em> nous montre que les sens ne perçoivent de la cire que du changement et pourtant nous pouvons affirmer que c’est la même cire qui change ou plutôt, la même cire qui demeure sous ses changements qualitatifs. Ce n’est donc pas par la perception sensible mais par une inspection de l’esprit que nous percevons la cire. Ainsi Descartes affirmera que ce n’est pas le corps qui perçoit mais l’esprit. Nous en conclurons que ce qui est, ni ne se sent ni ne se voit ni ne se touche ; ce qui se voit, se sent, se touche, n’est pas. Si la cire existe elle est substance, et l’extension est son attribut principal. Par quoi Descartes qualifie les corps de substance étendue aux §52 et 53 de la première partie des <em>Principes de la philosophie</em>. En réduisant la réalité extérieure à la pensée à de la substance étendue, Descartes ouvre la voie à une physique mathématique, une connaissance de la nature (<em>phusis</em>) à travers le langage mathématique, ce qui était pour Platon ou Aristote impossible.
En effet pour Aristote, les objets mathématiques sont d’un genre différent des objets de la physique ou de la nature. Ils sont en mathématique, immuables et séparés ; mobiles et non séparés en physique. Il ne peut donc exister de physique mathématique c’est à dire de connaissance de la nature par les mathématiques, la nature qualitative ne peut entrer dans l’idéalité quantitative mathématique. Ainsi Platon pourra-t-il affirmer dans <em>La République</em> que "les mathématiques rêvent autour de l’être." C’est pourquoi pour Aristote ce ne sont pas les mathématiques mais le syllogisme des <em>Secondes Analytiques</em> qui est seule capable de produire des propositions vraies concernant la réalité ou l’être individuel concret, le <em>tode ti</em>. La vérité s’énonce dans la conclusion d’un raisonnement déductif ou syllogisme sous la forme d’un jugement "S est P". Le prédicat est attribué en vérité au sujet dans la conclusion du syllogisme de la première figure par la médiation du moyen terme ou cause de l’attribution qui doit exprimer l’essence du sujet. Non seulement le syllogisme doit avoir une forme valide mais le moyen terme ou cause de l’attribution doit exprimer l’essence du sujet duquel on affirme quelque chose dans la conclusion. "Connaître c’est connaître les causes", nous dit Aristote dans les <em>Secondes analytiques</em> et en <em>Métaphysique A</em>. L’effet n’est connu que dans la mesure où la cause est d’abord connue. La connaissance claire et distincte de l’effet dépend de l’antériorité de la connaissance adéquate de la cause qui fonde la relation de l’attribut au sujet. Connaître la cause c’est connaître toutes les propriétés qui sont affirmées de l’effet. La méthode synthétique d’Aristote prétend connaître l’effet par la cause mais y parvient-elle vraiment ? Comment la cause est-elle connue ? Aristote renvoie alors à un processus d’induction (méthode analytique) qui trouve un point de départ dans la perception confuse de l’effet, dans l’intuition sensible matérielle. Ce cheval-ci m’en dit plus de la « chevalité » du cheval que l’essence du cheval, qui ne transparait que dans l’intuition sensible du « ceci-là », le tode ti ou être individuel concret, et qui se donne sous la forme d’un universel abstrait : le genre et l’espèce. La cause formelle est toujours un caractère spécifique abstrait qui trouve son origine dans une matière sensible et confuse dans la mesure où l’intuition sensible particulière est la parousie de l’universel. Elle fournit une saisie du concept à travers les cas singuliers. Si l’objet de la sensation est particulier, le contenu de la sensation est général, <em>La partie des animaux II</em>. Lorsque je vois Callias c’est l’humanité qui est présente, <em>Secondes Analytiques</em> II, 19. L’induction est la manière dont nous appréhendons les essences, espèces ou idées générales. "Il est impossible d’acquérir la connaissance des universels autrement que par induction" <em>La partie des animaux</em>.
Ainsi pour Descartes la méthode synthétique aristotélicienne qui consiste à partir de la connaissance des causes pour connaitre les effets, est en réalité analytique ; elle part d’une connaissance confuse de l’effet et s’élève à des universels abstraits (de genre et d’espèce) qu’elle nous présente à tord comme des causes. Au final elle examine les causes par les effets, et non l’inverse comme elle le prétend idéalement, <em>Réponse aux deuxièmes objections</em>. Il y a donc un cercle dans la démonstration d’Aristote dans la mesure où le fondement est issu de ce qu’il est censé fonder, la cause est induite de la perception de l’effet. Le syllogisme qui attribue par l’essence ou la cause, un prédicat à un sujet, ne permet pas de découvrir la vérité, elle permet seulement de l’exposer. La méthode synthétique du syllogisme ne nous fait rien connaître par elle-même, elle n’est pas une méthode d’invention. Elle ne fait qu’exposer la connaissance de ce qui est déjà inventé.
C’est pourquoi Descartes substituera à la logique formelle d’Aristote la méthode analytique des mathématiques qui trouve son fondement dans l’intuition intellectuelle de l’idée claire et distincte. Toute démonstration doit partir d’un indémontrable comme l’affirme Aristote dans <em>Les secondes analytiques</em>, I, 72b, 15-20. Dans la recherche de la vérité il faut s’avoir s’arrêter, partir d’un premier terme qui n’a pas besoin d’être démontré et à partir duquel la chaine des démonstrations peut s’effectuer. L’évidence des axiomes, postulats et définitions mathématiques répondent à cette exigence de l’indémontrable. Les axiomes et postulats sont si évidents qu’ils n’ont pas besoin d’être démontrés. Ainsi en réduisant le réel à de la substance étendue -l’étendue étant l’élément de la géométrie- Descartes ouvre la possibilité d’une physique mathématique mais interdit en même temps tout recours à l’expérimentation scientifique puisqu’il maintient la séparation entre l’ordre du sensible et l’ordre de l’intelligible due à la distinction réelle entre la substance pensante et la substance étendue établie dans la quatrième Méditation. Il ne saurait donc y avoir en métaphysique, une vérité du sensible. Mais si la méthode déductive de Descartes est heuristique en ce qui concerne la formulation du principe d’inertie et les lois de la dioptrique, elle échoue par ailleurs dans ses résultats concernant la mécanique. Car au lieu d’idéaliser l’expérience sensible, elle l’annule. L’idéal déductif de l’analyse des natures complexes en natures simples distinctes et séparées interdit de lire la diversité phénoménale autrement que comme une masse de détail où tout agit sur tout. Il est impossible d’isoler le moindre phénomène. La science expérimentale classique développée par Galilée et Newton fait droit en revanche à l’expérience sensible car sa méthode ne consiste pas à partir des principes mais des phénomènes pour en chercher les principes. Les jugements sont analytiques dans la méthode cartésienne, ils sont synthétiques pour les sciences expérimentales. Kant en établira le fondement dans <em>La critique de la raison pure</em> et par-là réhabilite l’expérience sensible.<br /></p>
<p>L’expérimentation dans les sciences de la nature si elle abolit la disjonction classique entre sensible et intelligible, ne nous renvoie pas pour autant aux faits bruts, à l’expérience naturelle et immédiate de la nature. L’héliocentrisme par exemple, contredit la perception naturelle et naïve par laquelle nous avons l’impression que le soleil et tous les astres tournent autour de la terre. Ce que nous percevons n’est pas conforme à ce qui est, du point de vue de la rationalité scientifique. Le scientifique est comme l’inspecteur de police procédant à un interrogatoire. La physique a commencé à faire des progrès lorsqu’elle a compris qu’elle devait "forcer la nature à répondre à ses questions" nous dit Kant dans la préface à la seconde édition de la <em>Critique de la raison pure.</em> Au-delà de l’évidence immédiate sensible il s’agira pour le scientifique d’atteindre la simplicité des structures naturelles homogènes aux structures de la pensée mathématique. Pour Copernic le système héliocentrique demeure une simple hypothèse facilitant les calculs astronomiques et la prédiction des révolutions des planètes. Il serait possible de trancher entre les deux hypothèses par l’expérience de la chute d’un corps. Si la terre se meut alors le corps ne saurait tomber à la verticale. Or Galilée par le principe de relativité -duquel suit le principe d’inertie- développé dans son <em>Dialogue concernant les deux plus grands systèmes du monde</em> et selon lequel un mouvement partagé est comme nul, interdit tout recours à une telle expérience. L’expérience est d’abord "une expérience par la pensée" pour reprendre l’expression de Mach qui ne saurait se réduire à une simple observation des faits de la nature. Une expérience idéale dégagée de toute contingence et particularité qui, atteignant la simplicité, retrouve celle de l’entendement dont les axiomes et postulats mathématiques sont la structure. Galilée pose en principe l’accord entre mathématique et philosophie naturelle. S’il s’avère que les mathématiques sont plus en accord avec la nature des choses que les résultats déduits des principes (de la philosophie aristotélicienne), alors il faut abandonner ces derniers et préférer l’hypothèse ordonnée à l’explication mathématique. Les sciences expérimentales s’en tiennent à ce qui est mesurable et quantifiable dans les phénomènes sensibles. Contre Descartes qui rejette tout recours à l’intuition sensible, Galilée retrouve l’exigence qu’ont formulée Platon et Eudoxe : "Sauver les phénomènes". Ce qui signifie pour le monde grec : sauver l’apparence de ce qui dans le monde supra-lunaire -le mouvement de certains planètes, Vénus et Mars en l’occurrence- n’est pas conforme à l’ordre et à la régularité caractéristiques du ciel étoilé. Les rapports entre les entités ou idées mathématiques deviennent lois de nature exprimant les rapports constants entre phénomènes.
La science expérimentale classique de Galilée et Newton n’est donc pas un empirisme, c’est-à-dire pas une procédure d’induction qui consisterait à tirer du fait une théorie. Mais elle n’est pas non plus un rationalisme pur qui rejetterait catégoriquement tout recours au sensible. L’empirisme sceptique de Hume qui tire ses connaissances de l’expérience par un processus d’habitude et d’attende -c’est par ce que je suis habitué à voir un phénomène se répéter que je m’attends à ce qu’il se répète dans le futur- ne peut atteindre l’exigence scientifique de la connaissance. Une connaissance sera dite scientifique si elle répond aux critères d’universalité -en tout temps et en tout lieu- et de nécessité -est nécessaire ce qui ne peut être autrement que ce qu’il est. Or la nécessité et l’universalité ne peuvent être tirées de l’expérience qui est toujours singulière et contingente. A moins de considérer avec Leibniz, que tous les événements, toutes les déterminations spatio-temporelles sont liés analytiquement, selon le principe de raison suffisante, à la notion du sujet affecté par cette détermination, <em>Discours de métaphysique, De la contingence</em>. Cela implique que l’espace et le temps soient réductibles à l’ordre du concept, que la position spatio-temporelle soit traitée comme un prédicat, comme un concept attribuable. Mais Kant montrera l’insuffisance d’un tel principe à partir de l’analyse du paradoxe des objets symétriques dans l’opuscule <em>Des premiers fondements des régions dans l’espace</em>. Si mes deux mains sont identiques du point de vue du concept, elles ne sont pas superposables, l’une reste à droite l’autre à gauche. Il y a donc un ordre spatio-temporel irréductible à l’ordre conceptuel, ce qui interdit de considérer à la manière de Leibniz l’espace et le temps comme de l’intelligible confus, qui semblerait pour nous synthétique mais qui serait selon la volonté de Dieu analytiquement contenu dans la notion du sujet duquel les événements spatio-temporels sont affirmés. Si les jugements d’expérience ne sont pas analytiques et a priori, ils ne sont pas non plus synthétiques et a posteriori, ils sont "synthétiques a priori". Ainsi si nous ne pouvons connaitre que des objets d’une expérience réelle, toute la connaissance ne dérive pas de l’expérience. Il y a de l’a priori, du transcendantal dans la connaissance : l’espace et le temps d’une part et les catégories d’autre part. L’espace et le temps sont les formes pures de l’intuition, se sont des formes de présentation. Les catégories sont les formes pures de l’entendement, se sont des formes de représentation, qui déterminent l’expérience réelle dans les formes pures de l’intuition donnant lieu à un jugement de connaissance. Ainsi à la disjonction classique apparence/essence Kant substitue la conjonction apparence/sens de ce qui apparait. Le sens de l’expérience est déterminé par les catégories de l’entendement. Elles sont les concepts ou prédicats qui se disent de tout objet d’une expérience possible. Elles sont les traits généraux à partir desquels se dessine une figure particulière. Elles sont universelles et a priori. Tout objet X quelconque n’est objet que dans la mesure où il est conçu comme un mais aussi comme multiple ayant des parties d’unité d’une multiplicité et comme formant par là une totalité. Tout objet a une réalité, il exclut ce qu’il n’est pas et par là même il a des limites. Tout objet, enfin, est substance (non comme réalité matérielle imperceptible mais comme concept) il a une cause et est la cause d’autre chose. En résumé, tout objet quelconque a selon la quantité : unité, pluralité, totalité ; selon la quantité : réalité, négation, limitation ; selon la relation : substance, cause et réciprocité. Nous mettons délibérément de côté ici les catégories de la modalité qui ne sont synthétiques que subjectivement. Le possible, l’existence la nécessité n’accroissent pas notre connaissance de l’objet. Kant renverse la notion traditionnelle de vérité. La vérité ne peut plus être définie comme <em>adaequatio rei et intellectus</em> c’est-à-dire comme l’accord entre la pensée et son objet, puisque c’est la pensée qui légifère sur la structure objective du phénomène.
Il existe donc bien une vérité du sensible chez Kant. Mais celle-ci n’est à considérer que du point de vue du génitif objectif car ce qui est vrai dans l’apparaitre ne l’est que par la détermination catégoriale de l’entendement et non simplement de l’intuition sensible elle-même. En effet "des pensées sans contenu sont vides, des intuitions sans concepts, aveugles." <em>Logique transcendantale, De la logique en général, Critique de la raison pure.</em> Ainsi c’est bien parce que la connaissance vient toujours de moi, que la chose perçue ne va pas de soi. "Nous ne connaissons a priori des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes." Préface à la seconde édition de la <em>Critique de la raison pure</em>.
Est-il possible de penser une vérité du sensible au double sens du génitif en laissant l’apparition se montrer dans son apparence selon son apparaitre ? Autrement dit est-il possible de laisser l’apparence apparaître dans l’accomplissement de sa pleine apparition, laisser se montrer ce qui de soi se donne à l’intuition sans outrepasser les limites dans lesquelles cela se donne. Ce qui suppose de se défaire de toute initiative pour ramener la manifestation à ce qui se manifeste de soi et à partir de soi.<br /></p>
<p>Pierre Hadot distingue trois sortes ou modes de rapport à la nature dans son livre <em>Le Voile D’Isis</em>. 1) Le mode de la perception naturelle et quotidienne régi par nos habitudes, nos besoins et nos intérêts et par lequel nous ne considérons que ce qui nous est utile ; qui consiste donc à mettre la pensée au service de la vie. 2) Le mode de la connaissance scientifique qui s’oppose à la perception naturelle, immédiate de la nature comme nous avons essayé de le montrer plus haut. Mais l’explication mécaniste reste une hypothèse. Elle essaye de définir comment fonctionne telle ou telle partie de la machine du monde pour expliquer comment elle nous apparait telle qu’elle nous apparait sans que l’on puisse savoir si elle fonctionne effectivement de la manière dont on l’a construite. La finalité du mécanisme est, comme le dit Descartes dans le <em>Discours de la méthode</em>, de "nous rendre comme maitre et possesseur de la nature", d’arraisonner la nature à nos fins. 3) Le mode de la perception esthétique qui consiste à ne plus percevoir le monde d’un point de vue utilitaire mais à voir les choses pour elles-mêmes et non pour nous c’est-à-dire pour notre propre intérêt. Sous l’habitude et l’intérêt il faut retrouver la perception native et pure des choses.
Ainsi l’art ou la perception esthétique seraient des moyens par lesquels une vérité du sensible est rendue possible. La perception esthétique oblige une conversion du regard de l’intérêt au désintérêt laissant le phénomène apparaître de soi à partir de soi. Il est possible de retrouver ces deux modalités du rapport à la nature chez Kant à travers la distinction entre les jugements déterminant de connaissance et les jugements réfléchissants de goût. L’œuvre qui est celle du génie que Kant définit au § 46 de La <em>Critique de la faculté de juger</em> comme "une disposition innée de l’esprit par laquelle la nature donne ses règles à l’art" est ce qui donne le plus à penser sans qu’aucune pensée déterminée, c’est-à-dire aucun concept, ne puisse lui être adéquat (§49).
Ainsi dans la perspective de P. Hadot il est possible d’opposer deux méthodes du dévoilement des secrets de la nature, la méthode prométhéenne et la méthode orphique. L’attitude prométhéenne consiste à forcer la nature à répondre à nos questions par la ruse (<em>mécané</em>) afin de s’en "rendre comme maître et possesseur", l’arraisonner à nos fins mais en en occultant l’être même. L’attitude orphique pour sa part consiste à retrouver sous l’habitude et l’intérêt la perception native et pure des choses. Pour Goethe par exemple la perception esthétique permet d’accéder à l’expérience de la nature : "Il apprit à voir le monde avec les yeux de l’artiste, et tandis que la nature déployait le mystère au grand jour de sa beauté, il se sentait irrésistiblement attiré vers l’art, qui en est le plus digne exégète." <em>Les années de voyage</em> de Wilhelm Meister. Alors que la science découvre derrière les phénomènes des lois, des équations et des structures cachées, l’art apprend à voir ce qui est sous nos yeux et que nous ne savons pas voir. Le plus secret est au grand jour, occulté par nos préoccupations quotidiennes et intéressées ; ce que Paul Valery traduit par l’aphorisme : "le plus profond c’est la peau." "L’art n’est pas visible, il rend visible", pour reprendre l’expression de Paul Klee. Goethe a cherché ainsi à découvrir les formes-types de la nature, les phénomènes originaires et archétypaux, le mouvement invisible de la forme, ce que les peintres de la Renaissance et Ravaisson après eux ont appelé "la ligne serpentine", qui en exprime la grâce et la vie ; le mouvement générateur de la forme qui ne se limite pas à ses contours. L’artiste pour se porter à la genèse des formes doit épouser l’élan créateur de la nature, "s’abandonner au torrent du monde" dira Cézanne lorsque Paul Klee parlera de "participation cosmique." Si la connaissance scientifique bloque l’apparition du phénomène sous l’ordre du concept, l’art laisse la chose être ce qu’elle est ; et l’artiste dans l’œuvre, porte à la lumière la nature qui s’exprime dans son corps. C’est ce que l’on peut par ailleurs comprendre de la définition du génie chez Kant : "disposition innée par laquelle la nature donne ses règles à l’art." On peut dès lors pour exemple, opposer ces deux perceptions -intellectuelle et sensible- au niveau de la perception de la couleur. Pour la science le bleu se réduit au chiffre de sa longueur d’onde qui ne nous dit rien sur la nature même de la couleur qui se dévoile plus sûrement sans doute dans la langue poétique de Claudel -rapporté par Merleau-Ponty dans <em>Le visible et l’invisible</em>, L’entrelacs Le chiasme- qui parle d’un bleu de la mer si bleu qu’il n’y a que le rouge du sang qui soit plus rouge encore. En rapportant ce mot de Claudel, Merleau-Ponty veut signifier qu’au-delà du délire du sens qui donne beaucoup à penser mais rien à connaitre, la perception sensible reconduit à l’expérience originaire contre le découpage objectif du monde issu du langage institué.
Si l’art ou plus précisément, l’œuvre d’art est le lieu à partir duquel la vérité se dévoile au sensible par le sensible, doit-on alors limiter la vérité du sensible aux domaines esthétique et artistique ? Ne peut-on élargir la donation du sens de l’apparaitre dans l’apparence à l’ensemble des phénomènes ? C’est ce à quoi s’attache la phénoménologie de Husserl comme l’attestent les principes : "Droit aux choses-mêmes " ou "Autant d’apparaitre, autant d’être" au §46 des <em>Méditations cartésiennes</em>.
La formulation du "principe des principes" au §24 des <em>Idées directrices pour une phénoménologie</em> pose contre toute théorie métaphysique que : "toute intuition donatrice originaire est une source de droit pour la connaissance, que tout ce qui s’offre originairement à l’intuition doit être pris comme il se donne sans non plus outrepasser les limites dans lesquelles il se donne." L’intuition seule, libérée de tout a priori déterminant, devient la mesure de la phénoménalité. Cette libération nécessite le travail préalable de la réduction que Husserl définit dans <em>L’idée de la phénoménologie</em> comme "l’exclusion du transcendant en général comme existence à admettre en sus, c’est-à-dire de tout ce qui n’est pas une donation évidente au sens authentique, une donation absolue au regard pur." La réduction élargit donc le champ de la donation phénoménale en réduisant le transcendant aux vécus tels qu’ils se donnent à la conscience et transforme ainsi l’évidence en problème en l’élargissant à l’universalité de la donation de soi. Aucune intuition ne verrait véritablement rien si l’évidence restait une simple impression subjective, un miroir idolâtrique où l’esprit ne renverrait à lui-même qu’une impression qui n’impressionnerait que lui. Il faut donc que l’évidence donne plus qu’un état ou vécu de conscience ; qu’elle porte dans sa clarté l’apparaitre d’un in-pensé, qu’advienne dans l’évidence l’in-évident, c’est-à-dire le phénomène lui-même que Husserl définit dans L’idée de la phénoménologie par la corrélation essentielle entre l’apparaitre et l’apparaissant. Le phénomène se traduit donc par la dualité des modes de l’apparaitre et de l’apparaissant qu’il s’agit d’unifier dans l’intuition sensible afin que celle-ci s’institue comme une source de droit pour la connaissance.
En liant l’immanence à l’intentionnalité, Husserl permet la corrélation des deux faces du phénomène. Si l’on définit l’immanence par l’identité à soi de la conscience alors on interdit la corrélation entre les deux faces du phénomène, l’apparaître et l’apparaissant. Il faut alors admettre une immanence intentionnelle par laquelle la conscience ne reçoit pas seulement une nouvelle réalité réellement immanente à sa propre réalité. L’intentionnalité rend l’apparaissant immanent à la conscience par le fait que l’apparence (réellement immanente) n’apparait que toujours déjà ordonnée à son objet par intentionnalité. Dans l’immanence intentionnelle, l’apparaitre de l’apparence n’interdit plus celle de l’apparaissant parce que l’intentionnalité vise l’apparaissant et donc le donne en tant que visée au sein de l’immanence réelle de l’apparence. Tant que les deux faces du phénomène restent distinctes, il reste une image qui ne donne qu’elle-même, mais pas l’objet. La transcendance dans l’immanence est la possibilité pour l’apparaissant d’apparaitre en propre. La réduction donne le transcendant en le réduisant à l’immanence non-réelle d’un objet intentionnel et ainsi l’intuition devient une source de droit pour la connaissance.<br /></p>
<p>"La vraie philosophie comme l’indique Merleau-Ponty dans <em>L’éloge de la philosophie</em>, est de réapprendre à voir le monde." Réapprendre à voir le monde, c’est ce à quoi nous invite la phénoménologie en rupture avec la métaphysique en restituant au sensible la vérité.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2018/09/03/Y-a-t-il-une-v%C3%A9rit%C3%A9-du-sensible#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/148L'esthétique du siècle.urn:md5:dd9f8372290049b7d26dbbbe3a9627cf2014-11-23T13:48:00+00:002018-09-06T14:39:12+01:00lusinagazL'idée c'est la perspective<p>La dent longue et l’idée courte, c’est l’esthétique du siècle.</p> <p>La dent longue et l’idée courte, c’est l’esthétique du siècle.
Les lois et les nations tiennent leur nom de ceux qui n’en ont pas, ces hordes d’anonymes qui sacrifient leur vie à celle immortelle des rois.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2014/11/23/L-esth%C3%A9tique-du-si%C3%A8cle.#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/18La fin de la propriété privée.urn:md5:55d5a962a07b67d80d0514ee0eefbc352014-10-14T10:58:00+01:002014-10-14T22:27:02+01:00lusinagazPolitique<p>De la propriété privée nait le capitalisme. La fin de la propriété privée suffirait-elle à nous en libérer ?</p> <p>En affirmant que "la propriété privée est un vol", Proudhon -à son insu sans doute- commet un paradoxe. En effet tout vol présuppose la propriété et on ne peut voler que celui qui est déjà propriétaire. Ainsi de qui la première propriété privée serait-elle le vol ? Penser la propriété privée comme un vol suppose de distinguer à l’instar de Locke deux sortes de propriété : une propriété exclusive -qui renvoie à la propriété privée elle-même- et une propriété que l’on appellera inclusive. En effet pour Locke, Dieu a donné la nature à tous sans la donnée à personne en particulier, elle appartient donc à tout le monde sans appartenir à personne. La communauté des hommes possède la nue-propriété de ce dont chacun est usufruitier. Si tous ont le droit d’en user, nul n’en est le propriétaire exclusif. C’est pourquoi la propriété privée devient illégitime, elle est un vol fait à l’humanité toute entière. Ainsi la société civile qui s’érige sur la défense de la propriété privée devient-elle suspecte. Et Rousseau affirmera à juste titre que "le premier qui enclot un terrain, qui dit ceci est à moi et qui trouve assez d’imbéciles pour le croire, celui-là est le fondateur vrai de la société civile." Mais si la loi de la société civile protège en premier lieu la propriété privée, elle vise aussi à condamner la pauvreté. Elle protège les forts et condamne les faibles de telle sorte que les faibles se trouvent dans l’obligation de vendre leur force de travail ; ce en quoi consiste l’aliénation chez Marx. "N’ayant pu faire que le juste soit fort, on a fait en sorte que le fort fut juste", pourrions-nous dire avec Pascal.<br />
Aussi la propriété privée constitue le nerf de la guerre, l’épicentre de tout conflit et la matrice de la crise de notre monde contemporain, dans la mesure où elle signe l’acte de naissance du système capitaliste et libéral ainsi que l’aliénation du travail. Ce qu’en leur temps avait déjà analysés Montesquieu et Rousseau. Dans les sociétés libérales et capitalistes fondées sur la propriété privée, l’intérêt particulier prime en effet sur l’intérêt général. "La loi du monde nous apprend, nous dit Montesquieu, à ne jamais nous oublier nous-mêmes" et à faire passer son intérêt avant l’intérêt de tous. Ce qui génère égoïsme en l’homme et conflits entre les hommes.<br />
Si nos sociétés capitalistes semblent survire à tous les coups qui lui sont portés, ce n’est qu’au prix du sacrifice de ceux qu’elle sacrifie par principe, les travailleurs. Ce n’est jamais le système capitalisme qui s’affaiblit mais la population laborieuse qui se soumet ; persuadée qu’il n’y a pas d’alternative, tout en vénérant la réussite de ceux qui y sont par naissance conditionnés, lorsque dans le même temps les mécanismes de reproduction et de déterminisme sociaux renvoient le peuple à son impuissance fantasmée.<br /></p>
<p>La fin de la propriété privée pourrait-elle nous sauver des affres d’un système capitaliste ? La fin de la propriété privée se conçoit aujourd’hui à partir de la disparition progressive des biens matériels et des supports physiques au profit du numérique dans les produits culturels. Mais cela ne va pas sans poser quelques problèmes.Puisque dès lors s’ouvre à nous un monde où tout se vaut, un monde sans hiérarchie où disparaissent maîtres et experts. Ce sont ici en tout cas les arguments de ceux qui sont -comme les qualifie Rancière- dans la haine de la démocratie ; de ceux qui considèrent la démocratie comme un despotisme populaire.<br />
Avec l’idée d’une démocratie délibérative née du contrat social, Rousseau avait sans doute déjà tracé avant l’heure la possibilité d’une troisième voie entre capitalisme et étatisme, entre libéralisme et ce qui apparaitra plus tard comme socialisme. Le contrat social consiste à remettre sa liberté et sa propriété non pas aux mains d’un souverain comme chez Hobbes mais aux mains de la communauté. Autrement dit chacun se dessaisie de la partie essentielle de lui-même. Mais loin d’être une aliénation, se dessaisissement est en fait l’acte par lequel l’unité d’un peuple se forme à partir de la multitude d’intérêts divergents. Mais cela suppose ce que Montesquieu appelait ironiquement "l’angélisme politique" qui consiste à savoir s’oublier soi-même au profit de l’intérêt général. Car qu’il le soit par nature ou qu’il le soit devenu par nécessité sociale et culturelle, l’homme est aujourd’hui égoïste. Cependant comme l’a montré Adam Smith, de l’intérêt particulier peut naitre la nécessité d’un accord avec l’intérêt général. Il ne s’agit plus d’angélisme politique ou de morale pure, mais d’une morale utilitariste qui pourrait se formuler selon l’injonction : "Ne fais aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’ils te fassent." Il est alors dans l’intérêt particulier du commerçant d’être juste en traitant de la même manière tous ses clients même ceux qui sont de ses amis, sans quoi ceux-ci demeureront ses seuls clients. Mais l’intérêt particulier n’est pas l’égoïsme et l’individualisme qui caractérisent nos sociétés modernes. Le système capitaliste est fondé sur l’inégalité qu’instaure le jeu de l’offre et de la demande. Certes comme l’affirme Rawls, les inégalités peuvent être tolérées si elles sont dans l’intérêt du plus grand nombre, mais de fait le capitalisme est incompatible avec l’intérêt général. L’intérêt du plus grand nombre n’est pas l’intérêt de tous.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2014/10/14/La-propri%C3%A9t%C3%A9-priv%C3%A9e.3#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/14Volonté de puissance et éternel retour.urn:md5:d50df1611b37dfb5717ba501af2d4bd22014-10-02T16:21:00+01:002014-10-03T12:19:51+01:00lusinagazPhilosophieKant moraleNietzschevolonté<p>Comprendre le sens du syntagme "volonté de puissance" chez Nietzsche suppose de l’interpréter dans la perspective de la morale ou plus précisément de l’éthique. La morale en effet limite la volonté par le devoir lorsque l’éthique limite la volonté par la puissance ou le pouvoir.</p> <p>Il est facile de se méprendre sur le sens de cette notion de "volonté de puissance" chez Nietzsche. La volonté de puissance ne consiste pas à vouloir le pouvoir ou la puissance, elle ne consiste pas à exercer l’un ou l’autre en soumettant et dominant d’autres volontés. Au contraire soumission et domination sont les symptômes d’une volonté réactive chez Nietzsche, elles sont le signe d’une volonté faible. La soif de domination que l’on nomme communément mais improprement puissance est en réalité faiblesse. C’est ce qu’illustre la fable de l’agneau et de l’oiseau de proie dans <em>Généalogie de la morale</em>. Que peut-on entendre alors par "volonté de puissance" si ce n’est la volonté de domination ?
Pour en comprendre le sens, il faut ramener cette notion dans l’horizon de la morale.<br />
Traditionnellement la morale répond à la question : "Que dois-je faire ?" Elle détermine ce que le sujet doit ou ne doit pas faire, elle fixe les normes du bien et du mal et contraint la volonté à ces normes. La volonté doit vouloir le bien et rejeter le mal, elle doit se contraindre au devoir. Si la volonté est infinie c’est à dire infiniment libre comme l’affirme Descartes, elle doit pourtant se déterminer à agir selon certaines règles, maximes ou conduites, qui sont celles du devoir. Indéterminée, la volonté n’est rien, elle est comme nulle. La liberté d’indifférence est en effet le plus bas degré de la liberté comme l’affirme Descartes. Elle n’est que dans la stricte mesure où elle se détermine à ceci plutôt qu’à cela. En tant que règles de conduite le devoir limite donc la volonté mais dans la strict mesure où elle lui donne forme afin de déterminer son être. La volonté peut alors être définie comme la faculté de se déterminer à agir selon la représentation de certaines lois. La volonté sera alors dite hétéronome lorsqu’elle est déterminée par des mobiles sensibles extérieurs, et autonome lorsqu’elle est déterminée par la loi morale qu’elle se donne à elle-même librement. Cette loi est pour Kant, morale lorsqu’elle est universelle. Elle prend alors la forme de l’impératif catégorique : "Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse valoir en même temps comme une loi universelle." L’universalité de la maxime ou de la loi confère à l’acte son caractère moral. La volonté doit vouloir l’universel, ce qui peut être accompli sans contradiction. Ainsi la volonté perd tout caractère propre et singulier. La volonté individuelle devient universelle, le « Je » devient un « Nous ».<br />
A la volonté morale et universelle autrement dit anonyme et impersonnelle, Nietzsche oppose la volonté de puissance qui ne consiste pas à agir selon la forme universelle de la loi morale mais à vouloir ce que je peux supporter. Le pouvoir se substitue au devoir dans la limite de la volonté. La volonté de puissance signifie donc vouloir ce que je peux supporter. Et ce que la volonté peut supporter détermine ontologiquement celle-ci, lui donne forme et figure. En dernière instance, ce que peut la volonté relève et renvoie à la notion d’éternel retour. En effet ne relève de ma puissance que ce que je peux éternellement supporter. Ainsi à l’impératif catégorique de Kant se substitue cette autre impératif que nous pourrions formuler de la sorte : "Agis de telle sorte que ce que tu fais tu puisses le faire éternellement". N’est bon pour soi, que ce qui peut être fait éternellement, ce dont le retour éternel suscite de la joie augmente les capacités d’actions et éloigne de la souffrance et de la passivité. Le syntagme « volonté de puissance » caractérise l’expression éthique de la singularité du sujet, sous la forme du bon et du mauvais pour soi, de ce que je peux ou ne peux pas faire sous l’aspect de l’éternité. L’éternel retour devient la règle de la volonté, mais d’une volonté non plus universelle mais singulière.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2014/10/02/Volont%C3%A9-de-puissance-et-%C3%A9ternel-retour.#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/44Carte postale.urn:md5:f6f3e059bada1fca75447273f63dcff72014-10-02T15:21:00+01:002014-10-02T15:21:00+01:00lusinagazLes éditos d'Adèle<p>Édito du onzième numéro des Cahiers d’Adèle.</p> <p>Ce carré blanc au dos de paysages, d’architectures à l’honneur ou de tableaux célèbres ; au dos d’une Joconde à moustache que l’on moque sans savoir qu’LHOOQ, d’une fille nue alanguie sur le sable, la peau brunie sertie d’or et de turquoise, ce carré blanc sur lequel on inscrit l’éternel éphémère. "Il fait beau les enfants vont biens", "Les gens sont gentils. papi m’a acheté une glace, à la pêche aux canards je me suis fait des amis."<br />
Tout a disparu, le bleu du ciel, la chaleur du sable, les belles filles et le marchand de glace. Les enfants sont grands et le papi est mort. Tout a disparu sauf la trace, un signe sans signification au dos de cette vieille dame qui ne vieillit pas au fond d’un vieux carton, du tiroir d’une armoire ou d’un antique salon.<br />
C’est un acte de résistance que de prendre le temps pour le donner aux choses qui n’ont fait que passer, d’ensorceler la mort sur ce petit carré blanc.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2014/10/02/Carte-postale.#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/28Génération.urn:md5:9eb76250076cdd36cdf394113fd860f42014-10-02T15:11:00+01:002014-10-02T15:11:00+01:00lusinagazLes éditos d'Adèle<p><br />
Thème du dixième numéro des Cahiers d’Adèle.</p> <p>Toute génération est nécessairement spontanée, que cette dernière soit naturelle ou culturelle. Elle n’admet ni condition ni virtualité qu’elle ne ferait qu’actualiser.<br />
Rien ne la présage, elle vient comme un imprévu, inouïe et inattendue, dans la série causale des événements déterminés : l’héritage de la génération antérieure n’est jamais totalement assumé, les attentes escomptées vis-à-vis de la génération à venir sont régulière- ment manquées. Toute génération est alors issue de la liberté comme capacité d’initier soi-même une nouvelle série causale.<br />
Aussi la génération, si elle désigne le commun et l’identique, ne peut se penser qu’aux travers des traits de la singularité et de la différence. Sans doute, avant d’être un nom commun X ou Y, elle est d’abord un nom propre, le nom du premier, celui qui commence et qui gouverne, celui qui répète déjà toute la série. L’anormal qui transforme le normal, l’anomalie qui – à la lettre – transforme la loi, la « nomalité ». Il y a autre chose que de la reproduction. Chaque génération porte en elle ses icônes, ses vibrations et son aura. De la répétition du même surgissent la différence et la nouveauté : l’unique et paradoxalement l’immuable.<br />
Générer consistera alors à inventer de nouvelles formes d’existences en faisant table rase du passé et en instaurant un nouvel ordre.<br />
De ce point de vue toute génération est punk.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2014/10/02/G%C3%A9n%C3%A9ration.#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/29Mécanique.urn:md5:10c5e312e748d5ab5f473ad881ab29fd2014-10-02T15:09:00+01:002014-10-02T15:09:00+01:00lusinagazLes éditos d'Adèle<p>Thème du neuvième numéro des Cahiers d’Adèle.</p> <p>La nature a ses lois qui parfois contredisent les désirs et la volonté des hommes. De cette contradiction naît l’une des formes de hasard qui qualifie des effets dont nous ignorons les causes. La nature a des raisons que la raison ignore et produit dans beaucoup de cas des effets qui sont contraires à l’intérêt des hommes. Pour s’en protéger, les hommes ont recours à la ruse, qui en grec se dit <em>méchané</em> et qui donnera le terme mécanique. La mécanique consiste donc dans la ruse nécessaire à l’accomplissement de ses désirs et volontés. Art de l’illusionniste ou du faussaire.<br />
La mécanique se joue dans un rapport de force qui consiste par ruse à arraisonner toute chose à nos fi ns. Loin de découvrir ce dont elle se sert, la mécanique l’utilise pour satisfaire ses finalités. Pour autant, on ne saurait commander à la nature qu’en lui obéissant. Se servir d’une chose suppose donc que l’on sache ce qu’elle est. Tout combat, toute ruse, loin d’anéantir, révèle ce qui est combattu.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2014/10/02/La-m%C3%A9canique.#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/27L'icône.urn:md5:7b7820c836bc454005a15cd4a43a7c082014-10-02T15:06:00+01:002014-10-02T15:06:00+01:00lusinagazLes éditos d'Adèle<p>L’édito du huitième numéro des Cahiers d’Adèle.</p> <p>Il est possible de diviser toutes les choses que porte le monde en deux catégories : les idoles et les icônes, avec l’idée ou l’original en ligne de partage. Ces deux manières d’être des étants nous renvoient aux distinctions platoniciennes : original, copie, simulacre ; où l’icône se dit copie, conforme à l’original et l’idole se dit simulacre qui n’entretient aucun rapport avec ce qu’elle prétend être. Aussi, de Platon à l’œuvre de Magritte Ceci n’est pas une pipe, l’art dans sa totalité renvoie pour la pensée métaphysique au simulacre. Et c’est à ce titre que Pascal dénoncera la peinture par sa vanité : « Quelle vanité que la peinture qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux ». Bref pour prendre à Platon son exemple, le lit du charpentier est conforme à l’idée ou original en tant qu’il sert à dormir, lorsque le lit du peintre prétend être ce qu’il n’est pas dans la mesure où jamais il ne servira à dormir. Si rien ne distingue dans leur visibilité l’idole de l’icône, le tout visible de l’idole ne donne rien à voir au-delà d’elle-même. Lumière aveugle de la pornographie, opaque et sans mystère. Lorsque l’icône donne dans ses traits visibles le chiffre du mystère, l’inouï, l’invu, l’inapparaissant en personne, bref l’idée même. À la pornographie idolâtre, l’icône oppose le mystère érotique. Lorsque Diotime dans Le Banquet de Platon présente Eros comme fils de Poros et de Pénia, fils d’un Dieu et d’une mortelle, il se donne alors comme l’intermédiaire, le passeur entre deux mondes, du mortel et du divin. Dans le visible de l’icône filtre l’origine perdue.</p>https://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?post/2014/10/02/L-ic%C3%B4ne.#comment-formhttps://lusinagaz.jeanmartialguilhem.com/index.php?feed/atom/comments/125